XXIV - Sous le saule pleureur

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Il me fixe, attendant une réponse. Cependant j'opine négativement de la tête et hausse les épaules. Je sais que je devrais lui vouer une confiance aveugle, notamment à cause de ce que je ressens, cependant je n'y parviens pas, car il cache encore trop de choses.

— Lucius a ensorcelé ce manteau, tu le savais ? reprends-je.

— Bien-sûr.

— On dit qu'il n'y a que sept Objets Obscurs, comment as-tu dégoté celui-ci ?

Le visage de Tristan est fermé, ses lèvres retroussées. Mes questions ne lui plaisent pas. Voyant qu'il demeure muet, je mime l'indifférence et lui tourne le dos.

— Très bien, j'ai la carte, je sais où retrouver l'invocatrice de...

— Non attends, me retient-il quand je commence à partir.

Alors je daigne me remettre face à lui.

— C'est Lucius qui m'a offert ce manteau...

Je hausse les sourcils, alors il l'a connu ? En personne qui plus est.

— Je devais avoir... huit ou neuf ans... c'était la guerre, sur les sept Nations. Un vrai chaos, c'était... terrifiant mais j'étais trop jeune pour prendre part au combat avec les autres Changeurs de Peaux.

— Tu étais de son côté...

— Évidemment !

Ses yeux croisent les miens.

— J'avais huit ans, je n'étais qu'un gamin, rejeté avec tous les autres de mon espèce. Et Lucius était là, à nous donner tout l'amour duquel on nous privait. Qu'aurais-tu fait ? Tu as ton peuple et j'ai le mien.

Je ne réponds rien. Il a raison, si j'avais été à sa place, j'aurais défendu mon peuple, je me serais ralliée à leur cause, cela ne fait aucun doute.

— Ce jour-là, Lucius a été emprisonné, le roi - le père de ton petit prince, a parfaitement réussi son plan et je dois admettre qu'il a eu un plan sans failles et incroyablement bien ficelé. Je ne l'ai jamais revu mais j'ai toujours gardé ce manteau. Parce qu'il m'a aidé à me contrôler, il m'a permis de ne jamais épuiser mon énergie... j'en ai besoin, c'est tout.

— En quoi dois-tu te contrôler ?

— Je n'ai pas envie d'en parler.

— Pourquoi ? J'ai vu dans l'état dans lequel tu étais. Alors était-ce Darius qui t'as ensorcelé ou...

— J'ai certains pouvoirs enfouis au fond de moi, m'interrompt-il.

Je le toise sans un mot, à travers l'obscurité. Quel genre de pouvoirs ? Du feu ?

— Le manteau m'aide à canaliser cette partie de moi. Seul Lucius était au courant, et mes parents, accessoirement.

— Et où sont-ils ? Tes parents...

— Ils sont morts.

— Je suis désolée...

— C'était il y a longtemps, grogne-t-il.

Il s'assoit finalement dans l'herbe fraîche, face au lac. J'hésite un instant mais je le rejoins et m'assois à côté de lui, je tends mes jambes, je souille probablement ma belle robe rouge... mais qu'importe. Je suis heureuse qu'il se soit livré, même si ce n'est presque rien, même si j'ai encore plein de questions en tête. Il semble avoir fait un énorme effort à me dire tout cela.

Je le sens plutôt attristé, lui qui semble constamment dans le sarcasme, comme si rien ne l'étreignait. Je le regarde et je vois dans ses yeux, un regard absent et rempli de toutes sortes d'émotions malheureuses.

Invocatrice de l'OmbreWhere stories live. Discover now