Euphoria : L'autre Howard

Part 2.5

Le téléphone de Lexi sonna à sept heures trente. Elle n'avait pas dormi. Toute la nuit, elle avait essayé d'imaginer sa vie sans Brett. Ils allaient devoir vendre l'appartement, elle en prendrait un nouveau, probablement pas à Manhattan. Revenir à Brooklyn lui paraissait être un retour en arrière, peut-être devrait-elle tenter un nouveau quartier. Elle pensa à leurs amis. Lesquels prendraient son parti et lesquels resteraient dans le camp de Brett ? Allait-elle en perdre beaucoup ? Comment se débrouillerait-elle toute seule ? Après tout, elle était partie de la maison pour une chambre partagée à l'université puis pour emménager avec Brett. Elle n'avait jamais vécu toute seule. Cela lui ferait-elle du bien ? Ou se sentirait-elle isolée ? Peut-être prendre une colloc pour éviter ça. Et au travail, comment annoncerait-elle la nouvelle ? Se séparer à son âge, serait-ce considéré comme un signe de faiblesse ? C'était plutôt le moment de fonder une famille. L'horloge biologique s'était déjà mise à tourner. Il lui restait moins de deux ans avant le cap des trente ans et à son âge sa mère avait déjà deux petites filles qui marchaient. Combien de temps pour trouver un nouvel amour ? Elle ne se voyait pas enchaîner les histoires d'un soir mais se dit que ce serait peut-être une expérience à tenter. Elle devrait respecter un délai de carence. Un peu de solitude pour pouvoir retrouver une relation saine. Elle s'imaginait tomber amoureuse. Un homme à l'opposé de Brett avec les yeux de Fez et l'innocence d'Andrew. Allait-elle vraiment faire ça ? Allait-elle vraiment jeter cinq années à la poubelle et recommencer ? Beaucoup de couples traversent des passages à vide. Peut-être que c'était simplement ça. On ne peut pas aimer comme au premier jour toute la vie. Il faut savoir s'accrocher. Mais est-ce que ça valait le coup ? Ne méritait-elle pas mieux qu'un amour fade ?

Les questions tournaient en faisant des boucles, des nœuds s'entortillaient dans sa tête. La sonnerie fut une libération. Elle attrapa son mobile, sortit dans le couloir et répondit sans regarder le numéro qui l'appelait.

"Madame Howard ? demanda une voix de femme

- Oui.

- Hôpital Highland à l'appareil. Nous avons les résultats de vos analyses."

Tout le corps de Lexi se tendit brusquement. Elle appuya sa main libre contre le mur. La femme au téléphone sembla fit une pause.

"Voulez-vous les entendre ? demanda-t-elle.

- Oui, répondit Lexi d'une voix hésitante.

- Vos analyses ont révélé que vous êtes compatible à 100% avec le receveur. Si vous le souhaitez toujours, nous pouvons donc programmer une opération pour cette fin de semaine."

Lexi déglutit. Dans son fort intérieur, elle avait toujours été persuadée que les résultats seraient négatifs. Elle n'avait pas vraiment envisagé de devoir donner une partie d'elle-même, subir une opération, une convalescence et les séquelles qui vont avec. Elle s'était dit qu'elle faisait le test pour sa conscience, pour pouvoir dire qu'elle l'avait fait. Mais à aucun moment, il ne lui était apparu qu'il allait peut-être changer sa vie.

"Madame Howard, vous êtes là ? demanda la femme

- Oui...

- Prenez quelques heures pour réfléchir et revenez vers nous s'il vous plaît. Je sais que c'est une décision lourde de conséquence. Rien ne vous oblige à le faire."

Lexi voulut répondre mais aucun mot ne sortit de sa bouche.

Elle s'adossa contre le mur et fixa l'écran de son téléphone éteint pendant plusieurs minutes. Oui ou non ? Elle avait le pouvoir de sauver son père. C'était son choix. Si elle refusait, elle le condamnait. Si elle acceptait, elle se préparait à un parcours douloureux pour elle. On peut vivre avec un seul rein, répétait son inconscient mais des images de documentaires sur les transplantations déboulaient en flash dans son cerveau. Elle revit cet homme qui avait fait un don de moelle osseuse à son voisin. "Malgré la souffrance, je suis content de l'avoir fait, j'ai sauvé une vie" disait-il héroïque sur un fond de musique classique. Elle se rappela de cette séquence trop réelle dans la salle d'intervention, le donneur réagissait mal à l'anesthésie, il avait fallu le réanimer et quand il s'était réveillé, il avait perdu sa capacité d'élocution qu'il ne retrouva qu'au prix d'intenses mois de rééducation.

La maison se réveilla peu à peu et Lexi eut l'impression que le monde tournait autour d'elle sans qu'elle n'y participe vraiment. Machinalement, elle se fit un café, elle assista à une discussion entre sa mère et Brett, quand elle était interpellée, elle ponctuait de oui, non, hum, c'était suffisant. Elle avala une tartine de confiture dont elle ne sentit pas le goût. Elle résistait chaque seconde à l'envie de se lever et de partir en courant. Où ? Elle ne savait pas. Rentrer à New York paraissait irréalisable. Ici, chez une de ses vieilles amies à qui elle ne téléphonait jamais ? Elle pourrait retenter d'aller trouver Fez mais que penserait-il d'elle si finalement elle décidait de garder son rein ? Lui n'était pas du genre à hésiter sur les questions de vie ou de mort, il l'avait montré à plusieurs reprises. Il avait fait de la prison pour cacher le crime de son frère, mis sa vie en mode pause pour sauver Rue d'une des nombreuses galères dans lesquelles elle s'était mise. Qui sait, si elle lui disait pour son père, peut-être proposerait-il de faire un test de compatibilité.

En parler à Cassie ? Étonnamment c'était l'idée la plus réconfortante qui lui venait. Elles avaient eu leurs différents bien-sûr, comme toutes les sœurs et il est vrai que depuis que Lexi était partie, elle n'avait pas fait d'effort pour entretenir leur lien. Elle avait surtout essayé de lui montrer à quel point elle avait réussi, à quel point elle valait quelque chose (de mieux qu'elle avait-elle honte de penser). Mais malgré tout, Cassie restait sa grande sœur, celle avec qui elle avait ri, joué, pleuré, grandi, vécu le divorce de ses parents. Même sans l'entretenir, le lien serait toujours là. Elle avait envie de se blottir dans ses bras, comme quand elle était petite et qu'elle avait fait un mauvais rêve. Comme le jour où son père était parti. Comme à chaque fois qu'une épreuve se mettait sur sa route. La jugerait-elle sur son hésitation ? Probablement ? Comprendrait-elle ? Probablement aussi. Cassie était un être sensible et empathique. Ses actions ne l'avaient pas toujours montré mais Lexi le savait. Elle avait traversé beaucoup d'épreuves et savait que la vie était une route sinueuse. C'était peut-être aussi pour ça qu'elle n'aimait pas beaucoup Brett, parce que tout cela lui paraissait faux. D'ailleurs, elle avait probablement raison. Cassie pourrait aussi la conseiller sur la meilleure façon de le quitter. Oui, à elle, elle pourrait dire tout ce qu'elle ressentait.

Elle se leva de sa chaise sous les yeux médusés de sa mère et Brett qui visiblement attendaient une explication. Elle attrapa une veste et, comme elle était, en pyjama, elle annonça qu'elle filait chez sa sœur. Personne ne put l'en empêcher.

"Merde" lâcha Suze.