Chapitre 4 : Le cadeau

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  • Dédié à Stéphane Gallay
                                    

Le hall d'accueil de l'assemblée du Conseil des Pairs grouillait de monde en cette fin de séance publique. L'exubérance des toilettes des participants, marchands et notables, donnait l'impression d'assister à un concours d'apparat dont le but était, du dernier des plus insignifiants secrétaires au plus fastueux des maîtres-marchands, d'étaler sa fortune et son rang de toutes les manières possibles ; y compris les plus vulgaires ou ridicules dans l'excès.

Dans la chaleur de l'après-midi et malgré la fraîcheur de l'immense salle à colonnades étudiée pour sa climatisation, cet étalage de tenues, toutes plus chamarrées et luxueuses les unes que les autres, créait une atmosphère étouffante ; à dire vrai, les hommes et femmes les plus richement parés des lieux devaient cuire sous leurs amoncellements de mantels brocardés, de chemises lacées, de pourpoints chamarrés, de toges ornementées et de tuniques brodées.

Jawaad avait fait, quant à lui, ce qu'on pourrait admettre être un effort. Il portait une large chemise de lin blanc assez commune, mais de coupe raffinée et un gilet de cuir chamoisé, d'un noir bleuté, aux épaules ornées de fins galons dorés, qu'il avait rehaussé de la broche ouvragée et sertie frappé de l'écusson des maîtres-marchands, à la forme d'un navire sous les étoiles. Mais là s'arrêtait sa bonne volonté vestimentaire. Un kilt à lanières de cuir noir un peu passé et limé par-dessus un simple pantalon et une paire de bottes vaguement cirées constituait le reste de ses atours. Dans la foule du hall où se s'attardaient les groupes discutant et commentant les derniers débats du Conseil des Pairs, il détonait donc fortement. Sa toilette sobre et négligée, face aux abondances des costumes et uniformes locaux, tenait lieu de pied de nez évident aux conventions et à ses confrères qui engloutissaient des fortunes colossales pour rivaliser du luxe le plus voyant possible.

L'arrivée de Jawaad, même vêtu comme un manant, ne passa pourtant clairement pas inaperçue.

D'une part, car il était très connu. Armanth comptait moins d'une centaine de maîtres-marchands en titre, dirigeants de la Guilde des Marchands qui avait fait de la cité-état l'immense ville et puissance économique qu'elle était. Jawaad était l'un d'entre eux, et célèbre à bien des titres ; à commencer par son âge respectable. Il était maître-marchand depuis toujours et avait selon les rumeurs largement plus d'un siècle et demi, malgré les apparences ; s'il n'était pas le seul à avoir un ambrose comme symbiote, ceux-ci, justement, sont connus rarement permettre de passer plus d'un siècle et demi sans vieillir ; ce détail peu commun intriguait tout de même. Il était célibataire, sans parents et sans héritiers ; un trait encore une fois peu commun et carrément saugrenu pour tout lossyan. Mais surtout, il était célèbre pour avoir refusé son entrée au Conseil des Pairs, alors qu'il y avait été élu, quand les trois quarts de la bourgeoisie marchand la plus riche ne pouvaient que rêver vainement y siéger un jour.

Ensuite, sa venue étonnait parce que tout le monde savait que jamais Jawaad ne montait au palais du Conseil des Pairs. En fait, sauf s'il y était contraint – et encore fallait-il parvenir à l'y forcer – jamais le maître-marchand ne se rendait à la terrasse du palais de l'Élegio, qui formait le cœur politique d'Armanth. Il fuyait la politique et détestait avoir à se mêler de ce genre de vanités et de préoccupations ; ce qui ne l'empêchait pas d'avoir nombre d'alliés et débiteurs dans les couloirs de ces palais, chargés d'être ses yeux, ses oreilles et ses mains.

Enfin, accompagné de son escorte habituelle, elle aussi assez célèbre, cette fois composée non seulement d'Abba et Damas mais aussi de sa comptable, Alterma, ce qui était plus rare, il portait dans ses mains un paquet-cadeau. Ce qui était sans doute le plus incongru quand on le connaissait. La boite, doublée de soie satinée et élégamment fermé d'un nœud ornementé retenu d'une petite fibule d'argent, le tout dans des tons pastel, était de toute évidence un présent. Or, si le taciturne et désagréable maître-marchand avait une réputation, c'était bien celle de ne jamais rien offrir à personne.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant