Chapitre 24

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CHAPITRE 24

Téléphone en main, le numéro de Clara était affiché sur l'écran. Il ne me suffisait qu'à appuyer sur la touche verte pour décrocher et entendre le son de sa voix, pouvoir me confier à elle comme au bon vieux temps. Comme de vraies meilleures amies. Mais en même temps, je n'avais qu'à placer mon doigt sur l'icône rouge, pour raccrocher. Pour faire l'impasse sur la douleur qui me rongeait de l'intérieur, qui m'empêchait de respirer lorsque je me perdais dans mes pensées. Je ne pouvais pas me confier à ma meilleure amie. Du moins, je ne pouvais pas tout lui raconter.

Et je ne voulais pas lui mentir.

Ma vie s'était considérablement compliquée en moins d'un mois. Je l'avais à peine vue, et notre dernière rencontre avait fait en quelque sorte, office d'adieu.

Un au revoir des plus poignants.

- Décroche, lâcha Sally.

Je clignai des yeux, puis m'enfonçai un peu plus au fond de mon lit.

- Non.

- Mais pourquoi ?

- Je ne sais pas si dans ton entourage tout le monde était au courant pour les surnaturels. Mais ce n'est pas le cas de mes anciens amis, ceux de Crown Hills. Et je ne peux pas cacher ma vraie nature à ma meilleure amie. Je ne peux pas faire abstraction du surnaturel une seule seconde. Je ne peux pas faire semblant de vivre une vie normale, parce que je ne suis pas normale ! Elle va forcément poser des questions auxquelles je ne pourrai pas répondre clairement, et je déteste mentir. J'ai déjà dû l'hypnotiser pour qu'elle oublie les problèmes qui lui pesaient sur les épaules, et je l'ai mordue ! Je l'ai mordue, Sally !

- Le passé appartient au passé, Roxane. Tu as sûrement changé depuis, c'est certain même. Moi aussi, j'ai changé. En bien ou en mal, peut importe. Le fait est que A plus B ne donne pas C, et que chaque jour apporte quelque chose de nouveau à notre vie, à la façon dont on prend cette vie, et les opportunités qu'elle nous offre. On n'a pas le choix. On est dans un merdier, ça c'est sûr, mais il faut faire avec, car même si un jour ou l'autre nous somme menés à devenir des monstres, nous pourrons toujours remonter vers la lumière, de la même façon que nous avons coulé vers l'obscurité. Le monde n'est ni blanc, ni noir.

Silence pesant. Je n'avais aucune idée de la façon dont je devais réagir. La féliciter pour ce beau discours ? Ou plutôt lui reprocher son optimisme vain.

Ce fut elle qui trancha finalement.

- Allez, décroche. Tu vas y arriver, Roxane. Tu es une battante.

Mon doigt pressa finalement le bouton vert.

- Roxane ?

- Clara.

- Oh mon Dieu ! Ça fait tellement longtemps ! Comment vas-tu ?

Je déglutis.

- Tout roule. Et toi ?

- Oui... Alors raconte-moi !

Son « oui » laissait à désirer. Rien qu'au ton de sa voix, je sentais que quelque chose ne tournait pas rond.

- Clara ?

- Oui ? fit-elle, hésitante.

- Tu es sûre que tout va bien ?

- Oui, oui. T'en fais pas...

Mais sa voix se brisa sur les derniers mots, et j'entendis des reniflements à l'autre bout du fil. Je n'allais pas me laisser faire.

Ce n'était pas dans mes cordes, de laisser tomber les problèmes de ma meilleure amie.

- Clara Sandford. Tu vas immédiatement cracher le morceau qui t'obstrue les poumons, sinon je me ferais une joie de rappliquer vite fait.

- Je te laisse, murmura Sally avant de se lever.

- Non, reste, mimai-je à mon tour. Je me sentais plus confiante avec elle près de moi.

Quelques sanglots étouffés, et Clara reprit la parole, bien moins sûre d'elle qu'à son habitude. Cela m'inquiétait beaucoup, car même dans les moments les plus difficiles, elle gardait son sang froid.

- Ce sont ces cauchemars... Ils me tourmentent dès que je ferme les yeux. Le plus souvent, je me trouve chez toi, quelques jours après ton anniversaire. Tu es en convalescence, mais je suis tellement heureuse de te voir que je n'écoute pas les mises en gardes de ton père, et que je t'enlace très fort. Mais ça tourne mal à partir de ce moment-là. J'ai à peine le temps de voir de longues dents, et tes yeux rouges que je sens du sang chaud couler le long de mon cou. Puis la douleur qui m'assaille et qui me paralyse. Je suffoque, tout se trouble, puis c'est le noir total.

Mon visage avait perdu ses couleurs. Ma léthargie aurait suffi à Clara pour découvrir la vérité. Je crus que j’allais défaillir. Sally me regardait avec une immense incompréhension tandis que mes pensées s’embrouillaient. Comment Clara pouvait-elle se souvenir de cela, alors que mon père l’avait hypnotisée ?

Un humain ne pouvait se rappeler à moins qu’il ait prit de la verveine lors de l’hypnose. Et ce n’était pas le cas, sinon je n’aurais pu boire son sang. Une seule réponse permettait de mettre au clair le mystère.

Clara est une Surnaturelle.

J’étais encore sous le choc lorsque Sally, elle aussi enfouie sous ses pensées, mit fin à mon inertie.

- Tu n’aurais pas remarqué quelque chose qui t’aurait fait penser que ta meilleure amie est une des nôtres ?

Je réfléchissais à m'en faire exploser le cerveau, tandis qu'entre mes souvenirs tous plus embrouillés les uns que les autres, un d'entre eux fit surface.

- Ses yeux.

- Quoi ?

- Ses yeux changent de couleur lorsqu’elle en fonction de ses émotions. Une fois, on s’était disputées et j’avais cru que ses yeux étaient noirs. Mais j’étais tellement triste de notre dispute que je pensais avoir rêvé. La veille de mon départ, elle pleurait, et ses iris étaient verts. Mais pas d’un vert habituel. Puis quelques minutes plus tard, ils étaient devenus presque gris.

- Et bien voilà ! Donc, Clara n’est pas humaine.

J'essayais de me faire à l'idée, soulagée et troublée à la fois, mais quelque chose sonnait faux dans tout cela.

- Si elle est une Surnaturelle, pourquoi mon père et moi avions pu l’hypnotiser ? C'est impossible qu'elle ait fait semblant d'oublier que je venais de la mordre.

Sally ouvrit de grands yeux émerveillés. Elle semblait y voir plus clair, mais la patience me manquait.

- Alors ?

- Si elle t’a obéit lorsque tu l’as hypnotisée, c’était parce qu’elle était encore humaine. Son côté surnaturel a surgi plus tard.

Une multitude de questions sans réponses s'accumulaient dans mon cerveau, et je ne parvenais plus à faire le tri, tant c'était le fouillis.

Je ne savais pas si j'étais soulagée que Clara soit une Surnaturelle, ou effrayée de voir dans quel monde elle avait mis les pieds. Je m'étais efforcée de la tenir loin de moi, loin des soucis d'un monde trop réel pour n'appartenir qu'aux romans.

Je voulais la garder en sécurité, parce que c'était la personne la plus vulnérable que je connaisse. Mais tout avait à nouveau basculé, et Clara n'était plus une humaine banale.

- C’est une métamorphe.

La nature de Roxane - tome 1 : MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant