Chapitre 2

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Présent - 2014

–  T'en veux un ?

            Alister tourne la tête. A côté, Pascal lui tend un joint qu'il vient de finir de rouler. Il s'en saisit du bout des doigts avant de le porter à ses lèvres.

–  Merci.

– Ça va ?

–  Non.

            Comment Pascal peut-il lui demander ça ? Il sait pertinemment que cela ne va pas. Il se sent seul et vide.

            Il tire une nouvelle taffe et laisse la fumée s'enfuir dans l'air frais de cette fin d'après-midi. L'adolescent à côté pose une main sur son épaule, dans un geste amical censé le réconforter. Alister ne bouge pas. Il apprécie Pascal et ne veut pas paraitre impoli ou faire retomber sa colère et sa tristesse contre lui.

            Mais la vie est injuste, profondément injuste.

–  Il y a peut-être des recours ? tente son ami. Tu en as parlé à l'assistance sociale ?

            Alister lui renvoie un regard qu'il espère être le plus noir possible. Ils en ont déjà parlé une bonne dizaine de fois, inutile de retourner le couteau dans la plaie.

–  Il n'y a plus rien à faire et tu le sais. Molly me l'a dit.

–  Ils n'y connaissent rien ! Ne les écoute pas.

–  C'est terminé je te dis.

–  Tu peux toujours lui écrire.

–  Non, je ne lui écrirai pas.

            Sa sœur a le droit d'avoir une vie heureuse, loin de lui, loin du foyer, loin des familles dans lesquelles ils ont été ballotés durant plusieurs années et de ce monde merdique. Il aurait préféré qu'elle ne connaisse jamais ça. Il l'a protégé comme il a pu, mais que pouvait-il faire contre un juge, du haut de ses seize ans ? Il a bien tenté d'argumenter auprès des services sociaux en arguant qu'il était capable de s'occuper d'Auriane tout seul mais ils ne l'ont pas cru. Il aurait pourtant suffi que le juge lui accorde la pleine émancipation, mais il a refusé. Les éducateurs le disent instable et incapable de s'occuper de lui-même, donc encore moins d'une enfant de cinq ans. Ses professeurs le décrivent comme immature et ont conclu leur rapport en expliquant qu'il doit d'abord apprendre à s'occuper de lui avant de vouloir prendre soin d'un autre. Et de toute façon, de quoi aurait-il vécu ? Il ne travaille pas, va encore au lycée – même s'il passe plus de temps dehors que dans l'établissement – et il n'a aucune idée de ce qu'il veut faire de son avenir.

            Mais pour Auriane, il aurait trouvé une solution. Il se serait présenté dans un Fast Food par exemple, aurait distribué des tracts dans la rue ou vendu des chaussures. Il aurait fait tout ce qu'il pouvait pour subvenir aux besoins de sa petite sœur, si on lui en avait laissé l'occasion.

            Cela fait longtemps que leurs parents n'ont plus d'autorité sur eux et qu'ils sont sous la tutelle de l'aide sociale à l'enfance, en vertu de la Children and Family Services Act. Ils auraient pu rester ainsi, ensemble, mais Garrett et Aileen ont accepté qu'Auriane soit mise à l'adoption. Alister soupçonne le juge et les assistants sociaux de les y avoir forcé. En tout cas, il préfère croire cette version.

            D'un côté, il leur en veut de ne pas avoir fait la même chose avec lui quand il avait six ans. D'un autre, il les remercie, parce qu'il estime que c'était la preuve qu'ils tenaient encore à lui, et qu'ils espéraient un jour le récupérer. Le fait qu'ils abandonnent toute autorité sur Auriane aujourd'hui sonne comme un glas. En renonçant à leur fille, ils renoncent à l'idée qu'ils puissent un jour redevenir une famille. Au fond, il ne sait pas ce qui le rend le plus triste. Le pire, c'est qu'il ne leur en veut pas. Ses parents sont malades et il le sait. Malade de la vie, ce qui les a rendus addict' à des substances nocives. Ce n'est pas de leur faute mais celle de la société qui ne les a pas aidés lorsqu'ils demandaient de l'argent pour payer les factures. La drogue leur permettait juste d'oublier leur misérable existence.

Alister - Des ailes briséesWhere stories live. Discover now