31 - Ophélie

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Bonjour !

Ophélie m'offre un grand sourire avant de me laisser entrer.

Alors ces vacances ?

Plutôt bien, j'ai de nouvelles photos à te montrer. J'ai quatre amis qui se sont portés volontaires pour servir de modèles. J'ai suivi ton conseil et ça va me permettre de constituer un portfolio.

Elle fait défiler les photos sur son téléphone ; me montre celles qu'elle a publié sur Instagram et en profite pour me demander timidement si elle peut y ajouter la mienne en homme travesti – de manière anonyme bien sûr – et j'accepte puisque même mes propres parents ne me reconnaitraient pas.

J'ai eu les résultats du Bac, m'annonce-t-elle.

Alors ? Alors ?

Je l'ai eu avec mention assez bien ! 12.5 en philo.

Je pousse un cri de joie.

Mais c'est génial ! Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

Et ce n'est pas le mieux.

J'attends. Visiblement, elle ménage le suspens.

J'ai discuté avec mes parents sur ce que je voulais faire l'année prochaine. Et j'ai réussi à les convaincre de m'accorder un an pour mes projets de maquillage pour faire mes preuves.

Je crie à nouveau.

Je suis tellement heureuse pour toi !

Ça fait un moment que je ne me suis pas réjouie pour le bonheur d'autrui. Ça fait tellement de bien de voir que des jeunes comme elle – oui je me sens vieille du haut de mes vingt-quatre ans – commencent dans la vie en tentant leur chance pour réaliser leurs rêves.

Je trinque nos jus de fruit et la prends dans mes bras.

Lorsque je m'écarte, elle a un drôle de regard. Comme si elle s'apprêtait à dire quelque chose, mais hésite encore, ouvre la bouche, puis se ravise.

Et alors, elle m'embrasse.

Un. Je ne comprends pas ce qui se passe.

Deux. Je comprends ce qui se passe, mais je n'y crois pas.

Trois. Je comprends ce qui se passe, j'y crois et je me dis que je devrais faire quelque chose.

Je m'écarte d'Ophélie en la repoussant par les épaules. Elle s'empourpre plus vite qu'il n'en faut pour cligner des yeux.

Je suis désolée... je pensais...

Non, non, c'est moi qui m'excuse, ce n'était pas...

J'ai cru, enfin tu vois...

Oui je vois, enfin je crois voir, même si j'ai du mal à y croire.

Mon Dieu redis-moi ton âge, Ophélie ?

Elle a l'air toute malheureuse.

J'ai eu dix-huit ans la semaine dernière.

Son ton est à la fois arrogant et déçu. Il y a clairement eu un problème de communication entre nous.

Je, hum, je n'ai jamais voulu te donner de fausse impression.

C'est moi qui ai interprété de travers, s'excuse-t-elle encore. Je suis tellement désolée.

Cette fois je suis à deux doigts de me mettre en colère.

Arrête de t'excuser, ce n'est pas grave. Ça ne veut rien dire.

Cette fois, ses yeux s'arrondissent et j'ai l'impression que mes mots ont eu l'effet d'une gifle.

Tu m'as prise au dépourvu.

J'essaie de me calmer, mais plus je la vois se décomposer, plus je me sens mal.

Je ferai mieux d'y aller.

Je suis vraiment désolée Alicia !

J'ai l'impression de fuir de la maison au pas de course. Ce n'est pas très correct, je vois mêmes quelques larmes s'échapper des yeux d'Ophélie et je me dis que je me comporte comme une lâche. Qu'elle va s'imaginer que je la rejette. Mais c'est plus fort que moi, je claque la porte en sortant.

Je marche dans la rue de manière fébrile, l'esprit en ébullition.

C'est sans doute le genre d'électrochoc que j'aurais eu besoin d'avoir des mois plus tôt, car il m'aurait été bien utile. Je repense à chaque moment que j'ai passé avec Ophélie et comment j'ai pu lui laisser penser que j'étais intéressée. Chaque fois où j'avais été un peu trop à l'aise : est-ce que j'ai eu un sourire de trop ? Un clin d'œil déplacé ? Une embrassade inappropriée ? Trop de familiarité peut-être ? Je pensais que nous étions amies, elle m'a rendu service, et maintenant que j'y pense elle ne m'a même pas posé de question sur pourquoi je devais me travestir. Notre amitié était faussée, de son côté elle ne vivait pas du tout la relation comme moi.

Maintenant j'ai une petite idée de ce que doit ressentir Roméo.

Y a pas de mal à faire ci... Y a pas de mal à faire ça... A force d'avoir appliqué cette philosophie de vie pourrie, je n'ai eu pour résultat que des malheurs. J'ai minimisé mes actions, dédramatisé, mais si justement c'est grave. « Y a du mal à » faire tout ce que j'ai fait, avec Ophélie, avec Roméo, avec moi-même.

Mon téléphone sonne. C'est Cole. Il essaie de me joindre au moins une fois par jour, je ne décroche pas, il laissera un message que je n'écouterai pas. Je n'ai plus d'énergie à lui accorder, plus de colère ou de jalousie.

L'autre jour, je fantasmais encore sur l'idée d'une réconciliation entre Roméo et moi. Mais lorsqu'on vit dans le déni pendant des mois comme je l'ai vécu, il n'y a rien de rattrapable. Tout était faussé. Notre relation, notre amitié. C'est le gâchis le plus total.

Je ne suis toujours pas plus avancée sur ce que je dois faire.

Le syndrome RoméoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant