XI

88 13 13
                                    








J'ai chuté de si haut que l'altitude ne me fait plus peur. La Lune ne brille plus vue d'ici, je crois que rien n'est assez proche pour apporter quelconque once de lumière et tout est continuité, je n'aurais jamais dû m'enfoncer volontairement si loin, je n'aurais jamais dû persister dans l'existence. La mort est une notion tant obscure que personne n'ose en parler, il est rare qu'on la cite, je n'y pensais jamais, elle ne m'a jamais intéressée, pas assez pour susciter ma réflexion jusqu'ici et maintenant, la voilà si proche, tellement près qu'elle paraît me caresser de ses doigts, me sentir le cou. Je sais qu'elle m'observe, qu'elle attend patiemment de pouvoir me coincer et elle est prête, il suffira d'un mot de l'Univers pour qu'elle me prenne ; qu'est-ce qu'il attend ? Peut-être de me voir atteindre mes limites, complètement saturer quant aux sentiments que je porte à l'égard de mon monde, peut-être veut-il simplement savourer chaque souffrance me parcourant tout entier depuis longtemps, je ne saurais pas mesurer, peut-être n'en a-t-il simplement rien à faire, il m'a oublié, il m'a assez aidé, c'est à moi de me débrouiller, c'est à moi de sortir la tête de l'eau, de quitter cette plage au ciel rouge, à la mer froide et agressive, à la sirène qui ne s'arrête pas de chanter. Il doit seulement attendre, continuer de jouer son rôle auprès d'autres personnes, faire briller les astres auprès d'âmes plus méritantes puisque la mienne l'a déçu et je le comprends, je les comprends tous, je suis une déception telle, un monstre ! Je me suis trompé, peut-être n'ai-je finalement jamais vécu et toutes ces histoires de naissance étaient un mensonge, je ne sais plus, où est-ce que je me trouve ?

J'ouvre les yeux, j'ai l'impression de n'avoir jamais ressenti ces sensations : les rayons d'un Soleil hivernal traversant les rideaux pour s'échouer sur ma peau, mon visage et mes bras, ces mêmes yeux me lançant d'une petite douleur perfide, d'anciens souvenirs cherchant à ressurgir alors même que je viens de sortir de léthargie. Couché dans mon lit, je reconnais mes vêtements de la veille, les murs m'entourant et le plafond moins blanc, plus bleu, je passe une main sur mon visage pour me forcer à me réveiller puis je saisis mon téléphone dans ma poche, il est treize heures, je ne me rappelle pas être venu jusqu'ici, je ne me rappelle pas avoir fait quoi que ce soit depuis le début de la nuit mais je suis là et je sens que je ne le devrais pas, je ne suis pas à ma place. Je dois me lever, aller voir Saghir pour m'excuser, lui dire à quel point je regrette ce qu'il s'est passé, ce que j'ai fais, ce que je lui ai causé, je dois le voir pour qu'il me parle et même s'il m'insulte, même s'il est tellement en colère qu'il finit par me frapper, ce sera amplement mérité, il se sera vengé même si rien ne suffirait pour rattraper ce qu'il a subi. Je devrais respecter sa décision et le laisser tranquille, faire en sorte qu'il n'entende plus jamais parler de moi comme il me l'a dit parce qu'il ne s'agit plus de nous, plus rien ne le concerne mais je n'y arriverais pas sans lui et je le sais, je dois lui parler, m'expliquer, il faut qu'il me comprenne, je dois me lever ! Je me redresse, les rideaux exécutent légers mouvements en même temps que je scrute ma table de chevet, il doit y avoir ce que je veux à l'intérieur de son tiroir, j'ouvre celui-ci, il est rempli, des feuilles et des conneries, je dois perpétrer les bons choix alors pourquoi est-ce que je finis toujours par entreprendre les actes les plus regrettables ?

Une plaquette de cachets en main, la porte s'ouvre et c'est lui qui entre même si, au départ, je n'étais pas sûr qu'il s'agisse de son être : ses yeux noirs sont gonflés et quelques lignes rouges traversent ses sclérotiques, il n'a pas dû dormir, son visage habituellement rempli de couleurs se veut terne et froid, il est surplombé de marques, du sang séché à certains endroits, une arcade violacée, ses sourcils froncés qui le sont davantage en me voyant dans une telle posture. Je ne pensais pas le voir maintenant, et il ne pensait pas me voir avec ça j'imagine, il t'approche jusqu'à saisir ce que j'avais en main, l'analyser un instant mais très vite comprendre de quoi il s'agit puisque il jette l'objet sur mon bureau d'un coup de main avant de se rapprocher assez afin de m'asséner de son poing griffé sur ma joue. Sous sa force, ma tête cogne le mur qui se trouve derrière moi mais je n'y prête pas attention, pas maintenant, bien plus concentré par le noir de son regard que j'aimerais ne plus jamais avoir à affronter ; sa respiration ne se veut pas régulière, plutôt saccadée, il regarde un instant en direction des rideaux comme si ceux-ci pouvaient l'aider à se calmer puis, il passe une main sur son visage avant de se retourner vers moi. Il me regarde de travers, c'est ma dernière chance et je pense l'avoir déjà gâchée, qu'est-ce que j'ai fais, pourquoi est-il blessé, où est mon père, où est Marco, qu'est-ce qu'il s'est passé de si grave pour qu'on en soit là, est-ce que Zineb est venue elle aussi ou ne reviendra-t-elle jamais, est-ce que Saghir me pardonnera un jour bien qu'il soit plus enclin à me tuer sans que personne ne vienne le troubler et je ne le ferais pas non plus, je le laisserais volontiers, je n'attends que ça !

DANS LES PLEURS ET LE SANGWhere stories live. Discover now