VIII

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Peut-être que les traces ne s'effaceront pas.
Le sang des premiers pas vers le monde tel qu'il est, non tel qu'on l'a conçu, le sang des premières inspirations dont la douleur est moindre comparée à celles habituelles, les inspirations quotidiennes, le dioxygène s'échappant des lèvres pour se déposer ailleurs, sur d'autres lèvres ou sur d'autres peaux, d'autres éléments constituant l'Univers fraîchement présent pour nous affliger à chaque instant ; il attend simplement le bon moment. Le sang de quelques courses à travers les montagnes, à travers les rues bétonnées ou les plages de sable orangé, celles causant les chutes dont les plus amères, celles dont les cicatrices persistent bien des années plus tard tant les blessures étaient violentes et il n'y a que ça, les cœurs ne veulent rien de plus, les âmes ne cherchent que ça, avoir mal, faire mal, devenir le mal en lui-même pour ne rien ressentir d'autre puisque tous les autres sentiments n'en sont que ses dérives, toutes les autres ressources émanent d'elle : le sang des paroles interdites, celles qui apaisent autant qu'elles coupent, celles qui retournent l'estomac autant qu'elles le vident, celles qui donnent envie d'être en vie autant qu'elles poussent aux portes de l'Enfer, même Enfer incarné par la même personne, les mêmes entités, son regard un peu moins rouge à chaque fois, son visage un peu plus fermé, son corps un peu moins près, ses mains un peu plus sèches et surtout, ses lèvres qui ne m'appellent plus ; peut-être qu'elles me détestent.

Je ne sais pas l'heure qu'il est, je ne sais même pas depuis combien de temps je suis là mais je suis là, couché sur un lit n'étant pas le mien, un joint entre les doigts et le bras tendu vers l'extérieur ; dehors, il fait nuit, la fenêtre donne sur un lampadaire grésillant attirant quelques petits insectes, sûrement des moucherons, les rideaux de dentelle avancent et reculent à leur rythme, comme ils le souhaitent sans que personne n'intervienne, c'est eux qui décident et c'est nous qui subissons. La chambre est éclairée d'une vague lumière rouge, je ne distingue plus les couleurs, je ne distingue plus tellement les objets m'entourant non plus, je ne reconnais pas cet endroit mais je dois y être depuis longtemps, je  n'en sais rien. Je lève le bras pour tirer sur le filtre, je me concentre ensuite sur mon membre pour en observer la forme : il n'y a ni tâches, ni rien, je ne vois rien. Le plafond rouge s'approche doucement de moi à mesure que je le fixe, je ne le lâche pas du regard comme pour être sûr que sa mission se passe à merveille mais il n'a en réalité pas besoin de moi pour savoir ce qu'il fait et moi, n'ayant pas bougé depuis tout à l'heure, je sens un corps s'approcher de moi jusqu'à se poster au-dessus de moi, assis sur mes hanches, approchant sa main de mon bras de manière à déposer une partie de son torse sur le mien et je la vois, je la sens, je sais qu'elle sait exactement ce qu'elle fait.

Elle attrape le joint pour en inspirer quelques taffes, elle le garde ensuite entre ses doigts tandis que son autre main vient caresser mes tempes, mon front, mes cheveux puis ma joue, je la sens chauffer, son regard abrite ma brèche, ses lèvres abritent mon âme.

J'aimerais occuper ses pensées de la même manière qu'elle occupe les miennes, chasser le noir qui la surplombe pour y peindre du violet, un ciel mauve aux multiples nuages de paix, des cattleyas ornant ses boucles, éradiquer les mémoires axées sur son passé, sur ses parents, sur cette fille qu'elle aime tant pour n'y laisser que moi, assez de place rien que pour moi et ce que je lui offre, ce que je lui apporte et même si je ne lui apporte rien, assez de place pour m'aimer autant que je l'aime. J'aimerais être assez grand pour lui donner l'envie d'être là, de rester avec moi ainsi qu'avec elle-même, qu'elle soit assez aimée pour qu'elle puisse s'aimer à son tour, pour qu'elle puisse voir tout ce qui l'entoure et qu'elle apprécie ce qu'il y a, ce que le monde peut lui offrir parce qu'elle est la préférée du ciel sans le savoir et il suffirait de pas grand-chose pour qu'elle puisse en profiter et ainsi, déposer ses craintes antérieures pour respirer correctement. J'aimerais que les traces autour de son cou puissent disparaître autant que celles que je porte aux bras, ce même sang qui nous gêne depuis tellement longtemps, celui de l'enfance meurtrière, celui de l'adolescence difficile nous ayant rendu si faibles, si vulnérables et en proie aux sentiments puissants, bien trop lourds pour l'Univers qui ne veut plus de moi, j'espère qu'elle ne me laissera pas maintenant. J'aimerais qu'elle m'appartienne jusqu'à la fin, jusqu'à nos fins respectives parce qu'il est sûr que je mourrais avec elle tout comme elle me suivra parce qu'elle n'a pas le droit de vivre avec un autre que moi, avec une autre que moi, avec sa petite blonde ayant enfoncé les poignards.

DANS LES PLEURS ET LE SANGOnde histórias criam vida. Descubra agora