Chapitre I: Novossibirsk partie 5

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Donia Fiodorovna descendait d'une famille assez aisée, et pourtant avait vite pris ses distances avec celle-ci. Son père avait servi dans l'armée mais avait pris une retraite prématurée à cause d'un alcoolisme très élevé. Sa mère enseignait la littérature moderne dans une université d'une petite ville de province, en Sibérie centrale. Donia, elle, n'avait jamais été très proche de ses parents, se cachait beaucoup des autres, surtout de son père qui devenait de plus en plus abruti de boisson, et se faisait bientôt infirme. Elle s'enfermait dans des romans, était révulsée de l'éducation, bien que la littérature la passionnait énormément, si bien que les mots avaient été longtemps ses uniques amis. Aussi, elle était la toute dernière d'une grande fratrie qui pour la plupart étaient déjà partis faire fortune à Moscou ou à l'étranger, et là encore, ils se désintéressaient beaucoup de la cadette. Sa mère était assez bienveillante, mais avait un caractère aussi aiguisé que celui de sa fille, ce qui produisait souvent des grands conflits. À vrai dire, cela se comprenait par l'atmosphère qui se dégageait de ce foyer. Sa mère Alexandra, était seule à entretenir cette maison avec son fils Piotr bientôt en âge de voler de ses propres ailes. Elle rentrait le soir, d'une journée écrasante, passait en insultant le vieux Fiodor qui somnolait ivre dans son fauteuil, et s'occupa de la soupe du soir. Soupe qui au fil des années s'était changé en des nouilles instantanées si populaires en Russie, tellement l'envie de s'entretenir s'enfuyait d'elle-même. Et Donia elle, ne venait parfois pas à table, sortait la nuit pour de mystérieuses raisons, et commençait à son adolescence à prendre quelques bouteilles de son père. Elle était malheureuse, ça oui, rêvait de s'enfuir de cette province, de ce pays qui l'étouffait, et cherchait en dehors des frontières, un idéal, un nouvel horizon qui si cela se trouvait, n'existait nullement. À sa majorité, elle finit par convaincre sa mère de payer un appartement et des études à Novossibirsk, où elle retrouva toute sa jeunesse qu'elle avait envoyé au bûcher et dans l'alcool. Elle adorait vivre dans cette cité, enfin elle se sentait libre indépendante.

Alors un jour, elle se décida à quitter pour la première fois ce pays fédéral pour Paris, ville qu'elle avait longtemps rêvé toutes les nuits. Son pied foula enfin les pavés des rues de la capitale française. D'un coup son cœur s'effondra, qu'est-ce que cette ville était misérable ! Outre l'architecture, les monuments, une désillusion fit place dans son espérance. Les rues étaient bondées, elle s'était fait prendre cinquante roubles par de types à la lourdeur extrême pour un don à dieu sait quelle association, les rues étaient sales, les métros bruyants, les alentours de la ville étaient infâmes, on étouffait, on croulait sous la population. Elle se consolait toutefois en se disant que tout était déjà plus beau que dans sa ville de province natale, mais tout le culte qu'elle s'était faite s'effritait en poussière. Mais pendant des mois, alors qu'elle vivait dans l'oisiveté la plus totale et n'avait nullement envie de reprendre ses études ennuyeuses de Langues à Novossibirsk, elle croisait toujours le même type dans le café où elle déjeunait chaque jour. Il avait plutôt un visage slave, paraissait taciturne, buvait parfois tôt le matin, un déprimé, un mélancolique, un romantique pour sûr ! Mais cela attirait la jeune femme. Elle qui n'avait jamais réellement connu l'amour, qui trouvait aujourd'hui cela déstructuré. L'amour au vingt-et-unième siècle était tyrannisé par l'humour, par la franchise. Elle voyait cela comme pragmatique et froid, le romantisme s'étaient perdus, et celui-ci devait se trouver seul, victime des mêmes maux dont souffrait Donia. Elle fit ce diagnostic avant même de venir lui parler, sa réaction avait été fort juste. C'était en effet un homme de lettres, aux yeux bleus perçants et des lunettes de forme ronde et fines qui rendait son visage encore plus obscur et plus mystérieux. C'était tous ces facteurs qui avaient poussé Donia de se laisser aller à une certaine obsession pour lui. Ils se voyaient toutes les semaines, quelque part dans un café de Paris, sans chercher à en savoir plus sur leur intimité. L'impression qu'avait fait ce jeune homme aux yeux de Donia était la bonne : quelqu'un de cultivé sans trop s'élever sur son intellect, restait toujours calme et pleins de secrets. Il dévorait la poésie, ramenait toujours quelques bouquins pour déclamer en plein sur une terrasse, ce que les passants prenaient pour de la désuétude dans toute sa splendeur. Il faut aussi dire, que par bonheur il parlait Russe aussi bien que le Français, mais cela Donia s'en doutait presque, tellement il n'avait pas l'air de parler le français. Si elle l'avait imaginé parler, ce n'aurait pas été la langue de Molière.

Les Sentiments DéchusWhere stories live. Discover now