ℭ𝔥𝔞𝔭𝔦𝔱𝔯𝔢 50

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Maël mit le point final à son journal. L'écriture était tremblante et l'encre de son stylo plume tâchait la page par endroit. Il monta le journal à son visage et souffla délicatement dessus pour faire sécher l'encre et fermer le carnet.

Il se leva prudemment, faisant gaffe à ses articulations qui craquaient à chacun de ses pas. Il marcha prudemment jusqu'à une boîte posée sur la table de son salon. Il y déposa le carnet auprès d'une centaine d'autres qui s'y trouvaient déjà. Il mit le couvercle sur la boîte et écrivit à l'aide d'un feutre le nom de son filleul.

Il se dirigea ensuite en direction de sa bibliothèque où s'entassait des milliers de livres qu'il avait amassé tout au long de sa vie. Il y déposa une enveloppe avec le nom de la petite princesse d'Ayden et Alice : Cassandra.

Il récupéra dans un placard deux enveloppes desquelles il sortit des documents officiels. Sur chacun, il mit un post-it avec les prénoms des enfants de Xander et sa compagne Anoushka : Sophie et Viktor.

Finalement, il mit dans trois enveloppes distinctes une lettre adressée à ses amis de toujours. Des larmes lui échappèrent. Il les essuya tout en se dirigeant vers sa terrasse. Il profita du soleil couchant qui réchauffait son visage vieux et fripé, profitant du vent dans les cheveux blancs épars sur le haut de son crâne. Le clocher du village, au loin lui annonça qu'il était dix-neuf heures.

C'était l'heure.

Maël retourna dans sa maison, son antre. Il alla à sa chambre où, sur le lit, était étendu proprement sa dernière tenue. Lentement, comme l'obligeait ses vieux os, il retira ses vêtements et enfila le pantalon de laine noir, une chemise blanche. Il enfila son long manteau noir avant de glisser ses pieds dans des chaussures habillées de cuir.

Il se faisait beau pour ses retrouvailles avec l'homme de sa vie.

Il fit un détour par sa salle de bain pour mettre un peu d'ordre dans ses cheveux blancs épars et pris le bracelet de coquillage qui reposait sur l'étagère de sa salle de bain depuis plus de soixante ans maintenant. Il le glissa dans sa poche, observa une dernière fois ses vieux traits ridés et descendit.

Il descendait à la rencontre de son destin.

Prudemment, ménageant son vieux corps, Maël descendit une dernière fois les marches menant à la plage. Ses pas étaient lents en raison de son grand âge et son pas bien moins leste que dans ses jeunes années. Pourtant, à chaque pas le rapprochant de l'océan, il se sentait rajeunir, retrouver son insouciance de jeune homme. Il s'arrêta à proximité des vagues qui s'échouaient doucement sur le sable. L'océan était paisible.

L'eau lui caressait les chevilles dans une délicate caresse. Le vent collait ses vêtements à son corps et charriait l'odeur lourde du sel. Le blond inspira profondément, s'imprégnant de cette odeur qui berçait sa vie depuis sa naissance. Il ouvrit de nouveau les yeux sur l'immensité aqueuse, se laissant bercer par le bruit des vagues s'écrasant contre les rochers à sa droite, les mouettes jacassant au-dessus de sa tête, le bruit des bateaux arrivant au port, un peu plus loin sur sa gauche, de l'autre côté du phare. Il se sentait bien, à son aise.

Chez lui.

Ou presque.

Une vague plus haute monta jusqu'à son genou, détrempant son pantalon noir, collant contre ses articulations noueuses. Maël resserra ses vieux doigts autour du bracelet en corde tressé d'où pendait des coquillages, de précieux coquillages. Il le porta à ses lèvres et l'embrassa avec tendresse, malgré ses tremblements avant de laisser retomber son bras le long de son corps. Il inspira.

Doucement, ses mouvements gênés par son arthrite, il défie les lacets de ses chaussures qui avaient déjà pris l'eau, retira ses chaussettes, les abandonnant sur le sable, laissant l'océan décider de leurs sorts. Avec tout autant de difficulté, il se défit de son manteau, prenant de plein force le vent qui se levait, rendant l'océan de plus en plus hargneux. Le vieil homme sourit.

« J'arrive, mon vieil ami. » Lança-t-il à destination de l'océan.

Alors, une figure qu'il ne connaissait que trop bien s'éleva de l'océan.

Leo n'avait pas changé, malgré toutes ces années. Ses longs cheveux sombres étaient savamment travaillés autour d'une large couronne de corail rouge sombre. Autour de son cou, un imposant collier de coquillages. Il portait une sorte de gilet sans manches qui faisait une traîne derrière lui. Ses bras fins et puissants étaient sertis de liens. Il portait un pagne qui épousait amoureusement ses cuisses. Il tenait un sceptre gigantesque dans sa main droite.

Leurs regards se croisèrent.

Leo marcha dans sa direction, son sourire grandissant plus il se rapprochait de Maël. Quand ils furent enfin à portée de main, la sirène vint poser sa main libre sur la joue de Maël où une fine barbe blanche mangeait ses joues.

« Muiañ-karet... » Commença le roi des sirènes.

Maël sourit et vint prendre la main qui était sur son visage pour la porter à ses lèvres et embrasser la peau délicate. Leo planta son sceptre dans le sable et se saisit de la main marquée depuis plusieurs décennies pour la porter sur la marque semblable sur son torse. Quand les deux marques entrèrent en contact, ils furent parcourus par un arc électrique qui remonta tout le long de leurs êtres et firent battre plus fort leurs cœurs.

« Tu es prêt ? » Demanda Leo.

« Je n'ai vécu qu'en attendant le moment où on pourrait de nouveau être ensemble. »

Leo acquiesça et se mordit la lèvre avant d'abandonner son étiquette royale pour venir voler un baiser au vieil homme. Maël se sentait revivre de sentir ce contact, il avait l'impression que ses traits tirés par la vieillesse reprenaient son apparence d'antan, ses douleurs articulaires disparaissaient, son ouïe devenait plus fine, sa vue plus précise. Leo s'écarta et lui tendit sa main gauche, la droite ayant repris son sceptre.

« Allons-y ? »

« Je te suis. » Répondit le blond en mêlant ses doigts avec ceux de l'homme-sirène.

Ils se tournèrent face à l'océan, appréciant une dernière fois la chaleur du soleil sur leurs peaux puis sans un regard en arrière avancèrent dans les vagues. Un pas après l'autre. L'eau montait de plus en plus, les vagues houleuses crachaient des gouttes à leurs visages mais ils n'en avaient cure. Il se sentait bien. D'abord à sa taille, puis à son torse, enfin à sa gorge puis sa tête et plus rien. Le couple atypique disparut dans les flots tumultueux, les vagues mousseuses cachant toute preuve de la présence de ces individus aux yeux du monde.

Il ne restait qu'une chaussette solitaire, une paire de chaussures guindés et un manteau imbibé.

Maël avait disparu dans l'écume de l'océan.

Il rejoignait enfin sa dernière demeure.

« Muiañ-karet » = « mon bien-aimé » en breton

Le chant de l'océan. Tome 2 : mor-brasNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