Chapitre 37.1

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Chapitre 37

Le mois de novembre fut le mois de l'amour. Abu appela Astrid en pleine après-midi pour lui annoncer qu'il voulait épouser Irina sur la plage.

- Celle de San Gennaro ? devina Astrid en souriant.

Décidemment, ce lieu a du succès, ces derniers temps.

Mécaniquement, elle gribouilla un cœur sur une feuille, et un « D » en dessous.

- Ouais ! Avec des fleurs partout. Elle m'a dit qu'elle adorait les roses. Des roses blanches ! Tu pourrais préparer ça ?

- Je ne suis pas organisatrice de mariage, Abu.

- On s'en fout ! Irina a dit aussi qu'elle aimerait bien aller en Italie. Je lui ai dit que je connaissais quelqu'un qui habitait près de Vérone...

- Naples, Abu. À Vérone, il n'y a pas de plage ! rit Astrid.

- Va pour Naples. On peut faire ça la semaine prochaine ?

- La semaine prochaine ? Tu es fou !

- L'amour, c'est fou ! J'aime cette fille. Tu sais ce que c'est, non ?

Astrid avisa le « A » qu'elle avait rajouté à côté du « D » sans s'en rendre compte.

- Oui, je sais ce que c'est. Je vais faire de mon mieux, Abu.

- Tu as une feuille et un crayon sous la main ? Je vais te faire la liste des invités et de ce qu'on aimerait manger...

Astrid appela un des meilleurs traiteurs de Naples. Elle commanda une arche en bois blanc qu'elle fit installer sur la plage et qu'elle décora de roses blanches. Avec Mama, elle aida Irina à choisir une robe. Elle fit imprimer les faire-part, les envoya, et réquisitionna le seule prêtre de la petite église de San Gennaro. Elle s'occupa de loger les invités et prépara la liste des chansons à passer pendant la cérémonie avec Gonzalo.

Le mariage fut romantique, tendre, paisible. Irina était superbe : avec ses longs cheveux blonds ondulés, elle ressemblait presque à Anita Ekberg dans La Dolce Vita.

Le prêtre, sous l'arche fleurie, posa à Abu l'immanquable question :

- Voulez-vous prendre Irina Vladinova pour épouse, l'aimer, la chérir, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans le bonheur comme dans l'adversité et ce jusqu'à ce que la mort vous sépare ?

- Je le veux !

Le pirate et la prostituée ! Qui l'aurait cru ? Jack Sparrow épouse Pretty Woman !

Un vin d'honneur fut organisé ensuite dans le jardin de la Villa. Astrid eut du mal à se retenir d'applaudir en voyant Madeleine arriver avec Edna.

- Un seul gloussement, un seul « j'en étais sûre ! », une seule blague déplacée, et je t'étrangle avec ma nouvelle étole. C'est une Chanel, précisa Madeleine comme si cela la rendait plus redoutable.

- Bien sûr, je me tais... Mais je suis ravie pour vous !

- Ça y est ! Maintenant qu'en plus, elle organise des mariages, elle se prend pour Cupidon !

                                                                                                  ***

Il y a quinze ans...

- De toute façon, tu es moche. Et nous, on ne joue pas avec les filles moches.

Massimo la repoussa avec mépris et Aldo croisa les bras d'un air buté. Ils ne voulaient pas laisser Astrid jouer à la console de jeux avec eux.

- Vous êtes méchants ! explosa-t-elle. Je vais le dire !

- Tu vas le dire à qui ?

- À Salvatore !

Les jumeaux échangèrent un regard un peu méfiant. D'habitude, Salvatore était le seul à les effrayer. Mais cette fois, Massimo rit :

- Ton Salvatore, c'est un fils de pute !

Astrid ouvrit la bouche. Elle savait que « pute » était un très gros mot. Et elle savait que Salvatore était toujours triste ou en colère quand on parlait de sa mère. Furieuse, la petite fille bondit, agrippa Massimo par les cheveux et tira de toutes ses forces. Aldo tenta d'aider son frère, mais Astrid le frappa entre les jambes.

- Astrid ! Arrête ! Calme-toi !

Antonio fut le premier à intervenir, mais Astrid ne voulait pas lâcher Massimo. Salvatore vint aider à son tour et réussit à les séparer tant bien que mal.

- Mais enfin, Astrid, qu'est-ce qui te prend ?

- Il a dit...dit que...

Elle hésita. Si elle répétait l'insulte, Salvatore ne sourirait plus pendant une journée entière, au moins. Alors, la petite fille décida de se taire.

- Qu'a-t-il dit, bébé ?

Salvatore la défendait toujours. Il savait que Massimo et Aldo étaient diaboliques.

- Rien, lâcha Astrid.

Salvatore s'accroupit pour être à sa hauteur et lui prit le visage entre les mains.

- Je sais qu'il t'a fait quelque chose, sinon tu ne l'aurais jamais attaqué comme ça. Dis-moi.

L'insulte allait le faire pleurer, Astrid en était sûre. Et quand Salvatore pleurait, la petite fille avait toujours très mal au ventre. Et elle pleurait aussi.

- Rien, répéta-t-elle. Je lui ai tiré les cheveux parce qu'il est moche.

- Salvatore ? fit Antonio. Viens un moment.

Les deux hommes s'écartèrent des enfants. Antonio souffla :

- J'espère que tu ne comptais pas encore accuser mes enfants. J'espère aussi que tu vas punir Astrid aussi sévèrement que tu les aurais punis, eux.

- Antonio, Astrid n'aurait jamais fait ça sans raison.

- Bon sang ! C'est moi qui vais la punir, alors !

- Non ! Je m'en occupe.

Salvatore se retourna vers Astrid, dont le petit visage restait neutre.

- Ce que tu viens de faire est très...mal, alors tu es punie. Tu ne mangeras pas avec nous ce soir.

Antonio lui donna une tape dans le dos pour lui signifier que ce n'était pas suffisant.

- Et...tu n'iras pas à l'anniversaire d'Elisa.

Cette fois, Astrid se décomposa. Elle attendait cet anniversaire depuis des semaines. Elisa était sa meilleure copine. À sa fête, il y aurait un poney et un karaoké. Elle faillit tout avouer, mais, les larmes aux yeux, se résolut à garder le silence. Tant pis pour l'anniversaire. Tant pis si Salvatore pensait qu'elle avait tiré les cheveux de Massimo juste pour être méchante. Au moins, il ne serait pas triste.

Quand Antonio et les jumeaux partirent, Salvatore tenta une ultime fois de lui faire avouer :

- Dis-moi. Tu peux tout me dire.

Non, songea la petite fille.

- Ils t'ont dit quelque chose ? Ils t'ont insultée ?

Astrid voyait qu'il avait très envie qu'elle dise oui.

- Non.

Salvatore fronça les sourcils. Elle l'avait déçu.

- Alors, pas d'anniversaire.

- Pas d'anniversaire, répéta Astrid, résignée.


Merci ! <3


La Villa Gialla : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant