Ce qui est bien en août, c'est qu'il fait encore jour, même après vingt-deux heures. Et c'est l'heure à laquelle on a choisi de sortir avec Romane. Après avoir mis un film pour éviter de trop pleurer, on a décidé de partir de la maison. Puis, mon amie voulait que je lui fasse découvrir ma ville, enfin, celle que Jen a choisi pour nous puisque madame est Corse et madame connaît les meilleurs petits coins pour s'installer. Je dois avouer qu'on est bien là. Elle a vendu la maison qu'elle avait avant pour prendre un nouveau départ avec moi. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi. Enfin, l'initiative est gentille, mais son ancienne maison était beaucoup mieux que celle qu'on a en ce moment. On s'aventure à l'extérieur. J'ai tout de même pris une veste pour ce soir, au cas où le vent se lève ou quelque chose comme ça. On marche dans la ville, je lui montre certains endroits et Romane est émerveillée.
— C'est loin de ressembler à Quimper, hein !
— Arrête, c'est joli Quimper. C'est juste...
— Plus humide ?
— Ouais on va dire. Je te rappelle qu'à Angoulême, il n'y a même pas la mer donc bon.
— Très drôle Romane. Entre Jen et moi, ce n'est pas moi qui lézarde le plus sur la plage.
— Non toi tu mates Jen.
— J'ai le droit, au stade où on en est, j'estime avoir le droit.
— Tout le monde le ferait, même moi, son corps est irréel, c'est limite blessant pour les gens comme moi.
— Romane, je suis un déchet à côté de Jen.
Romane explose de rire. Elle propose qu'on s'arrête dans un restaurant, ça tombe bien, j'ai faim et je connais le propriétaire. D'ailleurs, il m'accueille en me prenant dans ses bras.
— Alors Aliénor, le grand jour demain ?
— Il faut croire. Je te présente Romane, une amie à moi.
— Enchantée, Pascal.
Romane sourit. L'homme attrape mon bras.
— Mais dis-moi, tu as prévu de retrouver Jen ce soir ?
— Non, pourquoi ?
— Parce qu'elle est là aussi, depuis près d'une heure.
— Oh merde. J'ai pas envie de la voir.
— Bah sympa, lâche ma fiancée en arrivant vers nous. Tu me surveilles Ali ?
— C'est un pur hasard d'être ici en même temps que toi. Tu m'as dit que tu restais en famille chez toi.
— Je suis en famille, juste on est sortie manger un bout.
— Je vais aller dire bonjour. Tu viens Romane ?
— Je vais attendre ici, je ne connais personne.
— Arrête Romane, tu connais au moins Ismaël.
Je vois mon amie se décomposer quand Jen lui parle d'Ismaël. J'ai envie de me moquer d'elle, mais je choisis de tourner les talons et d'aller dire bonjour à tout le monde. La cousine de Jenifer se lève et me prend dans ses bras.
— Je ne pensais pas te voir ce soir beauté.
— Je sais, le hasard fait que je suis là. En même temps, on a des prix ici, donc c'est logique.
Tout le monde me dit bonjour de loin, ce sont des Corses ils sont quarante-huit et j'ai la flemme de dire bonsoir à tout le monde. Ismaël remarque la présence de Romane plus loin dans le restaurant.
— De toute façon, on ne va pas tarder à s'en aller, lance Jenifer.
— Vous allez où ? Que je n'aille pas au même endroit, demandé-je.
— On sait pas trop encore, déjà certains vont rentrer chez eux.
Je vois à ses yeux que Jenifer est fatiguée, mais je sais aussi à l'intonation de sa voix qu'elle ne veut pas rentrer chez elle, elle veut s'amuser ce soir. Demain va être une journée remplis de stress et elle a besoin de décompresser. Moi aussi d'un côté, c'est pour ça que je suis là. J'aime voir les sourires de toute sa famille, je ne sais pas pourquoi, ça me détend.
— Bah moi je vais aller manger, j'ai les crocs. Je vous laisse Jen, ne la perdez pas, j'ai besoin d'elle demain.
Sa cousine rit et m'assure qu'elle fera de son mieux pour bien s'occuper de Jenifer. Je leur souhaite une bonne soirée et je retourne vers Romane. Je ne cherche même pas à avoir le moindre contact avec Jenifer, même si de loin je la regarde. On s'assoit à une table à l'intérieur.
— Ils sont combien dans sa famille ? Me demande Romane.
