Adieu, Aglaé

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(Pour résumer plusieurs parties de ce livre qui ont été dépubliées en peu de mots : j'ai envisagé pendant longtemps de réécrire Aglaé en vue d'une publication papier. La partie que vous êtes en train de lire est mon "abandon" de ce projet. Elle existe avant tout pour moi, parce qu'écrire, ligne après ligne, m'aide toujours à démêler les nœuds dans ma tête. Mais je la laisse aussi pour qui voudra la lire.)


IL M'A FALLU QUATRE ANS POUR FRANCHIR LE SEUIL DE MON DEUIL. Pour accepter de faire le point sur ce qui fut, non pas pour l'actualiser, mais avec la certitude que rien de ceci n'appartient à demain.

Aglaé (le personnage) et Aglaé (l'aventure de l'écriture) feront toujours partie de moi ; je suis d'ores et déjà presque certaine que j'écrirai encore ce nom, dans d'autres circonstances. Mais l'histoire écrite sur Wattpad durant mes années lycée et que je n'ai eu de cesse de réécrire depuis 2017, version après version après version, des mots qui enflent en dizaines de milliers pour s'effacer presque aussitôt, ne laissant que quelques phrases à peine — ce cycle infernal que je me suis infligé quatre ans durant doit prendre fin.

Je songe à Alice Zeniter qui disait dans Les Gens Qui Doutent qu'elle ne voyait pas l'intérêt d'écrire sans envie. À Marie-Hélène Lafon, qui quant à elle a prononcé dans une conférence cette phrase qui me hante depuis :

L'écriture commence quand le désir et la nécessité se nouent.

Et leurs voix résonnent, guident mes pas hésitants. Car la flamme s'est éteinte, peu à peu, et je ne sais pas quand exactement j'ai cessé de parler d'Aglaé avec enthousiasme. Ou plus exactement : quand j'ai atteint ce point où les seuls éléments qui m'intéressaient dans l'histoire n'en faisaient pas partie dans un premier temps.


Mes réécritures d'Aglaé furent un terreau fertile, indéniablement ; mais pas pour le manuscrit lui-même. Si la subjectivité de Thomas a toujours été importante, son lien avec les Lettres à un Jeune Poète et ce que je nomme "l'infinie solitude" a émergé bien plus tard. Aglaé a perdu une partie de son pouvoir gravitationnel dans ma volonté de donner davantage de poids (de pesanteur) aux autres personnages : chacun, chacune, est devenu un astre dans la galaxie. Savez-vous combien Thomas, Arthur, Marius ont à raconter ? Pas vraiment, non. D'ailleurs, vous n'avez jamais lu le nom de Marius. Personne ne l'a lu. Je suis la seule à le connaître, et l'aimer.

Aglaé n'est plus tant une histoire qu'un univers. (Le Papillon et l'Eléphant en fait partie, soit dit en passant) J'ai perdu tout contact avec mon adolescence, je ne sais plus comment l'écrire avec mes yeux de jeune adulte. Le frêle ficus a pris des proportions inimaginables, et il est temps de le changer de pot. C'est dur, parce que c'était un pot que j'ai confectionné avec tant de soin, tant d'amour ! Chaque fois qu'une racine le perçait, j'ai fait de mon mieux pour le reconstruire autour de la racine. Je ne voulais pas me débarrasser de ce pot. Mais avec le recul, il ne ressemble vraiment plus à rien. C'est juste une masse d'argile informe et fendillée de partout.


(Pendant ma licence, mon "prof d'écriture" nous a souvent dit de ne pas multiplier les métaphores. Je comprends. Mais d'un autre côté... Je m'en fous. Je regarde le monde à travers les métaphores que j'invente ; j'ai des lunettes-métaphores devant les yeux, et sans elles je suis presque aveugle. Alors je vais continuer de filer, filer, filer, une métaphore cosmique par-ci, une métaphore botanique par-là, et que sais-je encore. Bienvenue dans ma tête.)


Avant L'Étranger, Camus a d'abord écrit La Mort Heureuse. On peut retrouver dans cette œuvre un peu fouillis (non sans rappeler mon pot à ficus) les tâtonnements qui le mèneront à son célèbre roman. À commencer par le nom du personnage : Patrice Mersault, devenu ensuite Meursault.

J'aime La Mort Heureuse pour lui-même, et je m'estime chanceuse qu'il ait été publié à titre posthume. On y trouve de si belles choses. On trouve des belles choses partout.

Aglaé ne me convient plus vraiment ; ce projet n'en contient pas moins de belles choses, et je les garde près de mon cœur. C'est un souvenir, aussi imparfait soit-il, d'une époque (une pierre blanche dans ma chronologie, une étape ô combien formatrice). 

Et j'ai encore une pensée pour Alice Zeniter, avec son "cimetière à idées" : tout ne rentrera dans une histoire, ou dans une temporalité, mais on peut garder nos breloques pour plus tard. Leur laisser la possibilité de prendre racine ailleurs, et donner des fruits dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Aglaé changera peut-être de nom, qui sait ? Pour le moment, elle flotte dans ma tête ; qui sait où elle atterrira... ou même si cela arrivera un jour.

Tout reste à écrire. C'est ma seule certitude. C'est, je crois, une bien belle certitude.


° juillet 2021  


AglaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant