Je tentai de garder la tête haute, défiant le torrent de rires qui m'entourait. Les éclats de rire résonnaient dans la salle de réunion, emplissant l'espace de leur joyeuse cacophonie. Même Namjoon, d'ordinaire si stoïque, était plié en deux, tentant en vain de maîtriser son amusement.
Je me tenais face au tableau, les notes que j'avais minutieusement préparées la veille serrées entre mes doigts. Malgré la honte qui me submergeait, je m'accrochais à elles, les observant avec un détachement feint alors que mes collègues se moquaient ouvertement de mes recherches. Le tableau, orné de schémas complexes et de termes médicaux, semblait se moquer de moi aussi, de ma tentative infructueuse de les éclairer.
Finalement, le directeur, essuyant quelques larmes nées de son rire puissant, toussa pour reprendre contenance.
- Excusez-nous, Jungkook, vous disiez ?
- Je disais que je pense que le patient Park Jimin pourrait être atteint d'alexithymie, puisque...
Comme à deux reprises auparavant, la salle entière s'enfonça dans un rire collectif, une véritable tempête de gaieté qui sembla ne jamais vouloir s'apaiser.
Agacé, je finis par quitter l'estrade, mes pas résonnant dans la salle de réunion tandis que je regagnais ma place. L'infirmier assis à ma gauche me gratifia d'une claque amicale dans le dos, tout en chuchotant entre deux rires :
- Crois-moi, mon gars, on irait tous beaucoup mieux si Park était réellement alexithymique.
Lorsque finalement chaque rire se fut apaisé, la réunion reprit son cours comme si de rien n'était. J'étais agacé de constater que non seulement personne ne daignait m'expliquer la source de leur amusement, mais en plus, ils agissaient comme si mon intervention n'avait jamais eu lieu.
Promenant mon regard sur les visages qui m'entouraient, je me surpris à me demander pour la première fois si quelqu'un me prenait véritablement au sérieux au sein de cette équipe.
- Ils ne te prennent pas au sérieux.
Un murmure, un écho dans la pièce, un souffle doux et triste qui caressait mon âme. Les mots, pourtant, résonnaient en moi comme un rappel de ma réalité.
- Je te l'avais dit, ils ne te font pas confiance. Ils ne te diront rien.
Je fermai les yeux, m'abandonnant à la pénombre de mes pensées. Les ombres des doutes tournoyaient autour de moi, obscurcissant la lueur de ma confiance.
- Je le vois, à présent. Tu es tellement parfait pour ce rôle. Jeune, inexpérimenté, soumis à l'autorité. Tu étais ce qu'il leur fallait.
Un frisson parcourut mon échine à l'évocation de mon rôle, de ma place dans cet hôpital.
Finalement, je relevai les yeux, les plongeant dans l'abîme des yeux bleus de Taehyung.
- Arrête. Va t'asseoir ailleurs.
Ma voix, empreinte de douce fermeté, résonna dans la pièce, tranchant l'atmosphère lourde. Taehyung, immuable, esquissa un sourire énigmatique.
Ce midi-là, baignant dans un océan de frustrations suite à cette réunion matinale, j'avais délibérément choisi de manger en solitaire, ignorant l'invitation de Namjoon à rejoindre Kai et Félix, tout comme il avait semblé ignorer mes apports médicaux. Mon plateau, orné de pousses de soja délicieusement agrémentées d'oignon frit, trônait majestueusement devant moi, prêt à satisfaire mes papilles tout en apaisant ma solitude momentanée.
Je m'étais dirigé vers un coin reculé du réfectoire, sélectionnant une table vide dégageant un sentiment de quiétude. Elle était étroite, à peine suffisante pour accueillir mon plateau, mais cela convenait à mon désir de manger en paix et de m'évader du tumulte des préoccupations professionnelles.
Plongé dans l'univers virtuel de mes réseaux sociaux, j'avais partagé quelques clichés de l'été passé, construisant une façade numérique radieuse. Mon téléphone était ma fenêtre vers l'extérieur, une échappatoire bienvenue face à l'agitation de la réalité.
Cependant, l'inattendu s'était invité à ma table, et j'en fus presque étourdi. J'avais levé les yeux de mon écran, mon regard teinté de perplexité se posant sur l'importun. J'avais choisi table, si étroite, qui ne laissait place qu'à un seul convive afin que personne ne puisse s'incruster à mes côtés, alors le choix de ce nouvel arrivant m'avait pris au dépourvu.
Ma confusion atteignit son paroxysme quand je vis qu'il s'agissait de Taehyung.
Profitant de mon hésitation, celui-ci s'était assis, et avait commencé à manger, avant de lâcher des bribes de phrases qui n'avaient pour but apparent que de m'embêter.
- Tu ne me demandes pas pourquoi je m'assois en face de toi ?
Je décidai de ne pas lui offrir la satisfaction d'une réponse. S'il voulait rester assis là, c'était son choix, mais je n'allais pas céder à sa provocation. Il fallait le laisser parler, finir mon repas, et partir.
J'étais épuisé, fatigué de la frustration qui me rongeait. Je n'avais pas l'énergie pour affronter les commentaires venimeux de Taehyung.
Tout ce que je désirais, c'était retourner dans ma chambre, m'étendre et sombrer dans un profond sommeil tout l'après-midi. Je souhaitais ne me réveiller que le soir, pour assumer ma responsabilité de nuit, mon astreinte sur les dortoirs.
Cependant, Taehyung, semblait être dans une course, accélérant le rythme de ses paroles, cherchant à les enraciner plus profondément dans mon esprit.
- N'es-tu pas frustré de ne pas savoir, de rester dans l'ignorance ? Tout le monde semble détenir les réponses, tandis que toi, tu restes dans le noir le plus complet.
Plus que le dessert. Plus que la tarte.
3 bouchées Jungkook, et tu pourras en finir avec cette moitié de journée atroce, me motivai-je.
- Je t'ai appelé, hier soir. Tu as raccroché et n'as plus jamais répondu.
Intrigué par cette révélation, je m'interrompis dans mes activités culinaires, laissant mon regard pénétrer profondément dans les yeux de Taehyung. Son expression s'était transformée, manifestant qu'il avait comprit qu'il avait finalement attiré mon attention.
- J'avais besoin de toi, Jungkook. Et là, j'ai encore besoin de toi.
Mes doigts s'immobilisèrent, suspendus dans l'air, tenant cette part de tarte à la framboise que je m'apprêtais à engloutir. Les secondes s'égrenèrent lentement, le temps suspendu à l'instant crucial.
Puis je posai doucement la tarte sur le plateau, prenant une pause solennelle, puis replantai mon regard sérieux dans les yeux de Taehyung.
Finalement, je cédai à son appel silencieux.
- Pourquoi as-tu choisi de t'asseoir ici, Taehyung ?
- J'ai une proposition à te faire.
Méfiance et curiosité se disputaient la première place dans mon esprit.
- On a besoin l'un de l'autre, poursuivit-il, sa voix empreinte de détermination. J'ai un couvre-feu, je ne peux plus me déplacer comme je le veux. Alors j'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi, tous les soirs.
Je me penchai légèrement vers lui, mon expression demeurant calme, mais ma méfiance bien palpable.
- Qu'est-ce qui te dit que moi, j'ai besoin de toi, Taehyung ? interrogeai-je avec prudence.
Un léger rire s'échappa de ses lèvres, créant une atmosphère teintée d'ironie.
- Tu veux savoir, Jungkook, tu veux être le meilleur, je le vois bien. Et moi...
Il marqua une pause dramatique, ajoutant un suspense calculé à la situation.
- Moi je peux t'offrir les réponses que tu cherches. Celles qu'ils ne te donneront jamais. Sur Hoesok. Sur Yoongi. Sur Jimin. Sur moi.
Soudain, la proposition me sembla bien plus alléchante, une opportunité d'accéder à des informations que j'avais si désespérément recherchées. Cependant, la personnalité manipulatrice de Taehyung n'était jamais très loin de ma pensée, me maintenant sur mes gardes.
- Et qu'est-ce que tu veux que je fasse pour toi le soir ? demandai-je d'une voix que je voulais désintéressée.
Un sourire s'étira sur le visage de Taehyung, semblable à un fauve qui a repéré sa proie.
- J'ai besoin que tu te rapproches de Jimin.
Ses mots résonnèrent dans l'air comme une offre irrésistible, mais aussi une décision dont les implications pourraient être insondables.
Les mots de Taehyung avaient créé un pacte invisible entre nous, scellé dans le coin sombre du réfectoire, et le plan s'était dessiné dans le reflet des plateaux vides.
SeokJin avait convoqué une réunion avec les infirmiers et les aides-soignants pour ce soir. Un événement mystérieux s'était produit la veille, qui avait entraîné une redistribution des services au sein de l'hôpital. Je devais m'y rendre, pénétrer dans les arcanes de la machinerie hospitalière, et me présenter pour gérer les repas de Jimin. L'excuse que Taehyung m'avait soufflée était toute trouvée : je devais prétendre que c'était pour mieux comprendre le patient, que je souhaitais améliorer notre relation suite à notre précédent rendez-vous.
Je savais déjà que cette démarche ne serait pas aisée. Il était incontestable que SeokJin, conscient des limites de mon statut, s'opposerait à ma demande. Sa première réaction serait probablement de refuser, de m'expliquer que ce n'était pas de mon ressort. Mais Taehyung avait été clair : il fallait insister, persévérer, et lutter pour obtenir ce que je désirais ardemment.
Le moment crucial était également prévu pour ce soir, à 21 heures, lors du repas de Park Jimin. Malgré le couvre-feu, je devais m'arranger pour que Taehyung y soit présent. Si je parvenais à m'acquitter de cette tâche, j'obtiendrais le droit de poser n'importe quelle question à Taehyung le lendemain midi, à la même table qu'aujourd'hui, et ainsi serait ouverte la porte vers un monde de réponses insaisissables.
En ressortant de la salle à manger, un frisson m'avait parcouru. La réalisation de la gravité de l'accord que je venais de conclure m'avait finalement saisi, une conscience aiguë de mon plongeon dans l'inconnu guidé par l'avidité insatiable de connaissances.
Alors que je posais mon plateau désormais vide sur le tapis roulant, une main s'était posée doucement sur mon bras. C'était Namjoon, le regard désapprobateur. Visiblement, il m'attendait.
- Jungkook, tu ne devrais plus laisser Taehyung manger avec toi. C'est contre-productif, et très risqué pour toi, avait-il déclaré, sa voix empreinte de préoccupation.
Ses mots avaient ravivé en moi la conversation récente avec Taehyung et ses paroles perspicaces.
"Ils ne te font pas confiance".
J'avais esquissé un sourire.
- Fais-moi confiance, Namjoon.