CHAPITRE 5
Partie 1
Le lendemain matin, je peine à me traîner hors du lit. Elena et Kenan sont déjà levés depuis un moment d'après les bruits qui proviennent de la cuisine. Je les ai entendus argumenter jusque tard dans la nuit, mais ce n'est pas ce qui m'a gardée éveillée. J'ai voulu faire un tri parmi les photos que j'ai prises au parc et je me suis prise de fascination par leur beauté. Ce n'est pas pour me vanter, loin de là. C'est Teddy qui rend ces photos extraordinaires. Ce n'est qu'après avoir passé des heures à scruter le moindre détail de son visage, que j'ai pris conscience de sa beauté déconcertante.
La plupart du temps, je photographie des portraits pris sur le vif pour capter l'expression du visage de la personne. Les photos que j'ai prises de Teddy sont différentes. Il est tellement expressif, je ne pouvais m'arrêter de passer les photos en revue. Sur chaque cliché, j'avais l'impression d'être face à une personne différente. Sur l'une d'elles, son visage est illuminé par la joie pendant qu'il joue avec Chance. Sur la photo suivante, juste un instant après, il a complètement changé et exprime un étonnement profond en se rendant compte qu'il est pris en photo. Encore un instant après, ses sourcils sont froncés et son front plissé, gagné par l'inquiétude d'avoir perdu Chance de vue. Puis enfin, le soulagement et ce sourire rayonnant lorsqu'elle réapparaît en courant. C'est pour ce genre de moments que je fais des photos, pour les revoir un jour et me remémorer ce moment comme s'il se déroulait de nouveau sous mes yeux.
Ce moment-là me fait ressentir quelque chose de différent tout au fond de moi, au creux de mon ventre. Une photo en particulier me fait un effet que je ne saurais décrire. C'est la dernière que j'ai prise, lorsque Teddy a levé les yeux vers moi après m'avoir surprise en train de le photographier. Cette fois-ci, son regard n'est plus tourné vers l'objectif ; il est tourné vers moi et ses yeux sont imperceptibles. Je ne parviens pas à mettre un mot sur l'expression que forme son visage. Son regard est perçant, mais ne laisse rien paraître. Je crois que ce regard a accompagné mes rêves cette nuit, car ils sont la première vision que j'ai lorsque j'ouvre les yeux après seulement quelques heures de sommeil.
Après une telle nuit, il m'est impossible de ne pas penser à Teddy dès le réveil et je me rends compte que je n'ai pas reçu l'appel qu'il m'avait promis avant que je m'en aille. J'essaie de percevoir, au fond de moi, si cela me dérange ou si c'est juste une remarque que je me suis faite, mais je n'arrive pas à décider. Qu'aurait-il bien pu me dire de plus de toute façon ?
Je parviens finalement à me traîner jusqu'à la cuisine et Elena m'accueille avec un câlin et une tasse de café bien chaude. Tout ce qu'il me fallait. Kenan me salue rapidement puis quitte la cuisine sans m'adresser le moindre mot.
Je m'installe à table et me tourne vers mon amie.
— Ça va ?
— Désolée pour hier soir, je ne voulais pas te faire subir ça.
— Je n'ai presque rien entendu.
Je mens pour ne pas l'embarrasser plus qu'elle ne l'est déjà.
— C'est un peu compliqué en ce moment, mais cette semaine je veux me concentrer sur toi et personne d'autre.
— Que nous as-tu prévu aujourd'hui ?
— Je me suis dit que je n'allais pas te faire l'affront de retourner faire du shopping, alors à toi de choisir ce que nous faisons. Il faut juste que ce soit à l'extérieur. Je n'ai pas vraiment envie de passer la journée enfermée ici...
— J'aimerais bien aller faire imprimer mes photos. Nous pouvons peut-être aller voir un film en attendant ? Ça fait tellement longtemps que je ne suis pas allée au cinéma.
Elle se met à rire.
— Quoi ?
— Qui fait encore développer ses photos ?
— Moi, figure-toi.
— D'accord, nous allons voir ce film, mais c'est moi qui le choisis, parce qu'à mon avis, tu n'es pas vraiment au courant des tendances. Pour ce qui est des photos, il faut absolument que nous en prenions quelques-unes toutes les deux, en souvenir.
— Heureusement que tu m'as demandé de choisir le programme de la journée.
Elle hausse les épaules en riant. Elle ne peut pas s'empêcher de tout contrôler, mais ça me va parfaitement.
