Chapitre I: Novossibirsk Partie 2

9 1 1
                                    

2

Le visiteur en question attendait patiemment dans le hall de l'hôtel et portait un costard porté de manière décontractée. Il semblait contemplatif, faisant passer le temps en léchant le hall du regard. Son regard s'illumina à la vue du visage d'Artyom, et s'avança vers lui.« Vous m'avez l'air plutôt morose, plus qu'avant ! Qu'est-ce qui vous pousse à vivre dans cet hôtel ? Vous auriez pu prendre votre ancien appartement, ou simplement vivre chez Donia. Cela fait longtemps que je vous le dit, vous devriez arrêter de vous cacher dans votre coin et aller habiter chez elle. Qu'est-ce que cela vous coûte ? Vous libérerez un logement bien placé dans cette ville, qui m'irait bien d'ailleurs – Il s'enquit d'un sourire en coin mais le fit disparaître aussitôt lorsqu'il vit que son interlocuteur était dépourvu de toute forme de rire – Allons, je crois qu'il est mieux comme à notre habitude de nous réfugier dans un café discuter de tout ça, vous savez, comme dans les vieux films français. Venez. »Ils sortirent, sans que Artyom n'ait le temps de donner son avis. Il ne connaissait rien de lui comme à son habitude récente, le suivait savoir ce qu'il avait à lui dire. Ils traversèrent quelques rues et enfin arrivèrent à un café qui n'avait cependant rien des vieux films français. Ils s'assirent, et enfin l'autre commença par briser le silence de ce terrifiant jeune homme qui n'avait pas dit un seul mot depuis le début.- Comment vous sentez vous depuis tout ce temps ? J'ai besoin de savoir ce que vous avez ressenti, vous savez... Ils me poussent à savoir mais moi même je commence à être fatigué de vous considérer comme du bétail. - L'incompréhension reprit de nouveau ce cher Fredorovitch, mais il finit par prendre la décision d'être franc :- Je ne sais pas... Vous savez j'ai comme eu... Une sorte d'ellipse. Je n'ai aucune idée de ce que vous me racontez, et un immense vide s'est installé dans ma mémoire. Voulez vous vraiment savoir ce que je ressent ? » s'exclama-t-il comme si il reprenait le contrôle sur lui même -J'ai l'impression d'être mort parmi toutes ces vies périlleuses. Je n'ai aucune idée premièrement dans quel monde je suis, et dans quelle réalité. Mon corps me semble étranger. L'envie de me mettre fin à mes souffrances me guette et m'attrapera lorsque j'aurais réussi à mettre au clair mon existence passée. » L'étranger prit un air ahuri, et se massa légèrement le front comme si une terrible erreur avait eu lieu-Voyez vous, je ne suis pas votre ami. À vrai dire nous ne nous sommes croisés que quelques fois dans notre vie, n'attachez aucune sympathie à ma personne par ailleurs. Je ne puis, mon pauvre ami vous dire quel rapport vous aviez à moi dans votre passé, et ce que vous faisiez avant, et ce pour plusieurs raisons. Mais si vous n'arrivez pas à vous souvenir de votre vie, c'est une véritable catastrophe. L'homme s'enquit de tout noter dans un petit carnet. Artyom resta impassible se posant encore un tas de questions dans sa tête. Il avait l'impression d'être au centre d'une supercherie, rien ne paraissait vraisemblable. - Vous ne pouvez simplement donc rien me dire ? Hé bien soit, je réorganiserais ma vie comme il le faudra, de toute façon je crois avoir peur de mon passé. Donia m'a fait une impression absolument terrifiante, je ne sais pourquoi, comme le décrire ! Son interlocuteur sembla d'un seul coup porter beaucoup d'intention à ce qu'il avait dit ; Je ne sais que faire, donnez moi des armes !- Des armes, je ne puis vous en donner je ne connais pas grand chose de votre vie. Mais vous me disiez que la vue de Donia vous effrayiez ? Peut-être que vous avez peine à reconnaître le sentiment amoureux. Chose bien étrange, je vais le noter également... Mais voyez vous, je connais assez Donia, et je vous prie de me croire que vous n'avez aucun intérêt à la fuir. Du reste, je vous conseille de ne pas trop réfléchir et essayer de prendre contact avec je ne sais quoi, votre famille par exemple. Du reste je pense que nous ne nous reverrons jamais... Enfin, dans ce cadre du moins. - Je n'ai aucune trace d'une quelconque famille. Mais la question m'est revenue plusieurs fois durant cet entretien, pourquoi ne m'avez vous pas simplement appelé ?- Je ne possède pas de téléphone, ce n'est pas discret, ce n'est pas discret... J'aimerais que vous sachiez car je vous ai sentis froissé lorsque je vous parlait de Donia tout à l'heure, que aucune approche romantique n'a été fait entre nous. Nous nous sommes brouillés, pour tout un tas de raisons, et je vous prie également de ne pas me faire le déshonneur de venir à moi en sa présence, voyez vous je ne le mériterais pas. Je suis trop indigne. Je rigole souvent, souvent ! Lorsque j'entends parler de dignité, de valeurs. Ce monde est rempli d'hypocrites et de contradictions. Ma dignité a été un fardeau que j'ai balancé dans la mer Baltique il y a quelques années. Vous savez, la première fois qu'on se salit les mains ; mais je ne veut pas vous effrayer. Comme tout ce monde, je pensait qu'une sorte de dieu moral en quel chaque individu croit en quelques manières malgré l'athéisme florissant, allait me purger de mes péchés et ma vie en serait réduite à néant. Mais j'ai compris ce jour que peu importe actions nous faisons aussi bonnes et terribles soient-elle, le monde en reste inchangé. Car c'est la nature voyez vous, les atomes ne bougent que selon une physique très précise, et non pas par le fonctionnement de pensées de chacun. Tout porte à croire que cette remarque relève d'un certain anarchisme, et bien elle l'est !« Vos théories me semblent... Cruellement justes. Mais même en enlevant son caractère anarchiste, le monde s'effondrerait avec de pareilles idées. - C'est juste, sûrement juste... Mais je ne veux pas que vous considériez que je dis cela pour me justifier auprès de Donia ; non, non, je suis réellement trop indigne selon ce monde pour avoir le plaisir de la revoir une nouvelle fois. Je tiens à m'excuser mais je n'ai pas plus de temps pour disserter sur le fonctionnement du monde, bien que c'est moi qui vous y ai incité. Artyom Frédorovitch ne vous souvenez vous que des informations suivantes : Rendez vous au soixante-cinq Kommunisticheskaya Ulitsa pour récupérer votre logement. Appelez moi à ce numéro si vous avez besoin de me contacter, surtout si votre envie suicidaire prend le dessus, mais je sais que vous y résistez sans soucis. Je vous inviterait à une soirée qui sont fréquemment données dans la ville, nous pourrons faire plus ample connaissance, car je sens quelque chose en vous qui mériterais une étude approfondie. Enfin, souvenez vous que votre serviteur Sergueï Mourdanov, bien que la débauche et l'immoralité l'ait envahi pour de bon, sera toujours là à vos fins et vous aidera de bon cœur dans vos entreprises. » Il se leva, déposa le papier sur lequel était inscrit son numéro de téléphone et ouvrit la porte du café mais s'arrêta d'un coup :« Je tiens quand même à vous avertir de... De ne pas chercher trop dans votre passé, vous pourriez avoir envie de le renier... Je ne veux pas que vous preniez ça méchamment. Mais... Non, non, je m'en vais, il en vaut bien mieux pour moi. » Artyom resta donc devant sa pinte de bière vide, il semblait réflechir à sa situation. Alors ainsi, Donia était bien sienne, et l'effrayait. Il se mit à replonger dans sa pensées incessantes, ces voix silencieuses qui s'élevaient dans son crâne sans pouvoir les arrêter, et qui le fatiguait péniblement. Il reprit appétit en prenant un simple sandwich au poisson et partit rassasié à son hôtel presque en courant. Il s'intéressa sur ses affaire qu'il avait avec lui, à savoir un sac assez imposant auquel il n'avait accordé aucune intention excepté son téléphone et son portefeuille. Il y avait quelques habits, d'autres paquets de cigarettes, et enfin un trousseau de clé dont il était pratiquement sûr qu'il s'y trouvait. Il ne resta dans sa chambre pas plus que le temps d'une douche et se rendit à l'accueil payer sa chambre, vidant dangereusement les roubles contenus dans son portefeuille. Il ne devait en rester qu'une dizaine. Ainsi il reprit ses affaires, et se dirigea tout droit vers « La rue du communisme » où était situé son logement. Il frappa chez le concierge demandant tout fébrilement où se trouvait son appartement. Le vieil homme plissa le yeux et retira ses lunettes d'un air consterné et hésitant, avant de lui indiquer le cinquième étage, appartement 58. S'essayant à toutes les clefs, il finit par ouvrir la porte et découvrir cet appartement moyennement imposant jonché de bouquins sur des étagères qui semblaient s'effondrer sous leur poids à vrai dire, tout était assez sobre, même assez triste, et terriblement poussiéreux. C'était un trois pièces, qui semblait déjà bien plus agréable qu'une chambre d'hôtel. Cinq-cents roubles étaient posés sur la table au milieu du salon. Il pouvait fuir, ou les investir dans quelque chose de sérieux. Mais il ne se sentait pas de rester un jour de plus ici, au départ il en avait envie mais les événements le faisait reculer. Il voulait foncer en Europe, voir ce qu'il en était de ces indices qui se cachaient dans quelques lieux européens. « Je n'arrive décidément pas à comprendre ce qui m'a poussé à venir vivre ici, se dit-il. Peut-être ai-je fait une terrible erreur dans mon passé, j'en suis certain. Quelle vie devais-je mener ! Et elle me rattrape, elle me rattrape. J'appellerais ce débauché demain, et je me fierai au présent comme je l'ai fait jusqu'à présent. »Sa tête était encore lourde, il s'échappa en parcourant sa bibliothèque. Il n'avait pas perdu tout son intellect, les mots de certaines poésies du XIXème siècle français pour la plupart, semblaient familiers, si bien qu'il pouvait presque à certain moment les lire les yeux fermés. Cependant rien de tout cela n'évoquait de souvenirs particuliers en lui, peut-être de brèves mais intenses sensations connues, qui le poussait à passer tous ces ouvrages à grande vitesse en la recherche d'une « madeleine de Proust » qui pourrait faire revenir quelques entrevues du passé. Il passa sa soirée à cela, se torturant toujours plus l'esprit, mais tout cela avait éveillé un profond désir de sortir dans la rue marcher quelques instants, alors que, encore une fois, la nuit et la neige étaient le mot d'ordre dans l'atmosphère de la ville.

Les Sentiments DéchusWhere stories live. Discover now