Soverinn Donn

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– Je crois que je ferais mieux d'aller chercher Brewal, fit Patsy après un moment passé à contempler le menhir.

Joakim ne la regarda pas repartir. D'abord, il avait beau ne pas ressentir qu'il avait la tête en bas, il préférait éviter de se confronter à l'idée. Ensuite et surtout, il n'était pas encore capable de détacher ses yeux de l'Inneal.

Oui, cette fois-ci, il n'avait pas de doute : c'était bien ça qu'ils étaient venus chercher. L'Inneal... Il lui faisait le même effet que la photo du musée, il entendait le même néant en émaner.

Il posa la main sur son Granit : il avait l'impression qu'il vibrait sur des fréquences imperceptibles, comme une voix trop grave et trop basse pour être entendue.

Est-ce qu'il n'aurait pas mieux fallu qu'il l'utilise sans attendre ?

Il jeta un coup d'œil derrière lui, vers l'horizon à l'envers. Patsy ne revenait toujours pas. Depuis combien de temps était-elle partie ? En tout cas assez longtemps pour que la météo eût le temps de se dégrader.

Le vent était plus calme de ce côté-là du sol, mais la mer au-dessus de sa tête était en train de disparaître, d'épais nuages sortis de nulle part la cachaient.

En fait, il commençait même à pleuvoir.

Joakim s'immobilisa.

wig ha wag ha wig ha wag ha wig ha wag...

Il lui semblait distinguer un grincement lugubre, qui s'éteignait progressivement dans les clapotements de la pluie.

Il retint sa respiration, il tendit l'oreille. Il l'entendait toujours même s'il avait disparu, sorte d'écho fantôme coincé dans ses tympans.

L'atmosphère venait subitement de se refroidir, un frisson lui descendit le long de la colonne vertébrale.

Il parcourut l'horizon des yeux : les courbes vertes et rebondies commençaient à s'envelopper de brume. Ne restait plus que la caillasse et le menhir planté au milieu.

Plus rien ne bougeait.

Il se retourna une nouvelle fois.

Soverinn Donn était là.

Joakim sursauta. L'espace d'une seconde, son cœur cessa de battre.

– Qui es-tu ?, dit Soverinn avec la voix qu'aurait une nuit sans lune si elle pouvait parler.

Joakim le voyait pour la première fois mais il savait que c'était lui. Son visage rachitique avait l'air de dégouliner avec la pluie. Un ruban noir accroché à son grand chapeau rond flottait à la manière d'une fumée solide.

Joakim aurait voulu s'enfuir mais il était tétanisé. Il avait la sensation de se réveiller d'un cauchemar, quand on sait qu'on ne dort plus mais que l'angoisse irréelle est toujours là.

– Où as-tu eu ça ?, dit encore Soverinn en tendant son doigt squelettique vers la poitrine de Joakim.

Là où pendait son Granit.

– Ne le touchez pas.

Il avait voulu crier, mais sa voix était sortie faible du fond de sa gorge.

– Tu as un Granit et tu te tiens devant l'Inneal, fit Soverinn en levant ses yeux entièrement gris vers le menhir. Qu'attends-tu ? Ne sais-tu donc pas de quoi il s'agit ?

– J'attends Brewal Kozhiliz, dit Joakim en s'imaginant l'impressionner.

Soverinn ne sourcilla même pas. Mais il se redressa, il se redressa bizarrement... comme Brewal avait l'habitude de se redresser.

Le Pouvoir des ArtistesWhere stories live. Discover now