III

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De l'eau et du sable, la sensation du Soleil s'accaparant ma peau découverte pour la brûler doucement ; il se dépose sans un bruit, sans une gêne, il n'y a plus de parasol ni de nuages, encore moins de crème, seulement l'astre et le ciel d'un bleu translucide, seulement le monde en lui-même et un seul être chétif et vulnérable, un être qui ne vaut rien face à l'immensité de l'Univers. Ce même être se laissant volontairement prendre par le chaos, cherchant à ressentir la moindre secousse de l'âme pour trouver une explication, un sens aux actes perpétrés ; qu'est-ce qu'il fait encore là, pourquoi est-il réellement né autrement que pour ruiner ses proches, pourquoi ne disparaît-il pas ou pourquoi ne peut-il pas laisser son entourage, tant de questions pour très peu de réponses, il n'en a jusqu'ici jamais trouvé. L'écume s'échoue sur mes pieds, je me redresse doucement, le ciel devient rouge, la mer se rapproche ! Je suis petit face à lui, je tente pourtant de lui faire face, je n'abandonne pas, je ne le peux pas après être arrivé si loin ; sur l'horizon cruor dont je ne vois l'issue, un orage se prépare, il n'y a que moi sur cette plage, il n'y a plus personne, la fin du monde ? Non, loin de là, plutôt la naissance, et une naissance se fait toujours dans les pleurs et le sang, la naissance d'une infime particule parmi d'autres particules, la naissance de l'âme ayant trouvé celle qu'il attendait et celle-ci, sortant de la mer pour s'avancer vers moi, porte avec elle une diffuse effluve de sel et de cannelle.

«Monsieur ?»

Une vieille dame et sa petite-fille, des cheveux attachés en un chignon si serré qu'il en créerait une calvitie. Je me suis endormi à même le comptoir sans faire exprès, je m'excuse brièvement avant d'encaisser ses billets et de lui donner les tickets de la prochaine séance. La petite me sourit avant de suivre sa grand-mère, toute joviale, ses deux tresses sautillant à chacun de ses pas. Mon téléphone affiche vingt-deux heures, tout va bien dans le meilleur des mondes, le plafond quadrillé marqué de tâches d'humidité me rappelle que je suis là depuis ce matin et que je ne risque pas de partir maintenant, une queue commence à se former devant moi ; je travaille dans ce cinéma depuis septembre et je commence déjà à saturer, je n'y travaille pourtant que les week-ends mais puisque je combine ce boulot avec deux autres, je ne peux être au maximum de mes capacités. Si mon père était là, il me dirait qu'à mon âge, il travaillait quarante heures par semaine au chantier et qu'il ne s'en est jamais plaint, qu'un homme n'est jamais fatigué lorsqu'il est motivé et qu'il suffit de le vouloir pour décrocher la Lune : je n'ai pas hérité de sa motivation sans failles ni de sa force, je ne lui ressemble en rien et heureusement d'ailleurs.

De toute façon, rien n'importe réellement, je rentrerais chez moi d'ici deux heures, je saluerais la mort puis je monterais dans ma chambre, je me coucherais dans mon lit sans prendre le temps ni de me laver, ni de me changer, encore moins de fermer les volets et je réfléchirais ; comment puis-je gagner plus d'argent, devrais-je demander à passer l'examen du permis dans la semaine, devrais-je aller photographier des paysages nocturnes comme je le faisais avant, comme je l'ai d'ailleurs toujours fait, devrais-je simplement me taire et attendre, attendre que des jours meilleurs me viennent ou attendre que des jours abominables prennent le dessus, qu'importe pourvu qu'il se passe quelque chose, devrais-je envoyer un message à Saghir, lui demander de venir chez moi lorsqu'il aura le temps ou venir directement dans son quartier, saluer ses parents, jouer avec sa sœur puis repartir, devrais-je appeler Zineb, je ne l'ai pas revue depuis ce soir-là, c'était il y a déjà une semaine mais je ne fais qu'y penser, chaque jour, chaque nuit, aurait-elle mis quelconque philtre dans ma canette lorsqu'elle m'a croisé ? Je mettrais du temps à m'endormir et je rêverais d'elle, de ce même ciel rouge, qu'est-ce qu'un ciel rouge ? Si je lui demandais, saurait-elle m'éclairer et vivrait-on de ce lien passionnel n'ayant finalement aucun sens mais assez pour me maintenir éveillé ? J'encaisse des billets, je distribue des tickets, toujours les mêmes, est-ce qu'elle se rappellerait de moi si je l'appelais ? Je ne lui avais rien envoyé, elle n'a donc pas mon numéro, elle ne m'a pas demandé mon prénom mais je suppose qu'elle le connaissait, ou alors n'en avait-elle rien à faire ? Les clients s'arrêtent enfin d'affluer, mon collègue m'informe qu'il s'en va et que je vais devoir fermer le cinéma tout seul, devrais-je lui envoyer un message pour être sûr qu'elle ne m'ait pas oublié ?

DANS LES PLEURS ET LE SANGWhere stories live. Discover now