*****
Je sais qu'Elena a fait traîner notre séance photo pour tenter de me soutirer le plus d'informations possible sur mon après-midi avec Teddy. Je ne peux pas lui en vouloir. En presque dix ans d'amitié, elle ne m'a jamais vu parler avec le moindre garçon, si ce n'est Ulysse, mais ça ne compte pas. Elle est intriguée par tout ça et bien que je n'arrête pas de lui assurer qu'il ne se passe absolument rien, elle s'obstine à essayer de me convaincre du contraire. Après avoir passé presque deux heures dans une salle obscure devant un film qui ne m'a pas inspiré plus que ça, j'étais persuadée qu'elle avait lâché l'affaire, mais non.
— Tu ne comptes pas le revoir ?
— Si, bien sûr que si. Il a mon chien je te rappelle.
— Oui, enfin, pour l'instant c'est plus son chien que le tien.
— C'est juste pour cette semaine.
— Donc quand le vois-tu ?
— Aujourd'hui normalement.
— Qu'attendais-tu pour me le dire ? Tu lui as envoyé un message ?
— Non, je passe la journée avec toi. Il a dit qu'il m'appellerait hier soir, mais il ne l'a pas fait donc je ne suis pas sûre que le rendez-vous d'aujourd'hui tient encore.
— Il a ton numéro au moins ?
Je réfléchis un instant.
— Il se pourrait que non...
— Quoi ? Nora, sais-tu comment les relations entre homme et femme fonctionnent ? Il faut vraiment que je te fasse un cours là-dessus ?
— Il a entré son numéro dans mon téléphone et j'ai complètement oublié de lui envoyer un message pour qu'il ait le mien.
— Tu me déçois... j'ai placé beaucoup d'espoirs en ce Teddy. Je pensais que tu ferais un petit effort, mais même pas.
— Il ne se passera rien entre lui et moi de toute façon.
— Pourquoi ? Nora, qu'attends-tu pour profiter de ta vie ?
— Mais je profite de ma vie, je...
— Non, tu vis pour tes chevaux, tu ne penses qu'à eux. Il faut que tu penses un peu à toi, à ce qui te rend vraiment heureuse.
— Ils me rendent heureuse.
— Parce que tu n'as jamais connu ce qu'un homme peut t'offrir. Je ne peux pas te laisser gâcher ta vie pour ceux qui ne sont plus là.
Ses paroles viennent me frapper de plein fouet. Jamais je ne me serais doutée que cette conversation prendrait une telle tournure.
— Parce que ce que tu as avec Kenan te rend heureuse peut-être ?
Mon ton est sec, Elena baisse les yeux et je regrette immédiatement.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire Nora, excuse-moi.
— Je sais, moi non plus.
— Arrêtons de parler de ça, d'accord ?
Je hoche la tête.
— Je pense quand même que tu devrais lui envoyer un message, ajoute Elena en souriant. Nous avons passé une super journée, tu peux bien lui accorder quelques heures.
— Ça ne te dérangerait pas que je t'abandonne à nouveau.
— Mais non. De toute façon, nous ne pouvons pas passer chaque heure de cette semaine ensemble sinon nous nous entre-tuerions, tu le sais aussi bien que moi.
— C'est vrai.
J'écris immédiatement à Teddy :
« Salut Teddy, c'est Nora ! Le café que tu m'as proposé hier tient toujours ? »
Nous marchons en direction du magasin de photographie lorsque je reçois une réponse.
« Je pensais que tu m'avais oublié... envoie ta position. »
Je lui envoie l'adresse du magasin où nous nous rendons et j'assène un coup de coude à Elena qui me sourit démesurément.
*****
Ahmed est garé le long du trottoir lorsque nous quittons le magasin.
— C'est lui ? me demande Elena légèrement surprise.
— Mais non.
— Allez, vas-y. Préviens-moi si tu ne rentres pas dormir.
— Bien sûr que je vais rentrer pour dormir. Je vais juste voir Chance et boire un café.
— Peu importe, lance Elena tout en me poussant vers la voiture.
Je monte à l'arrière de la BMW et Ahmed se retourne vers moi en souriant.
— Bonjour mademoiselle.
— Appelez-moi Nora s'il vous plaît, c'est très gênant.
— Comme vous préférez.
— Il ne pouvait pas venir me chercher lui-même ? Je n'ai pas envie de vous déranger tous les jours.
— Vous ne me dérangez pas du tout. Je crois qu'il était occupé pour le moment. J'étais disponible donc ça arrangeait tout le monde.
— J'espère que vous êtes payé pour ça quand même.
— Ne vous inquiétez pas pour ça Nora. Profitez juste du voyage.
Je lui souris nerveusement dans le rétroviseur.