Part 2.8

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Une boule de feu embrasa le ventre de Lexi. Elle eut envie de crier, de pleurer et d'appuyer sur l'accélérateur pour écraser sa sœur, Fez et même Enzo. Au lieu de ça, elle resta accrochée au volant, à observer la scène. Cassie, sur le pas de la porte d'entrée, tenait son fils dans ses bras, elle portait un tee-shirt trop grand sur un jogging et ses cheveux étaient attachés négligemment. Fez apparut derrière elle et plaça une main dans son dos, juste au creux de ses reins. Il sembla dire quelque chose au petit qui lui tira la langue. Cassie rit, il la regarda avec tendresse et l'embrassa d'abord sur la joue et puis sur la bouche. Elle sembla fondre et un sourire illumina tout son visage. Il partit à pied et se retourna pour dire quelque chose qui fit rougir Cassie. Elle répondit et fit faire à Enzo un petit signe d'au revoir alors qu'elle posait un baiser sur sa main et le lui envoyait. Elle le regarda partir et se mordit la lèvre inférieure avant de rentrer.

Lexi resta plusieurs minutes encore, à fixer le perron vide. Elle pouvait voir du mouvement à l'intérieur de la maison. Elle aurait pu aller sonner, demander des explications ou prétendre qu'elle ne savait rien et attendre de voir si Cassie lui disait la vérité. Elle présumait que non. Tout s'expliquait maintenant, ses regards furtifs, cette discussion avec sa mère, sa façon de ne pas vouloir la brusquer. Elle avait probablement honte de ce qu'elle faisait, mais bien-sûr ça ne l'avait pas arrêté. Ce que Cassie voulait, elle le prenait, point final. De tous les hommes sur Terre, il avait fallu qu'elle choisisse celui qui avait le plus d'importance pour Lexi. Que valait son amitié avec Fez maintenant qu'ils étaient ensemble ? N'était-elle plus que la sœur de celle qu'il aimait ? Elle se sentit minuscule, encore une fois, elle prenait le second rôle d'une histoire plus grande. Elle n'était qu'une figurante, anonyme, facultative.

Elle démarra le moteur et roula à travers la ville. Elle passa devant le lycée où elle avait perdu tant d'années à se demander ce qu'elle y faisait, la maison de Maddy qui avait été son amie mais surtout la meilleure amie puis la pire ennemie de sa soeur, celle de Nate où de nombreux drames s'étaient joués sans qu'elle n'y participe. Enfin, elle vit la mère de Rue prendre le soleil sur sa terrasse et elle comprit qu'elle ne l'avait pas reconnu. Elle était comme un fantôme ici, prisonnière d'un passé qu'elle avait l'impression d'avoir seulement survolé. Elle songea à New York, elle avait construit quelque chose là-bas. Pourtant, elle n'avait pas non plus envie d'y retourner. Qui était-elle là-bas? Madame Howard ? La femme d'affaire assoiffée de réussite ? La future Madame Brett Lehrman, si malheureuse dans son couple qu'elle songeait à tromper son mari avant même de l'avoir épousé ? Elle refusait d'être une de ces choses là. C'était fini pour cette Lexi.

Elle atterrit à l'hôpital Highland et descendit de la voiture comme si son corps était contrôlé par quelqu'un d'autre. Elle se retrouva à prendre l'ascenseur pour le sixième étage et elle ne fit pas cas des gens qui la regardaient. Elle se vit dans le reflet du miroir avec ses cheveux en bataille et son pyjama rayé, elle s'en foutait. Elle se rendit devant la chambre quatorze et posa sa main sur la poignée de la porte. Son cœur battait anormalement doucement et ses oreilles sifflaient.

Elle se retrouva face à son père, inconscient, branché à plusieurs machines. Il n'avait plus rien de l'homme dont elle se souvenait. Son visage était creusé et d'une couleur blanc livide. Il semblait déjà un peu mort. Elle s'approcha doucement et posa ses mains sur la barrière qui encerclait son lit médicalisé. C'était un inconnu allongé devant elle. Un flot de souvenirs déboulèrent en désordre. Un sourire, une parole, une odeur, une sensation. Et puis le vide. Un jour il avait juste cessé d'être son père.

Elle songea à ce reportage qu'elle avait vu quelques semaines auparavant à propos des Johatsus, ou les évaporés, en japonais. Un véritable phénomène de société au Japon avec chaque années des milliers de personnes qui au lieu d'affronter un échec, une déception ou simplement le poids des responsabilités, décidaient de disparaître volontairement. Brett n'avait pas arrêté de faire des commentaires tout au long du sujet : "tu te rends compte... quelle lâcheté... et leurs familles... c'est idiot... pourquoi ne pas assumer... les épreuves vous rendent meilleurs... moi je ne perds jamais, j'apprends..." Lexi ne savait pas comment elle avait pu garder son calme face à ces phrases toutes faites. Son père était une sorte de Johatsu. Disparu pas parce que la vie lui était insupportable mais parce qu'il avait préféré le crack à la paternité. Le pire, c'était qu'à ce moment-là, Lexi ne lui en voulait pas. Elle l'enviait. Elle avait été fascinée par ces histoires de vie et, malgré toute la tristesse qu'elles dégageaient, malgré le mal fait autour de soi, Lexi ne pouvait s'empêcher de se dire que c'était peut-être ça la liberté.

"Tu te souviens quand j'étais petite et que tout le monde disait à quel point Cassie te ressemblait et moi je ressemblais à maman ? Toi tu répondais en riant que tu n'étais pas sûr que je sois de toi... Moi, je ne comprenais pas bien et je me disais que peut-être que j'avais été adoptée ou que des extra-terrestres m'avaient déposés un jour devant la maison. La vérité c'est que ce sentiment ne s'est jamais envolé. J'ai jamais vraiment été à ma place ici, ou dans cette famille. J'étais différente. Je ne savais pas ce que j'avais de si différent mais je l'avais.

Puis je me suis installée à New York et tu vois, j'ai construit une putain de vie là-bas. J'ai un super appart, un job dans lequel je suis importante, j'ai même un assistant. J'ai un fiancé aussi, oui... un homme parfait... qui m'a demandé de l'épouser avec un genou à terre et un diamant qui t'aurait payé des mois de crack. J'ai tout ça, tout ce dont on peut rêver... Mais là-bas non plus je suis pas à ma place, c'est comme si je me voyais faire ou dire des choses mais sans pouvoir les toucher. En fait, je crois que je déteste cette vie...

J'ai jamais trouvé où je devais être. J'ai bientôt trente ans et j'en n'ai toujours aucune idée. Je sais pas qui je suis papa...

C'est marrant parce qu'il y a encore quelques minutes, je pensais que tout ça c'était de ta faute ou de la faute de cette famille. Que tu nous avais toutes bousillées en disparaissant comme ça. Mais en fait, non...  Pas moi. C'est pas à cause de toi. C'est moi qui n'ai jamais trouvé qui j'étais. Mais je crois que j'ai jamais cherché en fait. J'ai toujours suivi, sans vraiment prendre de décision, sans jamais m'affirmer..."

Elle fit une longue pause et réfléchit. Elle caressa les cheveux gris de son père et tenta d'inscrire dans sa mémoire chaque parcelle de son être, de le scanner et de l'imprimer dans sa tête, elle savait que c'était la dernière fois qu'elle le voyait. Sa gorge se serra, elle parvint à peine à articuler la suite.

"Je suis désolée, je vais pas te donner mon rein. Je peux pas le faire parce que si je le fais, j'aurai pas la force de me sortir de cette situation. Je me laisserai aller et c'est moi qui mourrai à petit feu."

Elle laissa les larmes rouler sur ses joues et pleura abondamment, comme elle ne l'avait pas fait depuis l'enfance. Un tourbillon d'émotions contradictoires se mêlaient, elle avait conscience de condamner son père mais elle n'avait jamais été aussi sûre de prendre la bonne décision. Tout était parfaitement clair maintenant et elle ne pouvait pas laisser passer son heure.

"J'espère que tu me pardonnes... Moi je t'ai pardonné..." souffla-t-elle dans un dernier sanglot.

Elle prit sa main décharnée pour l'embrasser et s'aperçut qu'il la serrait doucement. Il avait les yeux à moitié fermés et semblait à bout de force. Il avait la bouche trop sèche pour parler mais Lexi comprit qu'il lui disait qu'il l'aimait.

Euphoria : L'autre HowardWhere stories live. Discover now