12. Le doudou (II)

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Son refus n'avait rien d'étonnant, bien qu'il toucha plus profondément que ce à quoi s'était attendu les deux adultes. Mais le ton de sa voix trahissant une telle terreur, un tel désespoir...

- Pardon, Zay'. Pa'don, Nia-a...

Les deux adultes notèrent immédiatement l'altération dans le langage du petit garçon. Lui qui s'exprimait, se comportait toujours si parfaitement. La panique lui faisait perdre tous ses moyens.

- Je veux pa-as, pas le-le balai.

- Non, chéri. Pas le balai.

- Regarde. Il est là-bas. Personne ne va y toucher, ni faire du mal à quelqu'un avec.

Andreas tressaillit. On lui avait précisément, par le passé, fait tant de mal avec un objet similaire. Sans même avoir besoin de se concentrer, il pouvait encore en ressentir la morsure sur ses fesses, les coups brutaux sur son dos, et ses jambes.

Les hématomes qui subsistaient ensuite étaient tout aussi douloureux. Il ne parvenait parfois même pas à rester assis en classe, et la maîtresse le grondait parce qu'il avait la bougeotte.

Ou bien, dans l'empressement à accomplir l'une de ses tâches domestiques imposées, il se cognait le tibia ou la cuisse dans un meuble de la maison, et son beau-père et sa mère le battaient plus rudement encore pour ses glapissements de douleur. Un enfant se devait d'être silencieux. Tout comme un esclave, un domestique.

Il ne pouvait rien dire de ce qui se passait au sein du foyer en dehors de ses murs. Et chez Niall et Zayn, son nouveau chez lui, désormais, il en irait de même. Il le savait.

Pourtant, il avait eu envie d'y croire. Ils ne s'étaient pas fâchés quand il avait pleuré, laissant malencontreusement échapper quelques larmes en leur présence. Ils ne l'avaient encore ni insulté, ni frappé.

Mais ils s'y préparaient.

Ce balai en était la preuve. L'arme du crime.

S'il s'approchait, conquis par leurs appels caressants, il ne ferait qu'une bouchée de lui. Il avait été trop faible, trop petit, trop jeune pour se défendre contre les attaques de son beau-père, pourtant vieillissant et grassouillet. Alors, quelles chances avaient-ils face à deux jeunes hommes, en pleine force de l'âge ?

Il devait se rendre à l'évidence : il avait quitté un enfer pour un autre.

Et Niall qui le provoquait, avec cette peluche. Non. Il ne pouvait pas baisser la garde. Il devait accepter les coups à venir, sans attendre aucune clémance de leur part. Puis, il se plierait aux règles de vie de l'appartement, faisant profil bas en espérant retourner bientôt sur les bancs de l'école.

Il rêvait déjà du jour où il aurait dix-huit ans.

La fugue était inconcevable pour un enfant de son âge, mais le terme fatidique de la majorité ressemblait presque à un espoir : celui de pouvoir partir, seul, et loin de toute cette misère qu'était actuellement son enfance.

Enorgueilli de cette idée, il se leva enfin, fragile sur ses appuis, avant de traverser la cuisine en ligne droite, sans égard pour le verre brisé jeté au sol. Les deux adultes grimacèrent à cette vision, mais aucun n'osa relever ; probablement par peur qu'Andreas ne se braque davantage.

Le garçon avait tout du prince avançant vers une mort certaine, sur le champ de bataille ; ou du condamné rejoignant paisiblement l'échafaud. Il savait qu'une fois la punition passée, il n'aurait plus rien à craindre... Jusqu'à la prochaine erreur.

- Viens là, mon cœur.

Zayn tendit les bras vers Andy, où l'y enferma pour l'enlacer, avant de se redresser pour mettre de la distance entre eux et la scène. Niall, qui se sentit rapidement inutile, se précipitait l'instant suivant dans la salle de bain pour récupérer la trousse à pharmacie, le b-a-ba dans une maison d'infirmier.

Désormais installé sur la table de la salle à manger, Andreas battait doucement des jambes, alors que son tuteur lavait ses mains.

Il ne grimaça pas une seule fois ; les yeux dans le vide, il semblait complètement ailleurs. Probablement tourné vers un monde meilleur, ce qui expliquait son calme. Pourtant, en tendant l'oreille, l'adulte pouvait encore décelé les restes de panique dans sa respiration, lourde et précipitée. Mais elle allait en ralentissant.

Il banda, sûrement exagérément, les mains du petit garçon, afin d'être sûr de ne plus voir une tâche de sang les entacher. Il était pourtant accoutumé aux blessures, mais celles-ci étaient intolérables : le corps d'Andreas avait été meurtri sous leur toit, et bien que ce ne soit pas le fait d'un des adultes... Ils étaient en partie responsables, si ce n'est totalement.

- Tu voulais quelque chose dans la cuisine, peut-être, Andy ?

C'était Niall, qui s'était approché à pas de loup. Si les deux hommes ne s'étaient pas encore concertés, le blond avait naturellement préféré le surnom de l'enfant à son prénom complet. Peut-être avait-il tiré les mêmes conclusions que Zayn. Après tout, Niall était quelqu'un de très observateur, lui aussi.

Semblant reprendre pied dans la réalité, le garçonnet releva la tête, avec une expression un peu perdue sur le visage. Mais rapidement, c'est la méfiance qui peignit ses traits. Les deux adultes en furent... choqués ? C'était bien le mot.

Andreas ne s'était encore jamais montré ouvertement hostile, envers aucun d'eux. Visiblement, il faudrait plus que de bonnes intentions, et des promesses orales pour gagner la confiance de ce petit garçon. Qui semblait pourtant ne plus en être tout à fait un.

A ChanceWhere stories live. Discover now