Chapitre 7

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Putain de merde.

Le flash d’information s’est terminé sur un jingle et ces trois mots se sont percutés à nouveau dans mon crâne : « putain, de, merde ». J’en étais coi, tellement sous le choc que j’ai arrêté de lire mon comics sur les zombies pendant de longues secondes.

J’étais assis à même la moquette, dans le vieux centre commercial d’Eagle Pass. Bleue passée, les coutures bourrées de poussière grisâtre, c'était une de ces moquettes que trop de pieds avaient foulé. Tout ressemblait à ça, ici : dans cette ville, c'était la poussière qui faisait la loi. Et assez logiquement, ce vieux centre commercial n'y échappait pas. J'avais le dos calé contre une étagère, une de celles qui font mal au dos, à la longue, parce que l'une des planches me rentrait entre les omoplates. Assis tailleur, dans mon petit coin. Je repensais à ma nuit avec Stella en tournant les pages, parfois, et toujours ces picotements au creux de mon ventre. Et puis, la radio grésillante au-dessus de ma tête proposa une page de pub avant d’envoyer les infos du jour. C’était une antenne locale qui nous avait habitués aux salons du Cochon et aux concerts de country. Mais ce que j’entendis là me donna la nausée.

“C’est une information qui nous a été confirmée à l’instant par Tom Skinner, le porte-parole des centres américains de contrôle et de prévention des maladies : le Texas, la Louisiane, le Mississipi, l’Alabama, la Géorgie et la Floride sont en état d’urgence sanitaire de niveau 1. Les hôpitaux et les services de secours sont pris d’assaut par une quantité croissante de personnes rapportant des malaises, de puissants maux de têtes incapacitants, des évanouissements et des comportements agressifs souvent violents. Suite à la mutinerie de la prison de Piedras Negras hier après-midi, quarante personnes ont été admises à l’hôpital Fort Duncan d’Eagle Pass. Seize d’entre elles ont trouvé la mort dans la nuit après une violente manifestation des symptômes. Ce matin, près de deux-cent personnes ont été admises à l’hôpital, du jamais vu pour un centre qui ne compte qu’une centaine de lits. Pour gérer cette crise sanitaire, les collégiens et lycéens ont été renvoyés chez-eux à midi et les gymnases accueillent maintenant des brancards de fortune.   

C’est la première fois depuis 2009 et la grippe H1N1 que ce niveau est activé.

Dans un communiqué de quelques minutes, le Président s’associe à M. Skinner pour demander aux gens de respecter l’état d’urgence sanitaire, de limiter tout contact avec d’autres individus, et dans la mesure du possible, de regagner leur domicile. Nous attendons des renseignements supplémentaires sur ce mal qui frappe nos concitoyens, et nous vous tiendrons évidemment informés tout au long de la journée. La plupart de vos programmes en seront par conséquent modifiés. …  Dieu bénisse l’Amérique et…” 

Elle avait hésité pendant une petite seconde. Cette petite seconde pendant laquelle tout son corps s’était probablement relâché alors qu’elle reprenait son souffle. Elle n’avait sûrement pas eu le temps de réfléchir, l’humain au fond d’elle avait repris le dessus, et elle avait prononcé quelques mots qui faisaient d’elle plus qu’une voix à la radio. Et dont la force me tomba dessus, m’écrasa comme sous une chappe de béton.

« … Puisse-t-Il nous venir en aide. »

J’ai baissé la tête, pantois, sur mon comics et l’ironie du sort m’a percuté en pleine face. Il était resté ouvert sur la dernière page que j’avais lue. Je croisai le regard enragé d’une jolie noire aux longs cheveux d’ébène. Rassemblés en une natte, ils battaient dans son dos alors qu’elle faisait danser son sabre autour d’elle. Quatre, cinq, six, ils étaient six zombies tout autour d’elle, à envoyer baller leurs bras et à donner de violents coups de tête dans le vide. Je pouvais presque entendre leurs mâchoires s’ouvrir et se refermer sur rien, leurs dents moisies voler en éclat alors qu’elle redessinait leurs faces décomposées. Ils tombaient comme des mouches et je fus convaincu, alors que mes yeux glissaient sur la vignette suivante, qu’elle était invincible. Qu’elle serait bientôt debout sur ce charnier, les mains sur les hanches, épuisée mais saine et sauve.

« … Sont en état d’urgence sanitaire de niveau 1. »

Et puis, irrésistiblement, mon doigt glissa sur la page pour la tourner. Derrière, je découvris le destin qu’avait choisi l’auteur pour sa jolie guerrière. 

“Seize d’entre elles ont trouvé la mort dans la nuit. ”

L’un des zombies était parvenu à briser sa défense et s’était jeté sur sa nuque. Mes yeux glissèrent encore à côté. 

J’en avais le cœur qui battait plus fort, trop fort, qui faisait trop de bruit. Avec cette sensation complètement débile que si elle mourait maintenant, alors j’étais foutu aussi, c’étaient de trop mauvais augures, c’était le signe qui finirait ma vie. Je revoyais le Mexicain mordre Gus et j’oubliais où s’arrêtait la fiction, où reprenait mon cauchemar.

« … Puisse-t-Il nous venir en aide. »

Dans la case suivante, les mâchoires disloquées du zombie se refermèrent sur sa peau et la condamnèrent aussitôt.

Il était encore trop tôt pour que mon cerveau s’emballe, et pourtant j’eus bêtement peur. J’eus terriblement peur. Cela expliquait toutes les ambulances que j’avais entendues aujourd’hui. Cela expliquait même pourquoi certains débiles avaient marché sur le champ de bataille, hier. Et cela venait aussi corroborer le discours de Gremvins, qui me parlait de morsures et d’agressivités folles. Mais putain, seize morts ? Augustine était-elle l’une d’entre eux ?

Je refermai mon comics et me retrouvai nez-à-nez avec ma jolie noire, à qui l’on avait offert une non moins jolie couverture. Elle était là, debout et moi en contrebas, et elle me narguait avec la pointe de son sabre. Son sourire mutin renforçait cette impression, ce sentiment qu’elle me disait quelque chose du genre « Prêt à te battre ? »

Alors même si l’auteur l’avait tuée en page dix-sept, j’acceptai son défi.

A la radio, le message d’alerte sanitaire passa pour la troisième fois consécutive.

Je me levai, pantelant, et regardai tout autour de moi. Il n’y avait personne d’autre dans le comic store, à part le vendeur. Rien de surprenant, un mardi après-midi. Mais le vendeur, justement, avait disparu dans son arrière boutique et je l’entendis passer un coup de téléphone. Sa voix me parut affolée. 

— Barricade-toi avec les petites, tu m’entends ? … Oui, il en reste dans l’abri anti-tornades, tu peux aller les chercher. Fais le plein. Et allume la télé pour les infos.

Il me jeta un oeil noir par l’entrebaîllement de la porte et je compris que je n’avais rien à faire là. Avec un raclement de gorge gêné, je quittai le magasin et filai en direction de la pharmacie. Stella travaillait pendant encore une bonne heure, mais j’avais besoin d’aller vérifier qu’elle allait bien. C’était bête et parfaitement inexplicable. Il fallait juste que je m’assure que ma jolie blonde n’était pas un zombie. 

J’avais fait deux pas quand un hurlement strident fit exploser le silence.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant