Chapitre I: Novossibirsk Partie 3

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Il se sentait comme épié, malgré la vitesse de la Lada qui s'élançait sans retenue vers les paysage de l'est de la Sibérie, il avait la sensation que tout tournait autour de lui, les bouleau, les sapins. Rien ne pouvait être vu en dehors, rien que la neige et quelques arbres peu éclairés par les phares. Le ciel semblait assez peu dégagé, mais une sorte de brume empêchait des les distinguer pleinement. Seul, sans but apparent, n'était que éclairé par la faible lumière que produisait sa cigarette. Toujours sa solitude lui collait à la peau, et une terreur s'animait inexplicablement en lui, elle semblait intrinsèque, comme si depuis qu'il roulait péniblement sur cette route il essayait de s'éloigner le plus possible de quelque chose. Peut-être Paris, Berlin, Saint-Pétersbourg, ou pire Novossibirsk, cette ville où il avait littéralement jeté toute sa misérable vie (en tout cas qu'il jugeait à tort misérable) aux ordures. D'un coup, le moteur sembla se couper. Déboussolé qu'un si robuste véhicule rende l'âme si vite ; et surtout au pire endroit, jeta un œil sur le tableau de bord. Mais quand il vit que la pédale d'accélération répondait toujours, il comprit d'un coup. Il accéléra le plus possible malgré la dangerosité du terrain, jusqu'à en faire rugir le moteur si il pouvait l'entendre. Ce n'est d'ailleurs pas qu'il ne l'entendait pas : tous les sons devenaient sourds et imperceptibles, comme si ses conduits auditifs se resserraient. La robuste Lada rebondissait par moment sur la route par l'effet de la vitesse, chaque secousse représentait un risque on ne peut plus important de virer au dehors de la route. Tout commençait à s'obscurcir, derrière lui, semblait régner un noir persistant qui progressait comme une tumeur tout le long de sa voiture. Ses phares grésillèrent, d'un coup la pénombre à l'intérieur du véhicule se fit telle qu'il n'arrivait plus à distinguer sa cigarette. Il semblait effrayé au possible, au fond de lui un réflexe de terreur peu connu mais qu'à la fois il semblait retrouver le prit. Son expression prenait une de ses formes qui ne sont possibles uniquement lorsque l'on annonce une mort imminente à quelqu'un, et qu'aucun acteur aussi bon soit-il peut imiter dans les moindres traits. Ses yeux étaient écarquillés, et semblaient grossir avec ses lunettes rondes. Enfin, les phares s'éteignirent. Il avait l'étrange sentiment que le temps et l'espace se perdaient, comme si la voiture se trouvait dans un vide intersidéral, pourtant, la sensation de vitesse se faisait encore ressentir. Il entendit enfin un vrombissement sourd qui ne semblait pas provenir du moteur, mais de l'extérieur, comme un tremblement de terre, et un éclair sembla illuminer l'arrière de la voiture, puis un amas de sphères lumineuses s'agglutinèrent autour de celle-ci. Il se sentait pris au piège, anticipait avec terreur ce qui allait suivre, il le savait, on l'avait rattrapé. Cette persécution de forces gravitationnelles venant de toute part dura une longue minute, et plus tout cela passait, plus Artyom sombrait dans un coma, un endormissement incontrôlable, comme si un opium puissant envahissait tous ses membres. Mais contre toute attente, dans sa somnolence, la luminosité et le son revint d'un coup. La voiture, lancée à une vitesse qu'elle peinait à supporter, bascula sur le côté, percuta la route enneigée par l'avant, avant de valdinguer en tonneaux sur la longueur de la voiture, et sortit plus loin hors de la route, profondément dans la forêt. Artyom, qui semblait toujours dans une sorte de sommeil mystique, accepta de manière étrange la situation, sortit sans peine de la voiture en morceaux malgré ses blessures. Il se sentit ainsi seul en plein milieu de ce désert Sibérien, et s'éloigna de ce qui restait de la Lada, basculant dans une inconscience totale, une liberté à la fois si vide, si gigantesque, et si terrifiante. Artyom ne se réveilla pas comme chacun en avait l'habitude, mais plutôt son éveil avait été dirigé par un besoin pressant de vomir. Il se précipita dans sa salle de bain, régurgitant tout ce qu'il pouvait, dans une douleur qu'il avait grand mal à supporter. Les images de son rêve se fixaient à sa vision, se détachaient, sombraient dans l'oubli, avant de reparaître aussi brusquement. Il se rassit près de la table une fois qu'il se sentit mieux. Il se sentait fébrile trembla à la fois d'angoisse et de peur, et un sentiment inexplicable de solitude vint l'envahir au point qu'il avait une envie pressante de disparaître de ce monde, de ne plus pouvoir se regarder dans le miroir. Mais dans ses lamentations silencieuses qu'il formulait dans sa tête, un événement vint mettre brusquement fin à tout ces songes toxiques. L'homme qu'il avait croisé l'autre soir sur un banc fit son entrée dans le salon par la porte du hall d'entrée, alors qu'aucun bruit n'avait annoncé sa présence. Il portait toujours cet air solennel, teinté de l'anachronisme caractérisé par sa posture mais surtout par ses habits. Artyom le regarda curieusement, mais ne sembla pas plus étonné, cet étrange personnage ne lui inspirait aucune frayeur, seulement un étonnement bref, qui ne suscita aucune interrogation orale. « Voyez comme vous vous trouvez mon cher ami... dit-il en le désignant de la main d'un air consterné. Vous vous morfondez mon cher. Dans les coutumes de la société dont je suis né ; je vous en épargne les détails, nous méprisions ces gens là. Parce que la mélancolie n'a pas d'autre but que d'être cultivée, à des fins créatifs bien souvent, mais s'y laisser porter, ou pire ! L'étaler sans cesse afin de capter l'attention des autres méritait bien la potence, sinon le bagne. Je vais peut-être un peu loin, vous en conviendrez. Ce que j'essaye de vous faire comprendre, c'est que rien n'est pire que de se laisser glisser. Même si dans nos vies décadentes la glissade est interminable, il finit par y avoir un gouffre dans lequel on cesse de glisser, et l'on y tombe purement et incessamment, du moins jusqu'à ce que le fond vous touche de plein fouet. Vous délirez mon cher, vous délirez... »Il dit ces derniers mots en regardant un peu partout autour de lui. Il semblait parler en ne portant aucune importance à son interlocuteur, était distrait de toute part.« Vous croyez que je me morfond ? Se défendit Artyom. Alors soit ! De toute façon tout ça m'est bien égal, je ne connais personne je ne... Je ressent comme quelque chose qui me prend à la gorge...- La solitude ? Coupa nettement l'autre. C'est quelque chose que je connais aussi très bien. J'ai commis l'erreur moi aussi de l'exposer au monde. Une période de ma vie, où je m'abandonnais à la boisson, au haschisch que j'allais consommer à Paris, ou au moyen orient, faute de moyens. Si bien que je ne voyais plus personne, j'imposais ma solitude comme un fardeau aux autres, alors que j'étais bien aimé. Mais savez vous, non mais savez vous quelles conclusions ai-je tiré de tout ceci ? Attendez, je vais vous le dire, voulez vous du thé ? »Sans attendre la réponse, il se mit à la cuisine bouillir de l'eau, et revint avec deux tasses de thé fumantes qu'il avait préparé à une vitesse éclair, comme ces amoureux du labeur qui se tuent au travail de bistrot. « Hé bien, mon cher, vous ne signifiez rien pour le monde. Tout le monde s'en fiche et ne veut rien savoir de vous. Au mieux, on pense de vous que « il doit certainement avoir changé de vie, et avoir trouvé le bonheur » au pire on dit que « personne n'a de temps pour réveiller un tel cas de déprime, et il mettras fin à ses jours cela au moins constituera pour lui une sorte de remède... » Voilà ce que l'on pense de vous, de nous tous, une vie humaine n'a que peu de conséquence pour les autres. La charité n'existe plus, au même titre que la solidarité semble-t-il. Pourtant tout viens de votre attitude, de quelle image vous donnez aux autres. Vous pourrissez. Seul. Encore et encore, et même si l'ivresse vous rend une sorte de bonheur nostalgique dans lequel vous vous confortez à l'idée que quelque part, quelqu'un s'intéresse de votre sort et au moins éprouve de la compassion, tout ceci n'est que pure illusion, l'humain a une vie trop remplie pour prendre le temps de penser à ces choses. C'est ainsi. - Mais alors suis-je condamné à mon sort ? Ne dites rien... Vous savez, Donia hante de plus en plus mes pensées, d'heures en heures. C'est comme une obsession infernale, et pourtant je ne puis l'approcher, la regarder dans le visage. Peut-être par simple... Terreur ? Il se produit en moi quelque chose d'incompréhensible dès lors que un minuscule morceau de sa silhouette arrive dans mon champ de vision, ne serait-ce que dans mes pensées. Pareillement, les gens qui marchent dans la rue me paraissent si las, si différents... Et moi où suis-je dans tout ça ? Entre cet énrgumen qui me persécute, cette femme dont je sais tout et à la fois rien, et vous qui venez me rendre visite à tout heure à croire que vous me traquez.- On peut parle ainsi, en quelque sorte, dit-il en riant. Peut-être qu'au sujet de Donia, vous avez perdu toute valeur de l'amour pour vous. C'est un sentiment que vous ne reconnaissez peut-être pas, je suis là tout à fait d'accord avec ce que vous disait cet étrange Sergueï Romanovitch Mourdanov. - Mais alors vous m'espionnez vraiment ! Comment se fait-il que vous soyez au courant de notre entrevue ? Demanda vivement Artyom qui perdait sa tolérance à l'égard de cet inconnu.- Ces sont des questions indiscrètes, qui vous touche je le sais bien, mais auxquelles je refuse catégoriquement de répondre. Pour en revenir à ce dont nous parlions, sachez que peut-être quelque chose s'est brisé en vous, que vous non pas de votre lourd passé oublié impérativement, simplement vous ne répondez plus aux sentiments dont vous faisiez face avant. Je vous vois tout perdu haha ! Oui, je m'exprime assez mal, les mots me manquent. Ce que je veux dire en outre, c'est que vous êtes sûrement un très grand romantique qui s'ignore. Je ne fais pas ici allusion à Donia, du moins pas complètement, vous êtes simplement un contemplatif, quelqu'un qui donne encore plus d'importance à ses émotions qu'à sa propre vie, et s'obstine à la romancer. Mais qu'y a-t-il de mal à ça ? Rien. Être romantique n'a rien de facile ça non. Mais vous verrez vos émotions vous mènerons sur un chemin escarpé auquel vous vous plairez de continuer mais en aucun cas il ne faudra vous retourner : vous sombrerez alors dans une nostalgie infinie, qui vous rongera jusqu'à des songes irréversibles qui iront au delà même du romantisme. »Artyom soupira longuement, affecté par les paroles accablantes de ce curieux individu. Des larmes coulèrent enfin de ses yeux, c'en était trop.« Alors discutons jusqu'au matin, et enivrons nous jusqu'à ce que la mort nous prévienne qu'il faudrait mieux arrêter la boisson. L'homme pouffa de son rire sournois :- Avec moi ! Moi ! Non mais regardez dans quel état vous vous trouvez mon pauvre ami... Vous ne serez pas plus seul qu'avec moi, non, soyez sérieux. Allez voir des personnes qui vous seront plus d'une amitié sincère, plutôt qu'un odieux personnage comme moi qui vous forcerait cruellement à ouvrir les yeux.- Je peux vous demander votre nom dans ce cas ?- Mon nom ? Je crois l'avoir oublié moi même, et au fond, je ne veut pas m'en rappeler. - Vous savez que vous me faites réellement penser à Piotr Stépanovitch, remarqua Artyom, avec votre air d'ancien révolutionnaire qui ne peut pas s'empêcher de dresser un portrait des événements ? Peut-être rejetterez vous la comparaison, mais peut importe ! Je vous appellerais Stépanovitch, tout simplement, peu importe le prénom de votre père, cela sera plus impersonnel ! »L'homme acquiesça comme pour montrer que cela lui était indifférent, et s'avança vers la fenêtre pour contempler paisiblement la rue.« Allez voir de personnes qui vous seront plus d'un amitié sincère » répéta à voix basse Artyom songeur. Ainsi, il se précipita sur son téléphone pour composer le numéro de Sergueï, ayant ainsi compris l'allusion de Stépanovitch. La tonalité de la ligne dura un moment avant d'être interrompu par la voix de Sergueï manifestement ivre.« Oui, oui, alors... C'est vous ? Vous m'appelez si tôt. Je ne m'y attendais pas, à vrai dire j'avais perdu espoir.- Je voudrais vous voir, vous m'aviez dit que j'aurais l'opportunité de me refaire un cercle social, chose qui m'est vital pour tout comprendre, ne m'expliquez pas en détail, je comprendrais de moi même.- Oui, vous l'avez... Bien compris. Venez au trente-cinq rue Onirique je vous attendrais dehors, une soirée est donnée avec des amis... Qui pourraient vous intéresser.Il dit tout cela sur un ton d'un coup beaucoup plus sérieux.« Alors je trouverais cette rue, j'arrive sur le champ. »Ainsi, il laissa le thé qu'il n'avait pas touché, et se vêtit de son manteau pour sortir. Sans dire un mot de plus à son visiteur, il s'en alla, sans même ferme la porte à clef. « Stépanovitch » comme l'appelait désormais Artyom s'assit sur la table en soupirant, comme lassé d'une mystérieuse vie ennuyeuse. Mais à peine le propriétaire de l'appartement était-il dans la rue, qu'il se décida à disparaître immédiatement des lieux.

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