Le Roi se tourne complètement vers son neveu, et après un énième soupir, lui demande, presque certain de sa réponse.
-Alors tu es lié à elle, n'est pas ?
Le concerné hoche la tête.
-Cela explique tout. Ton changement de comportement et tes longues absences sont dues à ce lien.
-Je suis désolé si j'ai pu vous inquiéter ou vous faire du mal, s'excuse Mardil.
-Ce n'est pas la peine. C'est compréhensible. Je comprend aussi pourquoi à chaque fois que tu rentrais, tu étais très énervé. Malheureusement, elle est déjà liée, d'un lien très puissant, à l'Alpha Suprême. Tu m'en vois désolé, mais je pense que votre lien n'aboutira jamais vraiment.
-De quoi parlez vous !? Les interrompt brusquement la concernée, désireuse de comprendre le sujet dont elle est apparament une des deux principaux concernés.
Sous le regard entendu du Roi, Mardil s'avance et baisse le regard, honteux. La jeune femme quand à elle se méfie, car elle a appris que s'avancer vers quelqu'un pour lui dire quelque chose dans cette posture, c'est jamais bon signe. Elle attend donc de pied ferme sa déclaration, se préparant déjà mentalement au pire pour ne pas finir de nouveau en larmes devant eux.
Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude.
-Je suis désolé de t'en parler seulement maintenant, mais la première fois que je t'ai vu, un lien s'est créé entre nous. Le lien des elfes.
-Les elfes ont un lien ? S'exclame t elle.
-Oui. C'est un lien très rare. Autant que les âmes sœurs inter espèces. Il est si peu commun qu'une Prophétie accompagne généralement le lien créé entre les deux personnes.
-Comment s'appelle ce lien ?
-Il n'a pas vraiment de nom, mais certains elfes se plaisent à l'appeler Protectum.
-Qu'est ce qu'il signifie ?
-Cela signifie que l'homme, est l'Elfe Protecteur de sa compagne.
Un grognement tout sauf bienveillant retenti dans toute la cour et lorsqu'ils se tournent vers la source de ce son animal, Michael laisse place sous leurs yeux à un grand loup noir, aux babines retroussées. Dire qu'il menace Mardil est un doux euphémisme.
Si la jeune femme ne s'était pas jeté devant ce dernier, il aurait certainement fini en un vulgaire tas de chaires.
Le loup, dont la vue est occupée non plus par celui qui cherche à lui piquer sa moitié, mais par celle là elle même, abandonne son regard meurtrier et vient se frotter à la jeune femme. Celle ci se raidit presque instantanément, mais ne s'en défait pas, de peur d'attiser à nouveau sa colère.
-Malheureusement, un autre lien s'est créé avant le mien, ce qui ne lui laisse que très peu de place. Je doute que même s'il en avait été l'inverse, le lien aurait été plus fort que celui des âmes sœurs. Notre Déesse, à mon grand désespoir, a l'air de faire passer le lien des âmes sœurs avant celui qu'elle a créé pour nous. Ce qui le rend donc plus puissant que celui qui nous unit tout deux. Si toi, tu ne ressent pas l'attirance que le lien entraîne, moi, en revanche, j'en fait toujours autant l'objet. J'ai toujours cette envie d'être à tes côtés, quoi qu'il arrive, à n'importe quelle heure de la journée, d'être là pour te protéger comme te soutenir. Tout ce que tu peux traverser, je veux être là avec toi, et guider tes pas, ou du moins les rattraper quand il est trop tard.
Le cœur de la jeune femme se serre, et quelques larmes roulent sur ses joues en silence.
Le loup la pousse du museau en couinant. Elle pose sa main sur sa tête comme pour le rassurer, et regarde Mardil d'un air navré.
-Je suis désolé. Même sans le vouloir, je te fais souffrir, car il est vrai que je ne ressens pas ce lien comme je ressens celui qui me lie à Michael.
-Je m'y suis préparé dès que j'ai su que tu étais lié à lui, ne t'en fais pas. Tu ne me fais aucun mal, au contraire. Je suis heureux d'être lié à toi. Ta présence, ce besoin inconditionnel d'être celui dont tu as besoin, me suffit amplement. Grâce à ça, je me sens enfin revivre. Car je ne l'ai jamais avoué jusqu'ici, dit il en regardant sincèrement le Roi, mais depuis la disparition de mon frère et ma mère, même l'attention et l'amour qu'ont pu me donner tes parents n'a su combler ce vide qui m'oppressait. Vide qui est désormais rempli, grâce à toi. Peu m'importe qui tu aimeras, avec qui tu fera ta vie, tant que je fais parti de ce futur. Ça peut paraître égoïste, je le sais et je t'en demande pardon d'avance, mais si tu me le permets, j'aimerais être ce garde du corps que le Roi cherche pour toi, ce confident, cet ami indispensable à ta vie.
-Si cela convient au Roi, dit elle avec un sourire léger, et à cette bête ronchonne qui me chatouille, dit elle en regardant le loup, ce serait un grand honneur pour moi de t'avoir à mes côtés. Et, Mardil, l'interpelle t elle alors qu'il baissait la tête pour lui montrer son allégeance, même si je ne connaissais pas la nature de ce qui nous reliait, ni même l'existence de ce lien, j'ai toujours eu confiance en toi, aussi bizarre que cela ai pu me paraître. À chaque fois que j'étais en ta présence, je me sentais bien, en sécurité. Désormais, je sais pourquoi, lui sourit elle, sourire qu'il lui rend volontiers.
Elle le laisse baisser la tête entièrement, avant de reprendre.
-Et rappelle toi que nous sommes sur un même pied d'égalité, toi et moi.
-Je suis navré, mais c'est faux. De tout ce que j'ai pu te dire, la branche principale des elfes est la seule qui passe au dessus des autres. Ne m'en veux pas, mais c'est une tradition et une coutume que je comptes bien respecter, que tu sois ma liée ou ma cousine. Tu reste ma princesse, l'héritière des Elfes.
-Si tu y tiens, cède t elle devant son regard déterminé. Mais interdit au vouvoiement, pitié, ni aucun titre qui va avec ma... Nouvelle condition d'héritière royale... Grimace t elle en prononçant ces mots qui apparemment lui en coûtent beaucoup. Pour toi, et tout ceux qui me connaissent, je veux rester Arwen, ou la chasseuse sans prénom.
-Je laisserais ceci de côté mais seulement lorsque nous serons seuls, et interdiction de ne pas prononcer ton prénom. Ça a toujours été le tien, même si personne, ni même toi, ne l'a employé jusqu'à aujourd'hui.
Complètement d'accord avec lui, tonne la voix de Michael dans leurs esprits à tous. Ce prénom te va à merveille et il est hors de question de t'appeler autrement.
La jeune femme hoche la tête, consciente qu'elle ne pourra rien dire sur ce sujet.
-J'ai encore une question, reprend Arwen à l'intention d'Aldaron.
-Je t'écoutes.
-Ce n'est peut être rien de plus qu'une impression, mais pourquoi est ce que personne n'avait l'air au courant de mon existence, de celle de votre enfant ?
-Ce n'est pas qu'une impression, mais bel et bien la réalité. Personne n'était au courant. C'est une tradition, enchaîne t il alors qu'elle allait l'interrompre. Une coutume. Un Elfe Royal n'est intronisé qu'une fois sa cinquième année révolue, le soir même de son anniversaire plus exactement. Si c'est ainsi, c'est autant pour jouir de la sécurité du palais et de l'ignorance de tous, que pour une formation dans les meilleures conditions, explique t il devant l'incompréhension évidente de la jeune femme. Quelques rares personnes, nécessaires à sa vie quotidienne et sa formation étaient au courant de son existence, et donc du sacrifice qu'elle a fait pour les siens.
-Mais si j'ai bien suivi, mes cinq ans étaient déjà révolus quand les chasseurs ont pénétrés le village. Alors pourquoi ne pas m'avoir intronisée ? demande t elle, douteuse.
-Tout simplement parce que le jour juste avant ton anniversaire, c'est là que les chasseurs ont massacrés les nôtres. L'heure n'était pas aux réjouissances, et c'était aussi un très bon moyen de te mettre en danger inintentionnellement.
-Désolé, s'excuse t elle, honteuse.
-Ça ne fait rien. C'est tout à fait normal de t'interroger.
-Puisque c'est normal, laissez moi vous demander : qu'avez vous inventé comme mensonges alors pour justifier le retrait pacifique des chasseurs et leur disparition totale de votre vie après un massacre délibéré ? Reprend t elle avec un visage soudainement plus fermé.
-On leur a dit que ma femme a utilisé de son don sur les ennemis pour leur faire oublier l'emplacement du village des elfes, et leurs motivations.
-Et ils ont avalés ça ? Demande t elle en fronçant les sourcils, intérieurement ahurie.
-Oui, assure le Roi. Car personne ne connaît l'étendue exacte de sa puissance.
Pour elle ne sait quelle raison valable, elle n'arrive pas à trouver de quoi rétorquer ou n'ose pas, tandis que son rythme cardiaque s'accélère sous une soudaine montée en pression. Elle finit par pousser un grognement.
-Vous savez quoi ? J'en ai marre.
Et sur ces paroles, elle quitte les lieux sans que personne n'ai eu le temps de répliquer.
Tous étonnés d'une telle réaction, si inattendue alors qu'elle semblait s'ouvrir, ils se regardent tous. Alors que personne ne sait que faire, Lastalaica apparaît dans la cour et dit solennellement au Roi.
-Si vous le permettez Majesté, laissez moi m'en charger. Elle s'est déjà confiée à moi, et cela peut se répéter.
-Et pourquoi pas moi ou Michael ? S'empresse de répliquer Mardil.
-Car vous êtes tous les deux impliqués dans cette histoire, répond il aussitôt, leur clouant le bec.
Le Roi lui donne son assentiment et l'elfe s'en va après une dernière courbette.
La jeune femme s'est vite déplacée, usant enfin librement de ses capacités d'elfe. Le Roi avait raison, son esprit est désormais accordé avec son corps, les pièces manquantes étant rendues.
Mais Lastalaica, Elfe Spirituel, peut suivre sa piste grâce à la trace énergétique qu'elle laisse derrière elle, et n'est pas étonné de la retrouver à la cascade. De ce point de vue là, Mardil et elle font sans aucun doute parti du même sang. Ils ont une fichue tendance à s'isoler et réfléchir des heures à des problèmes qui n'ont pas forcément lieu d'être.
Elle marche de long en large, ses pas sont rageur, et son énergie troublée et rapide, signe d'un grand énervement.
Il l'observe marmonner dans sa barbe, lançant des injures à gogo.
Il observe aussi réellement pour la première fois son apparence. Ses cheveux toujours en queue de cheval ballotant au gré de ses pas, sa taille longiligne où se cachent pourtant des muscles puissants et une maîtrise des arts du combat à la perfection, et son visage fin. Il s'étonne lui même de ne pas avoir pu remarquer les ressemblances avec ses souverains.
Elle lâche un cri rageur qui fait fuir les oiseaux des arbres au dessus d'elle dans une cacophonie effrayée, et saute pour atterrir souplement sur une dalle débordant du lac. Elle s'y assoit, et se met en position de méditation.
Mais malgré ses nombreuses tentatives, elle échoue lamentablement.
Étonné, mais pas tant que ça quand il voit le flux très perturbée de son énergie, il finit par la rejoindre. Celle ci sursaute puis soupire.
Lastalaica l'observe encore essayer vainement quelques secondes de pois avant d'engager la discussion.
-Tu n'arrivera pas à te calmer de cette manière.
-Comment alors ?! Je ne sais même pas pourquoi je suis tant énervée. C'est frustrant !
-Alors cherches. Des fois, nous cherchons bien compliqué alors que la réponse est juste sous notre nez. Qu'est ce qui a commencé à te mettre dans cet état ?
-Lorsque j'ai demandé quel mensonge ils avaient inventé, lâche t elle après un court silence.
-C'est un bon début, émet il en essayant d'alléger l'atmosphère tendue. Tu viens de recevoir un torrent d'information en l'espace de quelques heures, et pour l'instant, c'est le fouilli total. Il faut que tu prennes le temps de remettre les pièces à leur place, d'accepter les changements que prend ta vie, dit il lentement, lui laissant le temps d'appliquer ses conseils, et de se calmer un tant soi peu, même si la frustration est toujours bien présente.
-Je pense que je n'ai pas aimé le fait qu'il m'ai menti, aussi bien à moi qu'à ses semblables.
-Donc c'est les mensonges ?
-Oui. C'est peut être le fait que mon passé n'est que mensonges, mais que mon présent l'est également.
-Ou le fait que tu n'acceptes pas qu'on mente à propos de toi, car tu te mens déjà à toi même ?
-Quoi ? Bien sûr que non ! Pourquoi dis tu une chose pareille ? S'énerve t elle, déboussolé.
-Tu cherches à savoir qui tu es. Pour cela, tu as cherché à connaître qui tu as été. Mais au lieu de prendre cela comme une réponse, tu as renié ton passé, autant en tant qu'elfe, qu'en tant que chasseuse. Tu cherches à être celle que tes parents veulent que tu sois, mais ton vécu, fait que tu es devenue tout autre. Et ça, tu ne l'acceptes pas. Tout simplement parce que le mélange de ce que tu es, a fait du bien, mais tout autant de mal.
Sans le savoir, Lastalaica a calmé son esprit, en lui jetant en pleine face ce qu'elle se cachait à elle même. Sur la bonne voie, elle décide de se remettre à la méditation.
Elle sait qu'elle l'aidera à trouver la réponse finale à sa question...
***
Et voilà mes louveteaux !
Chapitre terminé !
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