— Beaucoup trop nombreux pour que je me souvienne du prénom de tout le monde.
— T'es sérieuse ?
— Attends, il y en a je vais les voir pour la première fois demain. Jen est très famille, certes, mais c'est surtout sa famille proche, ses enfants, son frère, ses cousins et ses cousines. Les autres, elle s'en passe.
— Je la voyais plus soudée avec les autres tu vois.
— Non, pas forcément.
Le propriétaire vient vers nous.
— Aliénor, comme d'habitude je présume.
— Ouep.
— Ton invité ?
— Comme Ali. J'aime être surprise.
Je ris et notre hôte s'en va.
— Quand je vois sa table, on va être beaucoup demain ?
— Euh... Quatre-vingt je crois. Je ne sais plus trop. Il y a des gens de l'entourage de Jen. Enfin, il y a sa famille, mais il y a aussi ses amis et ceux qui ont bossé avec elle.
— D'accord.
— Puis il y a ma famille et mes amis. Ils sont moins nombreux que les Dadouche et les Bartoli, mais on va dire que ça ramène une dizaine de personnes.
— Jen les connaît ?
— Ouais, quand on était sur Angoulême, on les a vu plusieurs fois. T'as vu il y avait Ismaël.
— Aliénor, tu n'es pas possible !
— Quoi ?
— Arrête.
— C'est mon mariage, tu couches pas avec lui dans notre salle de réception, qu'on soit d'accord !
— Qui ne couche pas avec son amant lors des mariages ?
— Ouais j'avoue. On était les reines avec Jen pour ça.
— Quelle horreur.
— On y allait pour la bonne bouffe gratos et l'ambiance qui met une assez grande tension sexuelle.
— Vous m'épuisez.
— Mais tu nous aimes, beaucoup même.
— Énormément. Je crois que j'ai plus hâte de ton mariage que toi.
On nous sert un plat de pâtes, Romane n'est pas déçue de m'avoir suivi et on continue de parler tout le long du repas. On ne parle plus vraiment du mariage, mais de la vie de Romane, de ses aventures avec les autres artistes avec qui elle est partie en tournée.
— Clairement, la tournée avec Jen, c'était quelque chose. C'est si différent avec les autres. Tu vois, on est des personnes proches, mais on reste des musiciens.
— Ça doit être ça les jeunes maintenant. Ou ils ont vu que tu pouvais finir avec ta drummeuse et ils ne veulent pas.
— Je pense. Je ne sais pas.
— Ou que ta bassiste couche avec ton fils et ça c'est horrible.
— Mais ce n'est pas possible, oublie Ismaël et moi s'il te plaît.
— Jamais !
On éclate de rire. Le restaurant s'est complètement vidé. Un coup d'œil vers mon portable et je me rends compte qu'on est là depuis un long moment, que Pascal doit attendre pour fermer et rentrer chez lui. Je finis mon verre d'eau et je propose que l'on rentre à la maison. Romane acquiesce. Je me lève de table et ça fait réapparaître Pascal.
— Je te dois combien ?
— Laisse-tomber, je t'offre le repas, ce sera mon cadeau de mariage.
— Je refuse. On a consommé, on paie.
— Je n'ai pas fait payer ta femme, je ne vais pas te faire payer.
— Elle, tu peux la faire payer, elle est plein aux as, tu peux même lui rajouter des intérêts si tu veux.
— Aller rentre chez toi Aliénor, j'espère que le repas t'a plu.
— C'était vraiment bon, c'est pour ça que je veux te payer.
Pascal me fait les gros yeux. Je vois Romane fouiller dans son sac, elle en sort des billets qu'elle place dans la main du propriétaire. Elle commence à me pousser.
— Vous êtes sérieuses ?
— Viens on se casse Ali, sinon il ne prendra pas l'argent. Merci pour le repas, bonne soirée.
Romane me pousse plus fortement et je dévie de ma place. Je remercie Pascal et lui souhaite une bonne soirée avant de quitter le restaurant. Il fait un peu plus frais, j'ai bien fait de prendre ma veste ce soir. Romane se plaint qu'il fait froid.
— Tu veux ma veste ?
— Tu déconnes ! C'est pas à toi d'attraper froid pour demain.
Elle se colle à moi et c'est comme ça qu'on rentre chez moi. Alfred nous saute dessus. Romane ferme la porte derrière nous.
— Dis-moi Ali, il y a quelqu'un en Corse qui n'est pas au courant de votre mariage ? Lance-t-elle en riant.
— J'en doute, vu que Jen n'arrête pas de le crier sur tous les toits.
— Elle est adorable.
Oui, elle est adorable. Je l'aime tellement. Elle a même fait une story sur instagram pour dire qu'elle allait se marier. C'est surprenant venant de Jenifer, mais c'est plaisant. Ça se sent qu'elle est heureuse avec moi.
— J'ai tellement hâte d'être demain, continue Romane enthousiaste.
— Moi aussi.
— Ça y est, tu n'as plus peur ?
— Un peu si, mais je sais que Jen m'aime, que moi je l'aime en retour, alors on n'a pas à avoir peur.
— C'est totalement ça ! Et nous on vous aime toutes les deux !
Je souris à Romane et je lui propose d'aller dormir. Je suis fatiguée et j'ai envie d'être en pleine forme pour demain. Il n'est pas si tard que ça, presque minuit, mais je sais que je vais mettre du temps à m'endormir, alors autant que je prenne les devants. Romane me prend dans ses bras et elle s'en va dans la chambre d'ami. Je monte dans la mienne. Je referme la porte derrière moi et je tombe sur un post-it laissé par Jenifer. Je l'attrape et le lit.
« Passe une bonne nuit, je t'aime »
Accompagné de quelques petits cœurs. Je fonds devant ce petit mot. Je dépose mon portable sur la table de chevet, juste à côté, je pose le mot de ma fiancée. Demain, à mon réveil, c'est la première chose que je verrai. Je m'allonge sur le lit et je pose mes mains sur mon ventre. J'aurais dû me changer, je vais avoir la flemme de me relever maintenant. Cependant, j'ai envie d'être là, de simplement profiter de ce temps seule où mon esprit ne pense que Jenifer. Que fait-elle en ce moment ? Je suis sûre qu'elle pense aussi à moi. J'espère qu'elle a hâte d'être demain, tout comme moi j'ai hâte. Romane toque à ma porte et l'ouvre doucement.
— Je peux rentrer ?
— Oui. Il y a un problème ? Demandé-je en me redressant.
— Non, non. Juste je voulais te montrer un truc.
Romane vient s'asseoir à côté de moi.
— Je suis en train de discuter avec Ismaël. Ta gueule Ali.
— Je n'ai rien dis.
— Tu allais dire quelque chose. Il m'a envoyé une vidéo, de Jen.
Aïe. J'ai déjà peur de ce que je vais voir. Elle ouvre la vidéo et me la diffuse. J'ai devant les yeux, ma fiancée, en train de danser. Mais Jen n'est pas une danseuse. Puis il y a quatre-vingts pourcents de chance qu'elle a bu.
— C'est gênant Romane.
— Totalement. Elle n'en reste pas moins sexy, mais...
— C'est où pour annuler le mariage ?
— Trop tard, tu as signé pour te marier. Juste, elle m'a bien fait rire, donc je voulais que tu vois ça. Tu as beaucoup de chances de l'avoir, tout comme elle a beaucoup de chances de t'avoir.
— Merci.
— Tu danses aussi quand tu es bourrée ?
— Je ne bois pas, enfin, pas autant que Jen, donc j'ai la conscience pour éviter de me ridiculiser comme elle le fait.
— Hâte de la voir danser comme ça au mariage demain.
— Elle fait ça, je demande le divorce sur le champ.
Romane rit et me rappelle que je dois attendre quelques jours avant de pouvoir faire la demande de divorce.
— Sinon, ne lui dis pas que j'ai vu ça et que je te l'ai montré.
— Oh si, je veux me moquer d'elle ! Je lui dirais que ça vient d'Ismaël, sans passer par toi. Merci Romane pour ce moment.
— De rien. Bonne nuit ma Aliénor.
— Bonne nuit.
Elle me prend dans ses bras, puis m'embrasse sur le front et elle quitte ma chambre. Puisque je suis redressée, je choisis de me changer, de me démaquiller avant de retourner dans mon lit. Il est vide et froid. Ce n'est pas la première fois, quand Jen est en studio et que je bosse le lendemain, il m'arrive souvent de m'endormir sans elle, mais là ça me fait bizarre. J'aimerais qu'elle soit là, mais bon, demain elle sera de retour et elle sera ma femme. J'attrape son oreiller pour le mettre sous ma tête. Il me semble qu'il a son odeur, ou peut-être que je l'imagine, je ne sais pas trop. En tout cas, je vais m'endormir en pensant à elle... et à sa danse...