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Adam

C'est la mort dans l'âme que je sors de mon lit. Des bribes de la soirée d'il y a deux semaines me reviennent en mémoire. Comme à chaque instant. Je ne suis pas du genre à m'apitoyer sur mon sort, mais je n'ai pas pu me retenir ce jour-là en rentrant.

La détresse de Laure, ses propos, tout m'a brisé. J'ai perdu la femme que j'aime. Et il a fallu que je me rende compte de mes erreurs trop tard. Je ne veux pas baisser les bras, mais pour aujourd'hui, je vais une dernière fois me laisser aller.

Je rejoins la cuisine d'un pas lent et traînant. Je me sers un café que je réchauffe au four à micro-ondes. Si Laure me voyait, elle me dirait avec cette douceur qui lui est propre que rien ne vaut un café moulu préparé à la main.

Je ferme rageusement les paupières, sentant les larmes me piquer les yeux. J'inspire puis expire. Je ne vais quand même pas passer tout mon temps à pleurer parce que j'ai fait n'importe quoi, tout de même?

Il est certain que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Laure n'était pas responsable de ma fatigue, je n'aurais pas dû la délaisser pour si peu. Je m'en rends compte peut-être trop tard, mais je vais me battre. Je me suis toujours battu pour elle.

Je rouvre les yeux en entendant le ding du four à micro-ondes. Je l'ouvre et récupère ma tasse. Je rejoins ensuite mon salon. Les épais rideaux marron sont tirés. Je n'ai aucune envie de voir la lumière du jour.

Las et à deux doigts de fondre de nouveau en larmes, je me laisse tomber dans le canapé en cuir marron, allumant la télévision. La chaîne d'informations se lance. Rien qui ne m'intéresse.

Je bois mon café par petite gorgée, commençant à mettre en place un plan de récupération. D'ici demain, je mettrais en œuvre quelques idées. Comme d'abord lui envoyer des fleurs. Des lys blancs. Ses préférées.

Je jette un coup d'œil circulaire à la pièce. Les meubles en bois rustiques, les couleurs neutres et chaudes, mes coussins et les tapis blancs. Je la revois regarder chaque recoin de la pièce.

Je la revois, devant moi, ses cheveux blonds cendrés qui tombent en cascades sur ses épaules, ses yeux marron qui brillent de joie. Elle danse sur un fond de musique des années 70.

Je ferme les yeux. Cette vision est trop douloureuse pour moi. Pourtant, quand je ferme les yeux, je la revois ce fameux matin, quand elle m'a réveillé avec un café chaud. La veille, elle m'avait demandé de rester avec elle.

C'est idiot, mais je n'ai jamais su lui résister. Elle aurait pu me demander la lune, j'aurai tout donné pour la lui offrir. Mais c'est Laure. Et Laure n'a jamais rien exigé de moi. Sauf ces derniers temps. En silence, elle attendait mon attention, mon amour...

Je sursaute et me renverse du café sur mon haut de pyjama en entendant la sonnette. Je rouvre les yeux en soupirant, posant ma tasse sur la table. Je regarde l'heure. Treize heures. Qui peut bien venir me déranger à cette heure-ci alors que j'ai travaillé toute la nuit jusqu'à sept heures?

Frustré et énervé, je rejoins l'entrée et ouvre la porte. Je cligne plusieurs fois des paupières, regardant, surpris, la femme face à moi.

-Maman?
-Qui d'autre! Franchement, Adam!

Elle me pousse et entre chez moi. Malgré tout, je souris. Je ferme la porte pour la suivre jusqu'à la salle à manger, où elle dépose sur la table un plat en verre.

Je la regarde d'un air absent alors qu'elle retire son foulard et son coupe-vent crème, qu'elle pose sur le dossier d'une chaise. Elle se tourne ensuite vers moi. Et son regard s'adoucie.

-Qu'est-ce que tu fais là?
-Mon chéri... Ça fait une semaine que j'essaie de t'appeler...
-Je... j'étais occupé. Désolé.

Elle darde sur moi un regard que je lui connais bien. Elle juge de mon état mental. Un soupire quitte la barrière de ses lèvres.

-Va prendre une douche, je m'occupe de ton repas. Ensuite, tu me raconteras. Et je t'interdis de me dire que tout va bien! Je suis ta mère, Adam. Je sais tout.

Je lui souris. Je ne peux rien faire contre la volonté de ma génitrice. En passant à côté d'elle, je l'embrasse tendrement sur la joue.

-Merci, maman.
-Allez, file.

Elle me repousse gentiment. Alors je fonce à la salle de bains où je nettoie d'abord les tâches sur mon tee-shirt à rayures blanches et bleues. Ensuite, je passe sous la douche.

Lorsque je suis prêt, habillé d'un pantalon côtelé marron, d'une chemise blanche, et de chaussures simples, je rejoins la salle à manger. Une assiette m'attend, fumante.

Je m'installe sous le regard observateur de ma mère. Je suis tellement passif que je mange, sans même me demander pourquoi elle ne déjeune pas avec moi.

-Alors?

Mon assiette finit, je relève la tête vers elle tout en buvant une gorgée d'eau. Je fronce les sourcils.

-Quoi?
-Pourquoi ne m'as-tu pas répondu? J'ai appelé une vingtaine de fois. J'étais morte d'inquiétude.

Comme Laure. C'est inévitable, tout me ramène à elle. Je baisse la tête.

-Beaucoup de travail. Désolé.
-Adam, regarde moi.

Je lève mon regard brouillé de larmes vers ma mère. J'ai l'impression de redevenir un petit garçon, qui court pleurer sous les jupons de sa mère. Mais je n'ai pas honte.

-Désolé, maman.
-Qu'est-ce que... C'est grave?
-J'ai tout fait foirer!

S'en est trop pour moi. Je couvre mes yeux de mes mains, cachant ainsi mes larmes. J'ai peur de ne jamais la retrouver, de l'avoir à tout jamais perdu. Si c'est le cas, jamais je ne m'en remettrais.

Je sens deux bras forts et réconfortants m'entourer. Ma mère m'attire la tête contre son ventre, me caressant les cheveux, et me chuchotant des mots rassurants. Elle me réconfortait de la même façon lorsque j'étais petit.

Je me calme rapidement. Elle s'installe à mes côtés, me prenant les mains dans les siennes, me regardant droit dans les yeux. Je ne baisse pas le regard. Un maigre sourire étire mes lèvres.

-Raconte moi, mon chéri. Qu'est-ce qui te rend si triste?

Je prends une grande inspiration avant de tout lui raconter, du début, jusqu'à la fin, du coup de foudre aux séparations. Elle m'écoute sans me couper. Elle hoche simplement la tête. Lorsque je finis, j'attends sa réaction.

-Eh bien... C'est une sacré histoire.
-Je sais.
-Tu sais, la première fois que j'ai vu cette fille, j'ai su qu'elle était importante pour toi, j'ai vu cette façon dont vous vous regardiez. Mais...
-Mais?
-J'ai aussi compris qu'elle cachait quelque chose. Une peine qu'elle a du mal à soigner.
-Je crois avoir quelques suppositions. Mais rien de sûr. Qu'est-ce que je dois faire, maman? Je l'aime, je sais que c'est la femme de ma vie. Je veux la récupérer.

Elle humidifie ses lèvres et se racle la gorge.

-Je crois qu'elle a eu assez de temps pour réfléchir. Je pense que tu devrais aller chez elle, avoir une vraie conversation. Pas aujourd'hui. Il faut que tu sois reposé, calme, or, tu es encore trop bouleversé.
-Tu ne pense pas qu'il est trop tard?
-Une femme amoureuse peu supporter plus que de raison. Et elle peut attendre des années. Il n'est jamais trop tard quand il est question d'amour.
-Merci maman, merci.

Je me redresse pour la serrer dans mes bras, respirant son odeur douce et rustique. Elle m'embrasse la tempe, me caressant le dos.

-J'aimerais aller rendre visite à tes grands-parents, au cimetière. Tu veux bien m'accompagner? Ça t'aidera à reprendre courage et espoir, et te vider de tes mauvaises émotions.
-Je veux bien. Ça me ferait plaisir.

Ma mère quitte mes bras et me dépose sur chacune des joues un baiser aimant. Son sourire me met du baume au cœur. Et je prends silencieusement une résolution. Celle de chérir avec patience et empathie Laure, qu'elle me pardonne ou non.

Dessert sucréOnde histórias criam vida. Descubra agora