Chapitre 4 : Le lapin qui n'avait pas su arriver à temps.

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La lumière de la lune éclaire vos deux corps...

Trois rangées de murs, écartées par des cratères de terre retournée, gisent devant tes yeux. Le silence est noué à tes oreilles, mais son règne est rompu par le bruit de vos pas. Les débris et gravats roulent entre les collines inversées, elles ressemblent à s'y méprendre à des terriers à lapin. Tu te jures secrètement de ne jamais avoir à y sauter. 

Ton pied glisse sur la parcelle d'herbe qui longe les ruines, la respiration de la terre te semble insonore ici. Sa léthargie sera peut-être éternelle. 

Chishiya, crapahutant devant toi, failli te renverser lorsqu'il s'arrête subitement ; un muret coupant la route herbeuse. Il s'abaisse en silence et te fait la courte-échelle. Tu lui accorde un signe de tête avant de grimper par-dessus l'obstacle. Très vite, ton souffle se coupe.

Une prairie immense et chatoyante, cachée dans ce recoin de désolation. Au centre se dresse une maison solitaire ; comme si elle t'attendait. Sur ces murs ; lierres et lézard s'entremêlent pour former un tout et la lune semble se refléter sur les fenêtres, brisées pour la plupart.

- " Ici, c'est ma maison. " Annonce le jeune homme qui lève ses bras pour t'aider à redescendre de l'autre côté. 

Tu hoches la tête en silence et retombes sur tes mains un peu gauchement, le garçon, lui, enjambe le muret plus facilement ; surement par habitude. 

Tu sembles subjuguée par la beauté de l'endroit mais Chishiya ne te laisse pas de temps de répit, il te prend la main à nouveau et avance dans le pré. Tu profites de cette interaction pour demander :

- " Les trous dans les ruines là-bas, c'était quoi ? " 

Chishiya lâche un léger "mmm" avant de tourner vivement la tête vers toi en expliquant :

- " Il y a quelques temps, un groupe d'amis s'est retrouvé dans le Borderland. Selon eux, on pouvait s'échapper d'ici... - Il marque un temps d'arrêt et pointe le sol de son index - par en dessous. Malheureusement, avec le peu de moyens qu'ils avaient et les jours qui s'écoulaient, ils ne se sont rendu compte du temps qu'il leur restait que trop tard. Ca me rappelle... " 

Vous arrivez devant la maison et il sort un trousseau de clé, très vite la porte s'ouvre dans un braillement. Chishiya continue alors que tu lèves les yeux au ciel :

" Ca me rappelle le passage d'un de tes livres. " 

- " Ah bon ? - Te moques-tu, un peu surprise - lequel ? " 

Il s'assoit dans un canapé aux ressorts scoliotiques et allume une bougie au briquet. Il a une allure de méchant dans les vieux films ; et pourtant c'est ton seul allié. Espérons qu'il ne devienne pas ton ennemi...

- " Je parle bien évidemment du "Lapin qui n'avait pas su arriver à temps", quand même... " 

Tu souris et le garçon, se transformant en fan zélé, commence à réciter :

 - " Avec sa fourrure blanche que seul le sang pouvait tâcher, il courrait à en perdre haleine. Son retard l'arrachait à ses songes, l'horloge sonnait depuis longtemps, il était trop tard. Bientôt le Styx allait couler sous ses pieds, mais le Lapin, pleurant comme une Banshee, dans un souffle irrégulier, continuait de courir. Il voulait sillonner le monde, aller toujours plus loin pour rattraper ses erreurs, mais il ne pouvait que faire le tour de ses problèmes. La Terre est ronde, ses problèmes aussi. Le jour où la réalité l'a rattrapé le fusil était déjà mit-en-joue, l'impuissance du Lapin sous le joug d'une éternelle capitulation. "Où qu'il aille, il n'y sera jamais à temps". Le monde des merveilles n'était qu'un prétexte pour lui servir d'échappatoire ; Il y était piégé et tombait éternellement dans le même trou. Trou qu'il creusait lui-même, insciemment.  "

Il n'a même pas prit de pause, à croire qu'il connait tes romans par cœur. Tu devrais trouver ça terrifiant, mais finalement, c'est l'étonnement qui prend place dans tes pensées. Tu te rapproches de lui pour demander pourquoi il en sait tant de tes livres, mais la chandelle bouge et tu sursautes :

- " MON DIEU ! Tu viens d'illuminer... " 

Le garçon tourne les yeux et rigole lorsqu'il tombe en tête à tête avec un dodo empaillé. Toi, au contraire ça te file une frousse...

" C'est pas drôle...ce truc est effrayant ! - Jures-tu en appuyant sur les consonnes - Pourquoi t'as ça chez toi ?! " 

-" C'est pas moi qui l'ai décidé, et puis, je l'aime bien ce 'tit gars. " Chishiya fait mine de checker l'aile de l'oiseau. 

Tu lèves les yeux au ciel et examines la pièce plus en détail ; elle n'est pas bien grande, deux tables juxtaposées forment de quoi inviter quelques personnes et une cheminée orne un renfoncement à ta droite. Au centre de la pièce, une télévision ancienne à l'écran cassé ajoute du récentisme aux lieux ayant un effet assez "vintage". 

Tu t'avances, sous les yeux imperturbables de Chishiya, vers un service à thé raffiné. Trois tasses se font face, deux ont le manche éraillé. Assez négligé tout de même...

Tu finis ta visite par deux éléments marquants ; une étagère consacrée spécialement à tes livres ( ça fait plaisir quand même mais c'est perturbant sur les bords. ) et un lapin, les pieds pendus par une chaîne sortant du plafond. Ses deux yeux rouges luisent dans les rayons lunaires, la mort a bu dans ses pupilles. Un frisson te parcourt ; peut-être que toi aussi, le temps te rattrapera...

Une main vient te prendre l'épaule :

- " T/p ? Tu devrais mieux aller dormir... J'ai plein d'autres choses à t'enseigner demain... " 

Tu sursautes et lui prend le bras :

- " Oh oui ! Allons-y... " 

Chishiya semble s'arrêter au bout de quelque pas, comme s'il avait compris la source de ton soudain stress. Il souffle juste :

- " Le lapin n'a pas pu arriver à temps. Mais soyons rassurés, nous n'avons pas encore creusé notre terrier. Avec nos cartes en main, pas besoin de jouer au contre-la-montre bien longtemps. Et puis, je crois avoir trouvé un raccourci qui nous fera arriver à l'heure... " 

Il sort de sa poche un petit papier qu'il déplie bruyamment, dessus il est marqué " Rendez-vous à la plage. " 

Tu essayes de comprendre son message et demandes silencieusement :

-" T'as eu ça où ? " 

- " Une des écolières du jeu avait les poches ouvertes... " 

Un courant d'air passe dans une fenêtre brisée, le vent s'apaise enfin, et sa bougie s'éteint.



  

Chishiya X Reader " Le chat du Cheshire "Where stories live. Discover now