Chap 26 : Comment communiquer avec son professeur ?

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Debout, devant mon sac de frappe, en position de combat imminent, j'étais patiemment en train d'attendre que Donovan De Belloy me donne l'ordre, à moi et à mes camarades tueurs, de commencer à asséner mes coups. Cependant, pour une fois, l'intéressé en question ne semblait pas être si pressé à nous faire débuter son exercice. Non, du coin de l'œil, je pouvais le voir passer tranquillement entre nous et nous fixer tous un par un en étudiant silencieusement notre posture. Quand il arriva à ma hauteur et que son regard passa sur moi, je tournais rapidement la tête pour me concentrer entièrement sur mon sac de frappe. Je savais déjà ce qu'allait me dire De Belloy s'il me surprenait aussi pensive... Bien que je n'avais toujours pas progressé en la matière, je commençais, petit à petit, à vraiment aimer les cours de combat rapproché. Notamment quand ils ne nécessitaient pas à ce qu'on fasse de vrai combat et qu'Angéline, entre autres, ne me refasse le portrait. Le cri de guerre de De Belloy résonna soudain dans chaque recoin du gymnase et aussitôt je frappais de mon poing droit de toutes mes forces. Le sac eu un léger mouvement de recul avant de revenir vers moi. Deuxième cri, je réitérais mon geste, mais cette fois-ci du poing gauche. Ce que j'aimais en particulier dans cette matière c'était que, contrairement à mes autres cours, je n'étais pas obligée d'écouter quelqu'un me raconter des choses que je savais déjà. Plus précisément, l'avantage en combat rapproché c'était que je pouvais enfin faire le vide et calmement réfléchir sans que mon professeur ne me foudroie du regard conscient que je n'écoutais pas. A ce titre j'avais d'ailleurs bien vite baissé dans l'estime de madame de Chapteuil. Il fallait avouer qu'elle prenait des raccourcis dans son cours qui m'exécrait me donnant encore moins envie de faire le moindre effort. J'assénais des coups, un poing après l'autre, sans détourner le regard de la petite tache blanche sur mon sac. On aurait dit une tache de peinture, cependant le plus bizarre c'était qu'elle était parfaitement positionnée au niveau de la glotte du mannequin dessiné sur le sac. Était-ce par hasard pour cela que De Belloy avait insisté pour que je prenne ce punchingball en particulier ?

J'ignorais combien de fois mes poings s'abattirent sur ce pauvre sac, mais quand la cloche sonna je fus plus que surprise. Je lançais un regard à l'horloge sur le mur. Le cours était passé extrêmement rapidement. Pourquoi il n'en était pas de même quand on devait se battre les uns contre les autres ? J'étais en train de ramasser ma bouteille d'eau et d'emboiter le pas à mes camarades quand je l'entendis énoncer mon prénom.

- Oui monsieur ? dis-je en m'approchant de lui.

Donovan De Belloy ouvrit la bouche avant de la refermer précipitamment à la vue des regards interloqués de mes camarades tueurs. Quand il comprit que ces derniers traînaient uniquement pour le malin plaisir d'entendre les commentaires qu'il avait à me faire, son regard devint beaucoup plus dur poussant ses derniers à disparaitre dans le vestiaire en moins de 5 secondes. C'était étrange, d'habitude quand De Belloy me réprimandait sur ma position ou mes gestes il n'avait aucun souci à le faire à côté des autres. Quand ses yeux marron se posèrent de nouveau vers moi il n'y avait plus aucune trace de colère. Non, comme à chaque fois qu'il me parlait il avait un regard très doux, très calme.

- Alors ? Comment se passe ton admission parmi nous Artémis ?

Je clignais des yeux, sonnée momentanément par sa question. Pour le coup, je ne m'attendais vraiment pas à ça. Pas que la question était étrange, mais ce n'était tout bonnement pas le genre de De Belloy de s'intéresser aux élèves. Non, lui de ce que j'avais pu voir, il était plutôt du genre « si tu as un problème et que tu veux que je t'aide, tu n'as qu'à venir me voir ». Il ne se mêlait pas de ce qui ne le regardait pas. En effet, il avait ce tact-là rare, à ce que sa réaction face aux déferlements de coups d'Angeline lors de nos derniers combats sur le ring, m'avait fait comprendre. Alors pourquoi me posait-il la question aujourd'hui ? Surtout que cela faisait bien longtemps que mon corps n'avait pas eu aussi présentable disons.

- Bien si on omet les énormes bleus et membres brisés que vos cours me procurent à chaque fois, répondis-je le plus honnêtement possible.

De Belloy sourit instantanément à l'écoute de ma réponse. C'était fou à quel point il pouvait passer d'un extrême à un autre : tueur à gage psychopathe à un moment puis professeur psychologue à un autre. Et pourtant, j'avais l'impression d'être la seule à me sentir vraiment à l'aise avec lui. Les autres tueurs gardaient étrangement précautionneusement leur distance malgré le fait qu'ils semblaient tout de fois autant l'apprécier que moi.

- Si tu veux éviter les blessures il faut que tu arrives à battre tes camarades avant même qu'ils t'attaquent, me conseilla Donovan De Belloy. Je te l'ai déjà dit des centaines de fois, tu peux te montrer beaucoup plus rapide qu'eux si tu continues à t'entrainer.

- Facile à dire quand on est un grand tueur.

Pfff... Je faisais que ça m'entrainer, néanmoins je n'avais pas l'impression de faire, ne serait-ce que, le moindre progrès. Loin de là même. J'ignorais comment mais j'avais surtout l'impression de régresser au contraire. Ce qui, vu mon niveau de base, était plus que déconcertant. De son côté, De Belloy ne répondit rien au compliment que je venais de lui faire. Cela ne me surprenait pas. Mon professeur de combat n'était pas du tout du genre à se vanter. Contrairement à Hector, il semblait même ne pas aimer voir les gens reconnaitre sa puissance.

- Tu t'intègres bien ?

- Ça pourrait être mieux, ça pourrait être pire.

Il hocha la tête, l'air bizarrement tranquille et gauche à la fois.

- Et ta famille ? Elle ne te manque pas trop ?

- Non, répondis-je.

A son air, je compris que ce n'était sûrement pas la bonne réponse. Néanmoins, était-on vraiment obligé d'aimer une famille adoptive qui, par peur, vous avez envoyé à des kilomètres de distance de chez eux ? En tout cas, si cette histoire avait été vraie, je sais qu'à moi, il ne m'aurait pas manqué.

- Qu'est-ce qu'il y a monsieur De Belloy ? Vous pensez encore que je mens ? dis-je en réunissant tout mon courage.

- Tu veux que je sois honnête ? me demanda-t-il juste avant que j'hoche la tête. Je sais que tu es différente de tes autres camarades.

- Je suis nouvelle, répondis-je au tac au tac.

- Non. Tu connais la douleur contrairement à eux, reprit-il au bout de quelques secondes. Et je te parle de la vraie douleur. Pas celle que tu ressens dans mes cours. Non, celle qui vise à te faire volontairement souffrir. Je le vois dans tes yeux à chaque fois que tu reçois un coup.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Les images défilaient de ma tête tandis que j'essayais de garder un minimum de contrôle. Mais je n'arrivais à rien. Donovan De Belloy venait d'ouvrir une porte que je n'arrivais pas à refermer et je sentais déjà des émotions que j'avais trop longtemps enfouis, remonter à la surface. C'était la première fois qu'on me parlait de ce sujet. Maman avait toujours été au courant de ce genre de choses, mais elle ne m'avait jamais posé de questions et je n'avais jamais rien dit dessus. Mais là, Donovan De Belloy avait mis les pieds dans le plat. La volonté de tuer... A ce mot je n'avais pu retenir un frisson. Oui, c'était vrai. On avait voulu me tuer. Plusieurs fois. Plusieurs personnes. Avec pour seul point commun, ce regard glacial et hautain qui me faisaient comprendre à chaque fois que je n'avais pas le droit de respirer et que me tuer n'était en rien un problème de moral. Parce que ce n'était pas dans l'ordre naturel des choses que je sois encore vivante.

- J'ignore qui t'a fait du mal Artémis, mais ils ne pourront plus t'atteindre ici. Alors transforme ta colère en force, en rapidité et en agilité. Et prend ta vengeance sur eux.

A peine avait-il finit sa phrase que je me retournais prestement et hâtais le pas vers la sortie du gymnase. Je devais sortir d'ici. Maintenant. Et même l'insolite arrivée de Miss Amélia à cet instant précis ne me fit ralentir la cadence. Je la dépassais sans perdre une seconde et sans lui laisser le temps de prononcer que la deuxième syllabe de mon prénom. 

Surnaturelle, tome 1: SAVOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant