Part 2.2

44 5 0
                                    


Comme la route, la maison de son enfance était exactement la même. Suze avait juste réaménagé la chambre de ses filles pour s'en faire un petit atelier de peinture. Les lits de deux sœurs avaient été collés l'un à l'autre dans ce qui était autrefois la partie de la chambre occupée par Cassie. Quant à la partie de Lexi, elle avait été remplie de toiles blanches ou inachevées, de pinceaux et couteaux, de livres, de palettes et autres matériaux dont elle ne connaissait pas bien l'utilité. La pièce sentait la gouache et la marijuana, c'était un espèce de chaos dans lequel seule Suze savait se retrouver. En arrivant de l'hôpital, Lexi y monta directement prétextant se sentir nauséeuse. Brett la rejoint dix minutes plus tard et il la prit dans ses bras en se glissant sous la couverture.

"Comment tu te sens ? demanda-t-il d'une voix trop douce.

- D'après toi ? rétorqua Lexi plus méchamment que ce qu'elle souhaitait.

- ...

- Pas bien. J'espère qu'on aura vite les résultats et qu'on pourra partir d'ici.

- Deux jours maximum ma chérie."

Il posa un baiser sur sa joue qui résonna dans ses oreilles. Elle s'écarta machinalement.

"Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Brett.

- Rien, c'est que j'ai un peu mal au bras à cause de la prise de sang. J'ai besoin d'espace."

Il recula en tentant de réprimer son agacement. Lexi y vit une parfaite occasion de se défouler.

"Ecoute, je suis désolée que tout ça soit tellement pénible pour toi. Je t'avais dit de rester à New York. Je t'avais dit que je ne serai pas au top de ma forme.

- J'ai rien dit Lex...

- Non mais bon. Tu comprends bien que j'ai envie de tout sauf de sexe là.

- Qui parle de ça ? Je ne peux plus embrasser ma propre fiancée ?

- ...

- Lexi ?

- Quoi ?

- Tu me réponds pas ?

- Non, écoute, j'ai pas envie qu'on s'engueule, j'ai passé une mauvaise journée si t'as pas remarqué, je suis fatiguée. Je préfère dormir."

Elle s'éloigna encore plus de lui. Elle était prête à tomber du lit. Brett aussi lui tourna le dos et elle s'endormit avec un horrible sentiment de victoire.

Le lendemain matin, elle prit son petit déjeuner sur la terrasse de la maison. Une belle journée se préparait, les premiers rayons de soleil éclairaient un ciel sans nuage et la rue était si calme qu'elle pouvait entendre les oiseaux chanter. Il était sept heures et tout le monde dormait encore. Elle mit ses mains autour de sa tasse de thé noir et apprécia cet instant de répit.

Sa mère se leva quinze minutes plus tard. Les cheveux en bataille et des cernes jusqu'au menton, elle fumait déjà une cigarette. Elle s'assit près de Lexi sans rien dire. Un instant après, la voiture de Cassie se garait dans l'allée. Elle en sortit, habillée de son uniforme de vendeuse en parfumerie et ouvrit la porte arrière pour libérer Enzo, son fils. Il courut de la voiture vers sa grand-mère, les bras grands ouverts. Enzo avait deux ans et demi. Il était le portrait craché de Cassie : un blondinet avec de grands yeux bleus et une bouche parfaitement dessinée. En le voyant débouler sur la terrasse, Lexi se souvint à quel point elle aimait cette petite boule d'énergie et elle se revit elle-même durant son enfance, joyeuse, inconsciente de ce que la vie lui réservait. Après avoir subi l'embrassade parfumée de tabac de Suze, il se jeta dans les bras de Lexi. "Tatie !" cria-t-il de sa petite voix stridente. Elle le serra contre elle et respira son odeur de crème pour bébé. Elle le couvrit de baisers et s'entendit parler avec une voix zozotante.

"Je le récupère à quatre heures", dit Cassie en déposant un petit sac sur un fauteuil de la terrasse. Elle se pressa ensuite vers sa voiture et démarra rapidement. Elle n'échangea aucun mot avec Lexi et pas un regard non plus. Lexi se demanda si elle lui en voulait pour la veille, de ne pas avoir voulu voir son père. Ou peut-être était-ce parce qu'elle était gênée de laisser Enzo à sa mère pendant qu'elle travaillait. Mais quel autre choix s'offrait à elle ? Elle n'avait que Suze, le père d'Enzo s'étant évanoui dans la nature le jour où elle lui avait montré un test de grossesse positif. Elle observa la voiture s'éloigner et entendit les pas de Brett dans l'escalier.

A peine fut-il arrivé en bas des marches qu'Enzo se jeta sur lui à son tour. Il le prit dans ses bras et lança un sourire complice à Lexi qui détourna les yeux. L'image d'un bébé ayant la tête de Brett lui vint et elle fut prise d'une panique qui l'obligea à s'asseoir et à se concentrer sur sa respiration. Cinq temps d'inspiration, cinq d'expiration, la cohérence cardiaque, le remède miracle à tous ses rendez-vous stressants et son quotidien effréné. Pourquoi en avait-elle besoin alors qu'elle pensait à un potentiel bébé ?

Tandis que Brett jouait avec son neveu, Suze se mit à grogner devant le réfrigérateur vide.

"Vous voulez que j'aille faire des courses madame Howard ? Ça ne me dérange vraiment pas, lança le gendre idéal.

- Tu veux te défiler de la garde du gosse ?" plaisanta sa belle mère.

Il balbutia quelque chose mais Lexi le devança en se levant d'un bond : "J'y vais, ça me fera du bien de prendre l'air".

Elle s'enfuit vers le garage sans que Brett ou Suze n'eurent le temps de protester. "Je rapporte des trucs tout prêts ne vous en faite pas" cria-t-elle en enfourchant son vélo d'adolescente.

Elle pédala vite, le vent s'infiltrait dans ses cheveux et le soleil tapait sur sa peau. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas fait de vélo et elle avait oublié la sensation de liberté que ça lui procurait. Elle sentit l'odeur de l'herbe fraîchement coupée dans les jardins du lotissement et un sourire s'afficha sur son visage, pour la première fois depuis des semaines, quelque chose faisait battre son cœur. Elle n'avait pas proposé d'aller faire les courses innocemment. L'idée lui était venue subitement, entre l'horreur d'imaginer Brett en père de son enfant et la complainte du frigo vide de sa mère. C'était peut-être le déclic qu'elle attendait. Elle dévala une descente sur le grand pignon et eut une impression de danger qui la fit frissonner. Elle allait peut-être déraper et se fracasser la tête la première, ou bien allait-elle simplement arriver en un temps record et sans accroc ? Elle ne le savait pas, tout ce à quoi elle pensait c'était qu'il fallait qu'elle se recoiffe et se calme un peu avant d'entrer dans le magasin de Fezco.

Euphoria : L'autre HowardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant