II

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Ma vue se trouble à mesure que les minutes passent, je n'ai pourtant rien consommé mais je sens que quelque chose a changé. Sous les néons rouges de l'une des grandes chambres de ce qu'on peut à juste titre qualifier de château, toutes les couleurs sont les mêmes, toutes les teintes se confondent et je me retrouve alors en face de draps noirs, d'un rideau dentelé se mouvant au rythme du vent, d'un long miroir aux contours sculptés me reflétant moi, bien réel, ma chemise à carreaux beaucoup trop large recouvrant un simple t-shirt avec lequel j'ai dormi la veille, peut-être même les jours avant, un jean marqué à certains endroits et des cernes qu'on ne remarque pas. Une silhouette s'écarte de la fenêtre pour me fixer à travers le miroir, la silhouette de l'Enfer qui aurait pu rester dans son coin mais qui m'a suivie jusqu'ici, pour être plus tranquille, pour pouvoir entendre sa voix et savoir si elle aussi, comme moi, est bien réelle : ses paupières tombantes se plissent un peu tandis qu'elle s'avance vers moi, les mains derrière le dos mais toujours d'un air imposant et extérieur, froid, l'hiver n'a rien à lui envier et d'ailleurs, elle le domine, elle domine absolument tout ce qui se trouve près d'elle. Elle s'arrête à côté de moi, en face du miroir, la lumière m'empêche de les voir mais ses yeux sont cernés, creusés, et si je m'avise de les regarder trop longtemps, il me semble y entrevoir une brèche, et je pourrais m'y enfoncer volontiers, me laisser enfermer pour l'éternité et ça ne me dérangerait pas tant que ça, est-ce un piège ?

Elle ne m'a pas dit son nom, elle n'a pas dit grand-chose, elle se contente de ma simple présence à côté d'elle sans pour autant en avoir l'air dérangée, je ne suis qu'une décoration, son passe-temps de ce soir, elle n'a pas semblé réticente à quoi que ce soit mais je n'ai rien fais, rien dis, que dire face à elle, que dire d'assez pertinent pour la captiver et faire en sorte qu'elle aussi, tombe dans ma brèche ? Verrait-elle aussi cette même faille dans mes yeux lui donnant l'envie de rester près de moi pour cette nuit ? Elle n'a pas l'air ennuyée, Saghir m'a pourtant dit qu'elle n'appréciait personne, qu'elle n'aimait rien et qu'elle n'était réceptive à rien, surtout qu'elle ne parlait pas et qu'elle n'était pas intéressée, mais je suis sûr qu'elle accepterait tout ce que je lui propose, je suis sûr que je ne suis pas le seul à sentir la tension qui nous enveloppe depuis le premier regard échangé. Qu'est-ce qu'elle fait, qu'est-ce qu'elle aime, est-elle étudiante ou a-t-elle préféré travailler, est-elle amoureuse ou est-elle du genre libre et volatile, comme Saghir et moi ? Se cache-t-elle sous le rôle de cette grande dame supérieure, arrogante et indépendante pour pouvoir mieux asservir ses proies ou est-ce sa véritable nature ; peu importe la réponse, ça ne changerait rien pour moi, être une proie ne me dérangerait pas tant que je m'approche, tant que j'apprends à la connaître, qui est cette fille derrière ce visage si froid, qui est cette femme derrière cette voix assez grave mais pourtant si douce, un miel que l'on ne pourrait soupçonner mais que j'ai le privilège d'entendre, de goûter.

«T'en veux ? C'est pas à moi mais j'ai pas envie de le garder.»

Me dit-elle, un petit sachet plastique posé sur sa paume. Je le regarde d'abord de loin, c'est de la cocaïne, je l'attrape afin de l'ouvrir et en analyser le contenu ; elle ne sent pas une odeur commune, et le sachet a l'air vieux de plusieurs années. Elle me regarde faire sans un mot, sans un geste, comme si elle avait peur de me déconcentrer au moindre mouvement qu'elle pourrait entreprendre ou plutôt, impatientée de ma réponse.

«C'est de la merde ton truc, c'est bon à jeter ou à refiler à un des pigeons présents ici...»

Elle pouffe de rire un instant avant de reprendre son sachet pour tenter de reproduire l'enchaînement que je viens d'exécuter : elle l'ouvre, presse le bout de ses longs doigts tout en reniflant doucement de sorte à sentir l'odeur sans pour autant que ça parvienne jusque ses narines, elle le referme ensuite pour me le redonner puis se dirige vers la porte de la chambre, vers le couloir où la lumière allumée me permet de distinguer les couleurs de son visage : bronzé, rougis aux niveau des joues et du nez, un peu comme si elle revenait de la mer et qu'elle avait récolté un joli coup de soleil placé au bon endroit : le ciel doit l'aimer, elle doit être l'une de ses préférées.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant