Partie 2 - Illusions d'amour - Chapitre 3

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Julien ignorait réellement ce qu'il était advenu de ses mauvais rêves. Avaient-ils disparu avec la grippe ? Fui au contact magique d'Aymeric ? Dans le fond, cela lui importait peu. Il était heureux que ses nuits lui appartiennent à nouveau, que plus aucun roi des tréfonds pourvu de tentacules ne s'y aventure pour le tourmenter avec des baisers dont il ne voulait pas. Il se sentait bien mieux, désormais. Plus vif, moins angoissé. Jour après jour, il retrouvait le goût de vivre. Il avait arrêté les énergisants, et ses migraines s'en étaient allées.

Si elle n'avait peut-être pas un pouvoir surnaturel chassant les cauchemars, la compagnie d'Aymeric le tenait éloigné de l'aliénante solitude de ses premières semaines à Enez-Yen. Pourtant, il n'avait pas osé se déclarer, même à demi-mot ou par sous-entendus pour tâter le terrain. Plus les jours passaient, plus il avait peur de briser leur amitié en voulant obtenir un amour qu'il devinait illusoire. Aymeric pourrait prendre peur ou le détester et ne plus jamais revenir. En voulant gagner un amant, il récolterait la solitude. Les rêves suffisaient donc. Ils n'apportaient aucune déception.

Et ce n'était pas si désagréable de ne l'avoir que comme ami. Bien que Julien ne soit pas d'un naturel bavard, Aymeric avait de la conversation pour deux. Toujours volubile, il n'avait jamais l'air las de parler seul, et ne lui reprochait jamais d'avoir souvent pour seule réponse des hochements de tête ou des murmures inarticulés. De son côté, Julien ne se plaignait pas de sa volubilité. La voix d'Aymeric était une douce musique à ses oreilles. Il lui arrivait de perdre le fil, mais pas pour longtemps.

Mieux valait une belle amitié qu'un amour à sens unique, se disait-il. Au fond, il ne demandait qu'à mener une existence paisible, et celle-ci semblait enfin à portée de main. Il envisageait même de rester gardien tant qu'Aymeric habiterait dans le coin. Rassembler l'argent nécessaire à ses études lui était devenu accessoire. Il pouvait se contenter de cette vie-là.


— Hé, salut ! Qu'est-ce que tu fabriques ? C'est une canne à pêche ? s'enquit Aymeric dans son dos.

Il vint s'installer à côté de lui sur le rocher et déposa un sachet rempli de cailloux à ses côtés. Sa récolte géologique du jour semblait bonne. Il affichait une expression si guillerette que rien ne paraissait pouvoir l'obscurcir.

— Je suis allé en ville hier pour l'acheter, expliqua Julien. Tu n'imagines d'ailleurs pas le mal que j'ai eu pour en dénicher une !

— Oh, si, j'imagine bien. Personne n'est très amateur de pêche à Diwaller, répondit Aymeric. Elle devait appartenir à un ancien gardien, non ?

Julien approuva d'un signe de tête. Le vendeur le lui avait effectivement affirmé.

L'apprenti géologue posa les mains sur les genoux et se pencha en avant pour examiner la canne d'un œil critique, puis contempla la mer d'un regard tout aussi sévère. Plus aucune trace de joie ne se lisait sur son visage.

— Je ne suis pas très amateur de pêche, déclara Aymeric.

Sous le regard étonné de Julien, il se redressa, presque droit comme un « i », les poings serrés. Julien lui trouva l'air aussi grave que celui d'un membre de jury de tribunal écoutant les faits d'un meurtre atroce.

— Tu as remarqué comme il n'y a aucune poissonnerie au village ?

Julien acquiesça tout en attachant l'hameçon au bout du fil.

— Tu as dû te dire qu'elles avaient fermé comme beaucoup de commerces locaux, ou quelque chose comme ça.

— Quelque chose comme ça, approuva Julien, qui se perdait déjà à moitié dans ses pensées.

Le roi des tréfondsWhere stories live. Discover now