4. La décision

Depuis le début
                                    

Bientôt, des larmes silencieuses dévalèrent ses joues. Il sentit son propre cœur se serrer. Mais avant qu'il n'ait pu se décider à faire quoique ce soit de stupide, comme de renvoyer les agents sociaux d'où ils venaient, une collègue l'appela en renfort.

Il se trouvait à l'autre bout du couloir, préparant son matériel pour une prise de sang - le service s'animait progressivement, et la matinée se profilait chargée - lorsqu'il entendit son prénom. Prononcé dans un cri.

Il s'étonna presque qu'il ne s'agisse pas d'Andreas, bien que la voix du petit garçon reprit ce simple mot comme une litanie. Zayn, Zayn, Zayn...

- Zayn !

L'infirmier releva brusquement la tête, réalisant dans un semblant de lucidité ce qui se passait. Andreas avait besoin de lui. Il se précipita à son chevet, et fit face à une nouvelle crise. Le petit garçon était inconsolable.

- Je veux pas... partir... Je veux rester l-là. S'i-il t-te pla-aît...

- Il faut que tu te calmes, d'accord ? Je suis là, je suis là, personne ne va t'emmener.

C'était, en réalité, la professionnelle qui l'avait alerté.

Tandis qu'il lui caressait le dos, et tendait l'oreille pour évaluer sa respiration critique, Zayn jeta un coup d'œil rageur aux deux agents. Si au fond de lui-même, il savait qu'ils ne faisaient que leur travail ; qu'avaient-ils pu bien lui dire pour le mettre dans un état pareil ?

Le garçonnet s'accrocha à son bras comme un homme à une bouée en pleine mer, secouée par la tempête. Il se mit à tousser, s'étouffant dans ses propres sanglots.

- Eh, chéri, stop. Viens-là.

La douceur de son ton parut surprendre les deux autres personnes présentes, en comparaison au triste accueil qu'il leur avait réservé plus tôt. Zayn ignora royalement leur réaction, trop concentré sur son jeune patient.

Il le rejoignit sur le lit, et aussitôt, le garçonnet lui sauta au cou. Désarçonné, l'infirmier se reprit bien vite cependant. S'adossant contre le matelas redressé, il laissa Andreas s'installer contre lui, le visage caché dans son épaule. Et progressivement, il s'apaisa.

Mais lorsque la femme fit un pas maladroit en avant, faisant claquer son talon-aiguille sur le sol, le petit garçon eut un sursaut entre les bras de Zayn.

- Respire, sweet heart. Respire. Andreas, respire !

- Donnez lui quelque chose !

Si l'infirmier n'avait pas déjà été trop préoccupé pour son patient, il aurait probablement renoué avec une partie de son adolescence beaucoup moins sympathique que les jetés de nourriture.

Fut un temps où il avait été impliqué dans de violentes bagarres. Et s'il n'en sortait jamais vraiment vainqueur, il n'en était pas pour autant le perdant.

- Je ne lui donne rien sans une bonne raison ou un avis psy'. Et il est trop jeune ! Il va se calmer. Pas vrai ?

Il s'était redressé pour bercer le petit corps entre ses bras, et cela semblait fonctionner. Si la respiration d'Andreas était encore sporadique, elle redevenait régulière, ce qui était un bon signe.

Les deux collègues discutaient désormais à voix basse ; et en tendant l'oreille, Zayn n'eut aucun mal à entendre de ce dont ils parlaient.

- Le placer en foyer. C'est ça que vous avez évoqué devant lui ? Il vient à peine d'être hospitalisé !

- Peut-être, mais la radiographie ne montre rien de grave. Plus tôt il regagnera un environnement stable, mieux ce sera.

- Mais le foyer ne pourra jamais assumer les rendez-vous médicaux : les soins pour son torse, et je ne parle même pas des consultations psy' et du manque d'attention dont il a manifestement beso-...

- Je ne crois pas que ce soit à vous d'en décider.

Zayn ne quittait plus l'agent des services sociaux des yeux. Un véritable bras de fer s'engagea entre eux.

Mais si l'infirmier luttait pour ce qu'il pensait être le meilleur pour le bien-être d'Andreas, l'autre semblait seulement avoir un problème d'ego à régler.

La stratégie la plus adaptée dans ce cas, était de faire profil bas, à n'en pas douter.

- Je ne prétends pas vous apprendre votre travail. Mais je sais comment ça se passe, dans les foyers. Ils sont débordés de gamins, et n'ont pas le temps, ni même le choix de faire du cas-par-cas. Vous ne croyez pas qu'une famille d'accueil, même provisoire, serait mieux pour lui ?

La femme allait répondre, mais son collègue l'en empêcha, et elle ne put pas formuler un seul mot.

- Aucune n'est disponible.

- Moi...

- Quoi, vous ?

Après une infime seconde d'hésitation, l'infirmier releva la tête et bomba instinctivement le torse, comme si cela suffirait à les convaincre.

- Je peux l'accueillir.

- Vous ? Alors que vous faîtes un métier pareil !

- Justement. Je serai au petit soin avec lui à la maison, et mon mari...

- Votre mari ?

- Mon mari, oui. Niall. Il passe le plus clair de son temps chez nous, à écrire. Et au cas où l'un de nous devrait s'absenter pour le travail, l'autre pourra s'arranger pour être auprès d'Andreas.

- C'est une plaisanterie ?

- Je pense que c'est une bonne idée.

Les deux hommes se tournèrent vers la professionnelle, qui semblait très sûre d'elle.

- Non ; ça ne se fait pas comme ça, il faut des agréments...

- Tu sais très bien que nous avons déjà dû déroger à cela, auparavant. Nous n'avons aucune raison de ne pas lui faire confiance, puisqu'il exerce ce métier ; et de toute façon, nous enquêterons avant de décider de lui confier le petit.

Zayn lui glissa un regard empli d'espoir. L'autre agent semblait résigné. Apparemment, ils avaient remporté la partie.

- Pas de réponse ? Très bien. Dans ce cas, nous allons effectuer les vérifications élémentaires le plus rapidement possible, Monsieur...

- Malik-Horan. Je vous remercie, sincèrement. Pour lui.

L'infirmier serra le petit garçon dans ses bras avec une infinie tendresse, tandis que les deux autres adultes s'éclipsaient.

Il ne le remarqua pas, mais la femme des services sociaux affichait un petit sourire attendri, et fier. Comme lui, elle connaissait la satisfaction du travail bien fait.

Cependant, de longues minutes après que les agents aient quitté la chambre ; un enfant aux cheveux bruns bouclés somnolant dans ses bras, il réalisa ce qu'il venait de faire.

Et il ne savait absolument pas comment son mari réagirait à la nouvelle.

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