Chapitre 23.2

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Quand Salvatore ouvrit les yeux, il ne comprit pas tout de suite où il était. On aurait dit une boîte géante. Puis il perçut le ronronnement d'un moteur, et il comprit qu'il se trouvait à l'arrière d'un camion. Il avait les mains attachées dans le dos et quand il essaya de se détacher, il entendit un soupir.

- J'ai déjà tout tenté. Ça ne sert à rien.

- Thessaris ? demanda-t-il en plissant les yeux. Qu'est-ce que vous fichez ici ?

- Je n'en sais pas plus que vous.

Salvatore sentit la colère lui brûler la poitrine. Pourquoi le grec est-il avec moi, bon sang ?

- Vous voulez qu'on parle ? demanda Georgios.

- Non. Sauf si vous savez quelque chose sur Astrid.

- Je l'ai vue s'enfuir avec Madeleine Clarence. Elle n'était pas blessée.

- Dieu soit loué !

Salvatore remua pour trouver une position plus confortable. Astrid va bien. Tout va bien.

- Ils m'ont pris pour Antonio, je crois, continua Georgios.

- J'ai dit que je ne voulais pas parler.

- Il le faut, pourtant. Nous sommes dans la même galère.

- Je ne vous supporte pas, Thessaris. Alors fermez-la.

- Que me reprochez-vous, exactement ?

- Peut-être d'avoir abandonné successivement la grand-mère et la mère d'Astrid, puis d'être revenu comme une fleur quand cette dernière avait déjà vingt-deux ans.

- J'ai abandonné Carmen, Esperanza et Astrid, c'est vrai. Mais vous, vous connaissiez très bien les Shiro, vous saviez qu'Alvaro avait tué leur chef, Subaru, en personne. Vous saviez que les japonais n'étaient pas du genre à laisser la mort de leur chef impunie. Vous auriez pu prévenir Alvaro et Esperanza, les protéger. Vous auriez pu peut-être les sauver.

- Vous insinuez qu'ils sont morts à cause de moi ?

- Je pense simplement que vous n'êtes pas non plus irréprochable.

- Je vous tuerai, Thessaris, pour avoir dit ça.

Le grec haussa les épaules.

- Je crois surtout que vous me détestez parce que vous avez peur qu'Astrid regarde ailleurs que vers vous.

- La ferme !

Après un long silence, Salvatore ne put s'empêcher de lancer :

- Elle m'aime plus que vous, de toute façon.

- Ne vous servez pas de l'amour qu'Astrid vous porte comme d'une arme.

Ce type est insupportable. Je vais le tuer, oui.

Brusquement, le camion s'arrêta et la porte s'ouvrit. Un homme grand et gros, aux cheveux gris, apparut, et Salvatore le reconnut.

- Umberto ! aboya-t-il. Qui est ce type ? Ce n'est pas Antonio Cavaleri !

- Antonio est mort, Lobosky. Oh, c'est vrai que vous venez tout juste de sortir de la P.I.H.S...quant à lui, je ne sais pas qui c'est, et je m'en fiche.

- Je m'appelle Georgios Thessaris, précisa le grec. En fait, il sait qui je suis.

Alors que deux hommes de main de Jan Lobosky les relevaient et les traînaient à l'arrière d'une grande maison bleue, Georgios demanda à Salvatore :

- Vous le connaissez ?

- Oui. Jan Lobosky. Il dirigeait un réseau d'adoptions illégales. Des nourrissons volés et vendus. Quand il est venu à la Villa, je n'ai pas du tout aimé la façon dont il a regardé Astrid, qui avait six mois. Je lui ai mis mon poing dans la figure et je l'ai viré.

- Alors, il ne vous aime pas.

- Quel génie de la déduction vous êtes, Thessaris.

- Umberto ! vociféra de nouveau Jan Lobosky. Cela fait un moment que j'attends de pouvoir me venger. À genoux devant moi !

Salvatore se contenta de lever les yeux au ciel. Il reçut alors un coup dans le ventre qui le fit tomber.

- J'aime mieux ça. Un peu d'humilité. Vous êtes désormais mon esclave, et votre ami aussi.

- Ce n'est pas mon ami !

- Qu'importe !

- Où sommes-nous ? demanda Georgios d'un ton poli qui énerva Salvatore.

- Dans un petit village au sud de Cracovie. Je vous conseille de vous y habituer dès maintenant. Vous allez finir vos deux misérables existences ici.

Une femme d'une cinquantaine d'années aux cheveux auburn et aux yeux bleus écartés apparut sur le seuil. Quand elle aperçut Salvatore, elle se mit à battre des cils et arrangea mécaniquement son brushing.

- Daria, je te présente nos deux nouveaux...majordomes. Oui, majordome, c'est plus chic.

Daria Lobosky continuait à contempler Salvatore d'un air énamouré. Il ne manquait plus que ça. L'intérieur de la maison aurait pu servir à un tournage de film historique, avec des tableaux, des meubles et des sculptures tout droit sortis des affaires de Marie-Antoinette. Jan Lobosky conduisit Georgios et Salvatore dans une minuscule chambre sous les combles, qui contenait deux lits et une petite armoire. Et en plus, je vais devoir dormir avec Thessaris !

Cinq jours plus tard, Salvatore était debout depuis trois heures dans le salon de Lobosky. Il aurait donné n'importe quoi pour s'asseoir, mais Jan aimait le laisser dans un coin, immobile, aussi inutile qu'un lampadaire en plein jour.

Georgios, lui, s'occupait du ménage et parfois même du jardin, ce que Salvatore lui enviait.

- Umberto ! Ma femme accueille des amies dans le petit salon. Va leur servir le thé. Et fais ton sourire de vieux beau, elles adorent ça !

- Et si je ne veux pas ?

- Alors je te ferais ce foutu sourire moi-même avec un couteau de cuisine.

Salvatore alla préparer la théière, les tasses et fit chauffer de l'eau en ruminant ce qu'il ferait si c'était lui qui avait le couteau de cuisine. Dans le petit salon, Daria discutait avec deux femmes d'âge moyen.

Apparemment, Jan Lobosky avait réussi à envoyer des lettres à sa femme depuis la P.I.H.S, où il lui donnait des consignes, ou plutôt des ordres, pour qu'elle continue leur odieux business.

- Celui-ci est vraiment adorable ! s'exclama la première femme.

Elle montrait la photo d'un bébé d'environ six mois. Daria leva les yeux vers Salvatore et lui adressa un sourire émerveillé. Il déposa le plateau et s'aperçut avec horreur que ses mains tremblaient.

- Oh, Salvatore. Asseyez-vous avec nous un moment.

Daria lui lança un coup d'œil plein d'espoir, et Salvatore revit le coin de mur où il allait passer le reste de la journée. Il s'assit donc en ravalant un soupir de soulagement. Les deux femmes, madame Smith et madame Borg, continuaient à comparer les photos de bébés que leur tendait Daria. Madame Smith avait un collier de perles et madame Borg un brushing qui la faisait ressembler de façon frappante à Margaret Thatcher. Salvatore trouvait cela écœurant, mais il était assis et pour le moment, c'était le principal. Daria lui toucha le bras : il l'ignora.

Je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme-là.



La Villa Gialla : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant