Incipit

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La neige de Sibérie commençait déjà à faiblir face aux derniers souffle chauds du printemps, bien que les matins de cette région étaient encore frais, et ravivait un épais brouillard qui laissait entendre que l'été, cette année allait se faire désirer. À l'abri de ce vent de l'Asie occidentale, Artyom se laissait traîner à grande vitesse par ce train qui fonçait vers les étoiles mourantes par le matin qui les rattrapaient en direction de la métropole de Novossibirsk. Il était assis sur le lit de son étroite cabine, son thé fumait sur sa table, et il admirait les sapins qui défilaient par la petite fenêtre près de son lit. Sa nuit avait été fracassante et longue ; il avait passé son temps à se retourner, des formes étranges semblable à des hallucinations avaient fatigué sa conscience durant des heures. Il avait l'impression de n'avoir pas dormi une seule seconde, pourtant la nuit avait semblé durer dix minutes. Son regard exprimait une angoisse et une incompréhension mêlée à une pureté que son grain de peau jeune, dépourvu de toute pilosité faciale faisait ressortir. Il retira ses lunettes, attrapa sa tasse à l'aveugle, et l'engloutit d'un coup. C'était la seule matière qu'il se sentait en mesure d'absorber, car étrangement chaque aliment s'il avait été en sa possession, lui évoquerait un goût semblable au papier d'imprimerie. Pourtant il se sentait si fébrile, les forces lui manquait, dans un sens littéral autant que dans un sens figuré. Sa silhouette était si fine, qu'il flottait totalement dans ses vêtements, et sa tête semblait reposer sur un maigre piédestal. Si on pouvait conclure juste au premier regard que c'était un homme torturé et complexe émotionnellement, on en tirerait une conclusion on ne peut plus juste. À la fenêtre de sa cabine, les arbres avaient cessés de défiler, remplacés par d'imposants immeubles qui annonçaient l'arrivée imminente à destination. Il sortit de ce train, un seul sac en main, se rendant sur l'immense place où s'affalait cette immense gare peinte en verte, qui contrastait avec le ciel bleu légèrement couvert de cette immense ville. Il déambula au hasard dans quelques rues, et sa raison le poussa d'un coup à prendre une chambre d'hôtel le plus proche de lui, afin de trouver un pied à terre. La chambre était tout ce qu'il y a de plus basique, il s'en contenta assez facilement. Mais voilà qu'il contemplait la ville par la fenêtre de sa chambre qu'il se confrontait à un véritable problème. Problème qui s'était posée dès son réveil dans le train, mais qu'il avait écarté le plus possible de ses pensées, il avait voulu s'en débarrasser pour ne pas se laisser submerger par la terreur. Que devait-il faire maintenant ? Pourquoi s'était-il arrêté à Novossibirsk ? Bien que cette ville lui plaisait déjà grandement sans trop savoir pourquoi, il s'y sentait étranger, il avait l'infâme sensation que partout sur terre étaient des terres inconnues, qu'il lui restait à découvrir. En fait, le fond du problème était également qu'il ne savait nullement d'où il venait. Il se sentait submergé d'un sommeil qui avait duré une éternité, il semblait avoir été mis au monde les dernières vingt-quatre heures. Pourtant il pratiquait le Russe. Si, si, dans son demi somnambulisme dont il sortait à peine dans le train, un homme aux allures de vagabond lui avait proposé du thé. Alors, par automatisme, comme si les mots sortaient de sa bouche sans avoir le moindre contrôle, il lui avait répondu qu'il en voulait volontiers, et qu'il allait se recoucher par la suite. « Ya bosmu eche poka nie vernulsya v postel » avait-il dit tout naturellement. Sans compter la brève interaction avec l'accueil pour obtenir la chambre. En jetant un œil sur son téléphone, il avait remarqué que bien que tout était écrit en Russe, il y était compris également un clavier français, ainsi, il se remémorait quelques mots qui avaient du mal à se constituer dans son esprit ainsi que sur ses lèvres. « D'ailleurs, en quelle langue suis-je en train de penser ? » se demanda-t-il. Mais la réponse n'était rien, il formulait des phrases fantômes qui étaient comprises par son esprit avant même qu'elles soient formulées, il songeait comme un animal, comme un nouveau né, et le Russe l'embarrassait dans la formulation de ses pensées. Ainsi, il se sentait totalement pris au piège dans une dimension surnaturelle, où il n'y a plus de lien entre lui et le monde dans lequel il plongeait. Il s'allongea sur son lit, avant de tâtonner ses poches, et trouver une cigarette, réflexe qui comme tout les autres semblait entièrement primitifs. Il essayait de remonter le fil de sa mémoire malgré la difficulté mentale que cela lui imposait. Avant son réveil bien matinal, il avait passé la nuit à se retourner, et il lui semblait qu'il s'était réveillé avec une forte envie de boisson chaude. Mais encore avant, il ne se souvenait que de lui qui errait dans ce train, à la recherche d'un objectif, de quelqu'un avec qui discuter. Ces souvenirs étaient difficilement accessibles, tout était brouillé, il était à ce moment là dans une transe et une sorte de bulle hors du réel. Il ne se souvenait d'ailleurs plus à quelle cela s'était passé. Et au delà de ce souvenir, un épais mur noir se dressait, cette partie de sa vie lui était interdite, et à tout jamais il en avait bien peur. Il travaillait de plus en plus sur sa mémoire tentant de briser ce mur qui le frustrait de tout son être, mais tout ce qu'il obtint fût une lumière blanche qui éclaira son esprit un instant, comme si sa vision lui jouait un mauvais tour. Il écrasa alors le plus vite possible sa cigarette, et se précipita dans la salle de bain, alors qu'une nausée lui était montée en une vitesse éclair. Il vomit le peu qu'il lui restait dans le ventre ce qui le soulagea un instant. Il se sentait toujours faible, tremblant, et torturé de toutes parts. Il sentait qu'il avait le besoin de se purifier, que dans son être se trouvait un poison, qu'il soit métaphorique ou réel, et que son corps s'efforçait à le supprimer. Il prit le temps de se regarder dans le miroir rien que pour voir à quoi il ressemblait. Il portait un visage maigre et pâle, non pas qu'il n'était pas beau garçon, son visage pouvait aussi bien faire ressentir la fascination que la terreur. Une sonnerie stridente résonnait dans sa poche, son téléphone sonnait.« De... de qui... Qui est-ce ?- C'est Donia imbécile. Alors tu es arrivé ? On se voit au Square Lénine ?- Je... Oui, oui, très bien j'arrive maintenant si vous voulez.- Vous ? Tu m'as l'air encore plus perturbé que d'habitude. Allez, viens dans quinze minute nigaud, tu me raconteras une nouvelle fois tes tourments.- Très bien. » Il raccrocha sans formes de politesses. Il n'avait aucune idée de qui il s'agissait, il se dit que pour remonter dans son passé il ferait mieux de s'entourer des personnes de son passé. Il en profita pour fouiller son téléphone qu'il n'avait pas consulté plus d'une fois durant les dernières vingt-quatre heures. Dans les contacts, il n'y avait que quelques noms, Donia, Alexeï, et quelques autres noms slaves ou européens. Cela ne l'aidait pas beaucoup. Il n'avait pas d'applications, de réseaux sociaux, la seule photo dans son téléphone le représentait, dans une nuit noire éclairé par un flash soudain, regardant à côté de l'objectif d'un air humoristique les yeux et les pupilles écarquillées. Ainsi il se nommait Artyom Fredorovitch Davalin, (son nom de famille francophone l'étonnait grandement) comme c'était noté sur son passeport Russe, il avait vingt ans, était né à Kreusberg à Berlin durant la fin des années quatre-vingt dix. Cet afflux d'information ne l'aidait en rien dans sa tâche, il semblait totalement perdu et ne voulait même pas croire en la véracité de celles-ci. Ainsi il se leva, reprit son manteau, et descendit les escaliers ainsi que la rue vers le Square Lénine. Il s'assit au hasard sur un banc, se disant que cette Donia finirait bien par le reconnaître, il ne voulait pas se mêler aux inconnus qui le regardaient d'ailleurs de manière curieuse, peut-être était-ce ses cheveux assez courts mais hirsutes qui prenaient leur forme en fonction du vent, où son air totalement déphasé qui traduisait de réels sentiments. Il attendit assez longtemps, plus que quinze minutes pour ainsi dire, si bien qu'il s'endormit. Mais son réveil se solda par une femme, qui avait sensiblement le même âge qui lui, qui le secouait par l'épaule. Il la fixa durant un instant et se sentait submergé de sentiments qui perçait son cœur à s'en rompre. C'était une demoiselle aux longs cheveux blonds qui progressaient tout le long de sa silhouette fine et élégante. Bien qu'elle était couverte pour braver les vents de Sibérie, la seule vue de son visage produisait un véritable coup de foudre aux yeux d'Artyom, sentiment qu'il peinait à comprendre. « Tu en fais une tête. Je te connais assez bien pour en déduire que ça ne va pas. Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Alors tu n'as rien à me dire ? »Artyom se sentit d'un coup totalement paralysé. Il se sentait ébouillanté, son esprit lui imposait des sentiments tendres dont il ne savait que faire, ce qui le poussait plus dans la fuite et dans la frayeur que dans le laisser-faire. Il ne pût que bafouiller quelques mots :« Ces temps-ci c'est comme si... Je redécouvrait qui j'étais. Je ne suis même pas sûr de réussir... De réussir à m'exprimer convenablement. »Donia leva la tête en soupirant comme un désespoir ironique. Elle se rapprocha du lui, alors vexé du fait qu'il se reculait sans cesse. Peut-être avait elle l'habitude de ce comportement complexe avec son ami... Ou amant, ou quoi d'ailleurs ? Devait-il l'enlacer, ne rien dire ? Il avait simplement envie de fuir cette situation, ses sentiments aussi forts soient-ils semblait bloqués dans sa gorge, l'amour n'était plus de son inné !« Alors parle moi en français, idiot – dit-elle avec un sourire amoureux. - Je n'oublierais jamais mes ivresses partagées avec toi au bord de la plage. »Dit ceci tout naturellement, mais son inconscient venait de lui rendre un indice profond sur sa mémoire qui affecta doublement ses sentiments.Il se voyait alors jeune, devant un soleil flamboyant qui n'existe que dans les rêves, dans les bras d'un amour qu'il avait eu dieu sait quand, qui n'était même pas identifiable face à la luminosité extrême de cette image. Toutes ces nuances de couleurs vives, et de pur amour mêlé à tant d'ivresse lui faisait ressortir un sentiment tout particulier de mélancolie, sinon de nostalgie, et son cœur se tordait douloureusement dans sa poitrine. « J'aime t'entendre parler français – dit Donia en faisant basculer une mèche sur le front d'Artyom. -Qu'est-ce que cela veut dire ? »Tout d'un coup, il ne tenait plus, et fondit en larmes, tout tremblant en proie à une nervosité prononcée. C'est alors qu'il se décida à s'enfuir, rentrer à son hôtel la peur au ventre, sans savoir si Donia avait prit l'initiative de le suivre. Il fonça dans l'épicerie la plus proche, acheter deux bouteille de bière et une de rhum, sentant en lui un grand besoin de se trouver sous emprise, il aurait avalé toutes sortes de champignons dangereux pour s'échapper de cette réalité qui le submergeait. Toute l'après midi, il passa son temps à somnoler dans sa chambre d'hôtel une bouteille à la main, plongeant dans des visions étranges, qui étaient purement contenus dans l'alcool coulant dans ses veines. Son téléphone n'avait pas arrêté de sonner, de vibrer, mais pas une seule fois cet étrange jeune homme n'avait pris la peine de s'y intéresser.

Les Sentiments DéchusWhere stories live. Discover now