I

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Je ne leur ressemblerais jamais.
Ni l'un, ni l'autre, dans les défauts comme dans les maigres qualités qu'ils possèdent et dont je ne me souviens pas tellement tant elles sont infimes ; si elle était encore là pour m'éclairer, elle me dirait que sa plus grande qualité se trouve dans son regard, dans son apparence même. Elle m'assurerait qu'à ma place, mon plus grand rêve serait de lui ressembler ne serait-ce qu'un peu tant sa beauté a servi, a rendu fou les hommes de sa génération comme les plus jeunes, les plus vieux, et même les femmes : son visage à la mâchoire tracée, des joues creusées toujours agrémentées d'un peu de rouge, des lèvres pulpeuses badigeonnées de gloss cramoisi, de longs cheveux qu'elle teignait chaque jour férié : blond, noir, roux, en fonction de son humeur comme du Soleil au loin, comme du paysage autour d'elle afin d'être assez mise en valeur pour attirer le regard, tous les regards. Une grande taille élancée, sans cesse montrée à travers des jupes, des robes, longues ou courtes, de petits chemisiers, des tailleurs, des gants en tulle et des vêtements luxueux, elle aimait les belles choses, les choses ayant de la valeur, elle avait autant de valeur que tout ce qu'elle portait et arborait fièrement cet attirail à chaque fois qu'elle sortait. Elle me dirait qu'elle est déterminée, qu'elle n'a jamais laissé une occasion lui échapper, qu'elle est capable de tout pour arriver à ses fins et qu'elle contrôle absolument tout ce qui lui parvient, tout ce qu'il se passe autour d'elle ; ainsi, elle me dirait qu'en ce sens, et malgré moi, je lui ressemble.

Ma mère, elle n'aimait pas grand monde, certainement pas son propre fils qui l'avait forcé à arrêter sa carrière naissante de mannequin et il suffisait d'un rien pour qu'elle nous le rappelle, à mon père et moi ; on avait tout gâché, j'avais tout gâché sans un scrupule. Je suis venu, j'ai vu, j'ai tout ruiné autour de moi et j'ai souris en prime, alors elle est partie. Il ne restait plus que mon père, assis sur son vieux canapé d'un rouge usé, il perd parfois du tissu à certains endroits tant il existe depuis longtemps, tant il abrite la même âme depuis tout ce temps, à boire dans la même bouteille en plastique comme s'il avait perdu la notion du temps depuis son départ et comme si, finalement, il s'empêchait d'être en vie sans elle. Le temps est une notion relative, lorsque je le vois posté au même endroit en rentrant, j'ai l'impression qu'il n'est plus si réel, qu'il n'est qu'une hallucination que je garde pour éviter de regarder mes traumatismes en face. Mais lorsqu'il se lève et qu'il crie mon nom au bas des escaliers, cela m'assure qu'il existe bien et qu'il n'a pas encore abandonné, même si ma simple présence doit lui rappeler chaque jour l'erreur commise, la femme si belle qui l'a abandonné alors qu'il aurait tout donné, tout quitté pour son beau regard de plomb.

«ACHILLE ! VIENS VOIR !»

Une voix caverneuse et rouillée par la vieillesse, il n'avait pas la même avant ; le temps, la fissure qui s'est créée, la fin de son monde et le début d'une monotonie sans fin, je me lève de mon lit duquel je n'étais pas sorti de la journée afin de quitter ma chambre pour le rejoindre. Cette petite maison d'un quartier calme de la ville me paraît aussi fatiguée que lui, elle semble avoir perdu toute essence, il n'y a plus grand-chose pour la caractériser : ses murs beiges présentent quelques fissures d'humidité, quelques tâches dont j'ai oublié la provenance, peut-être étaient-elles déjà là avant ou peut-être sont-elles résultat d'histoires auxquelles je n'ai pas assisté. Ses portes de bois font du bruit lorsqu'on les ouvre, elles grincent et crient de douleur, une lassitude si prononcée qu'on aurait presque l'impression qu'elles aussi sont en vie. Quelques sources de lumière, l'ombre de ma fenêtre se reflétant dans le couloir, les rayons du Soleil se déposant gentiment dans certains recoins sombres de l'endroit pour l'égayer ne serait-ce qu'un peu, lui rendre sa jeunesse volée par la seule âme assez forte pour mettre de l'ordre dans l'entièreté de la bâtisse. Cette maison n'a pas dû voir quelqu'un de plus vivant que ma mère lorsqu'elle était encore là et elle doit, comme mon père, aussi souffrir de son absence subie puisqu'elle, comme lui, n'avait rien à voir là-dedans : c'était de ma faute, je me demande si les murs me détestent. Je descends doucement les escaliers, mon père se tient en bas, le bras déposé sur la rembarde comme à son habitude, le regard plissé par les rayons solaires et ridé, ridé de vieillesse comme de peine, un visage renfrogné qui s'illumine parfois pour me lancer un petit sourire. Aujourd'hui, il ne sourit pas spécialement mais dépose sa grande main sèche sur mon épaule lorsque j'arrive à son niveau, me la tapote légèrement tout en s'apprêtant à parler.

DANS LES PLEURS ET LE SANGWhere stories live. Discover now