51 - Le baron de Weizsäcker

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À bien des égards, la vie sur un bateau différait des voyages en train. L'impression d'avancer vers les côtes américaines, Ciel ne la ressentait que parce qu'il en avait conscience. Enfermé dans les salons mondains de première classe, il percevait à peine le navire filer sur l'eau. C'était une autre affaire lorsqu'il sortait sur le pont les soirées. La puissance du vent qui sifflait à ses oreilles faisait bondir son cœur. Enivré par l'effervescence de la liberté, il s'imaginait déjà voir surgir au bout de l'horizon New York City et ses murailles de buildings, une terre dynamique et neuve loin de sa vieille Angleterre conservatrice. Mais partout où son regard se fixait, il n'y avait que l'océan, son sempiternel ressac, son odeur de sel. Ciel mourait d'impatience. Et l'Atlantique n'en finissait plus de recueillir ses soupirs. Quand donc allaient-ils atteindre la terre promise ?

Dylan n'avait pas le temps pour ce genre d'interrogations. L'étudiant originaire d'Irlande planchait à toute heure sur les documents qu'ils avaient glané au sujet d'Hayden Park, l'institut médical qu'ils infiltreraient le 1er novembre. Mais des informations capitales manquaient aux armatures de l'investigation. Le brun commençait à comprendre qu'ils ne pourraient évaluer l'entièreté du puzzle seulement quand ils entreraient au cœur de la structure hospitalière. Il n'arrivait pas à s'empêcher de questionner Ciel, néanmoins.

- Pourquoi la Reine s'est-elle montrée si radine sur les précisions ? Se plaignit-il, attablé au restaurant de première classe alors que le bleuté revenait vers lui, soulevant dans les airs un plateau sur lequel tenaient en équilibre deux cafés viennois. Surtout quand on connaît ton efficacité. Il te fallait un dossier complet.

- Dylan, calme-toi. Penses-tu sincèrement qu'elle m'ait délibérément caché des détails ? Ça n'aurait rimé à rien.

Il installa les consommations sur la table en s'échaudant le bout des doigts.

- Victoria du Royaume-Uni qui ne réussit pas à obtenir la simple liste des employés d'un minable hôpital new-yorkais ? J'en ai entendu des mensonges dans ma vie, mais celui-ci, je n'y crois pas une seconde.

- Il va pourtant falloir.

- Elle nous prend pour des beunets. Des amateurs qui s'estiment capables de trouver et faire coffrer les coupables d'une si grosse affaire juste avec une pauvre lettre ! Et elle l'a bien façonnée. C'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre...

- Arrête tes insinuations perfides et tourne sept fois la langue dans ta bouche avant d'attaquer celle qui a sué sang et eau pour rendre la grandeur à notre empire.

- Tss.

D'une impulsion du poing, l'avironneur broya la feuille qu'il avait en main. Ciel savoura la frustration de son partenaire en silence. C'était dans ces instants qu'il découvrait l'autre versant de la personnalité de Dylan, celui d'un garçon accro aux précisions et dépendant des règles qui refusait d'avancer sur des chemins non dessinés. Les prochaines semaines qu'ils vivraient ensemble n'allaient pas seulement leur permettre de solidifier leurs liens fragilisés, elles seraient aussi une voie d'accès vers l'intimité de l'autre. Ils allaient se découvrir pour le meilleur et pour le pire. Aussi bien les habitudes agaçantes que les mimiques routinières qui cadençaient leur vie privée, tout serait mis à jour. Ciel ne s'inquiétait pas plus que de mesure à ce sujet, car loin déjà était le temps où il s'était promis de ne changer pour personne. Qu'il soit question d'amitié ou de romance, on l'accepterait avec ses défauts ou on taillerait la route.

- Elle a manqué de temps, assurément. Se persuada le bleuté. ll ne faut pas croire qu'une vie de souveraine n'est faite que de loisirs.

- À un tel point qu'elle prépare son jubilé de diamant. J'espère qu'elle nous invitera tiens.

𝐓𝐡𝐞𝐨𝐫𝐲 𝐨𝐟 𝐁𝐫𝐨𝐤𝐞𝐧 𝐃𝐫𝐞𝐚𝐦𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant