Le bal de cristal

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-Vous m'admirez ? Moi ?

Elle rit.

-Oui, vous, Lévana Sildek.

-Personne ne m'a jamais encore dit ça. Du moins, pas avec autant de sincérité.

-Cela viendra, croyez-moi.

-Pourquoi ?

-Pourquoi ? vous me demandez pourquoi ? Parce que je n'ai jamais vu une jeune fille de votre âge se jeter devant un souverain qui n'était pas le sien pour prendre un couteau à sa place. Parce que je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui avait autant de force, qui se retrouve mêlée à des conflits et des guerres qui ne le concernent pas, dont il n'avait pas connaissance et qui est capable de tout affronter. Même si la Tour d'Ivoire est un enfer, vous êtes loin de chez vous, des gens que vous avez aimés, et pourtant, vous gardez la tête haute, vous souriez, vous nous avez fait confiance et vous nous avez offert votre amitié. Le monde commence à comprendre que votre valeur n'est pas seulement celle que les Souffleurs de Rêves ont faite de vous, qu'il n'y a pas que les connaissances dont vous êtes le maitre, non, il y a autre chose, c'est vous. Votre aura, votre charisme. Ils commencent à comprendre que vous pourriez rassembler des hommes et des femmes autour de vous, que des gens seraient prêts à se battre pour vous.

-C'est ridicule, je ne suis personne.

-En êtes-vous si sûr, Lévana Sildek ? Vous êtes en train de créer votre légende. Mais prenez-garde, certains risques de prendre peur et de craindre votre pouvoir grandissant. Les assassinats sont chose commune dans mon monde comme ils l'étaient dans le vôtre. Ne baissez jamais la garde. Ce que je suis en train de vous dire, c'est que bientôt, ce couteau que vous avez pris pour la reine vous sera entièrement destiné. À vous. Et à personne d'autre. Les gens n'aiment pas voir les choses changer, et vous, vous êtes en train de tout faire imploser. Vos ennemis sont partout. Parmi les vôtres, et parmi les miens.

-C'est pour ça que vous avez choisi le violet, n'est-ce pas ?

Je désignai la longue robe bustier d'un violet très pâle qui épousait mes formes avec grâce. De fins voilages se croisaient sur ma poitrine et offraient une légèreté toute Saphir à la toilette. Malgré tout, elle était plus habillée que toutes les autres robes que j'avais portées depuis mon arrivée en Nation de Saphir.

Alizéa sourit doucement et toucha l'étoffe soyeuse.

-Malgré votre amitié certaine avec la Nation d'Émeraude, et votre geste envers la Nation de Saphir, je pense qu'il est judicieux de continuer de vous habiller avec des couleurs neutres. Vous n'êtes pas comme les autres, Lévana, il est important de le rappeler aux gens.

-Je pense que c'est la meilleure solution, en effet.

Elle continua à travailler ma robe avec application. Nous ne parlâmes plus, et j'étais si profondément perdue dans mes pensées que lorsqu'elle me demanda si j'avais dans mes affaires un foulard nacré, je ne l'entendis d'abord pas.

-Je pense que ce serait très élégant de le nouer dans vos cheveux, cela ferait ressortir le noir de vos cheveux. C'est très à la mode, actuellement.

-Oh oui, je dois avoir cela, fis-je d'un ton un peu surpris. Ava a commencé à ranger mes toilettes dans les valises, mais vous pouvez fouiller.

Dans un bruissement d'étoffe vaporeux, Alizéa se mit en quête du foulard, quant à moi, je me perdis dans la contemplation de mon reflet. Depuis mon départ de la Tour, cela m'arrivait rarement. Parfois, j'avais du mal à me souvenir. J'oubliais qu'un jour j'avais eu des cheveux de la couleur de l'or et du soleil à son zénith, que mes yeux possédaient une nuance de violet unique au monde, que ma peau avait la teinte de la nacre, et que les traits de mon visage parlaient d'harmonie et de perfection. Il aurait été tellement plus facile d'oublier. Laisser Era Eléazar-Malkam tomber dans l'oubli et mourir, et ne rester que Lévana Sildek. Oublier que la gomme d'Arsox recouvrait mon visage, que le noir corbeau de mes cheveux et le pourpre de mes yeux n'étaient que mensonge et tromperie. Il m'arrivait de rêver que je me prenais un violent coup sur la tête et que j'oubliais tout de ma vie d'avant, que je pourrais être Lévana sans culpabilité, sans mentir. Mais, où que j'aille, quoi que je fasse, Era me poursuivait. Era était trop, représentait un symbole qui m'était trop dur à porter, Era était aimé par des êtres dangereux et cruels. Era ne s'appartenait pas. Elle appartenait à la Tour, à son passé, à son héritage, à ses ancêtres et à l'histoire de sa famille, et celle de la Tour tout entière. Lévana, elle, était libre. Elle pouvait aimer sans crainte, vivre sans contrainte.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Where stories live. Discover now