Allongée dans son lit dans la pénombre de sa chambre, Meredith étouffe ses larmes dans son oreiller.
Elle s'en veut de pleurer pour quelque chose d'aussi débile, mais ce sentiment d'être tiraillée entre deux partis est trop puissant. D'un côté, ses parents, leur interdiction formelle et la promesse qu'elle leur a faite, et de l'autre Ernestine, la prophétie, le monde des sorciers et la Dame Blanche à libérer.
Hier soir, après leur discussion, son père a rangé les carnets d'Anatolie dans un coffre auquel elle n'a pas accès, pour éviter toute recherches de la part de leur fille.
Elle a l'impression d'avoir perdu la confiance de ses parents et celle d'Ernestine aussi. Cette dernière était si distante ce matin !
Pour retrouver son calme, Meredith inspire tranquillement et ferme les yeux en se promettant d'en parler avec ses amis, Athénaïsse, Fulgence et Hector. Eux pourront la conseiller.
La semaine à Paris passe lentement, Meredith essaye de rattraper le temps perdu avec sa famille et ses amis du collège. À la fin de la semaine, les Clairensac embarquent dans leur voiture pour se rendre au manoir d'Ernestine et y retrouver Ernestine, Sylbert, Émilienne, Nymphodore et Léontien.
Dans le coffre, entre les sac de voyage de chacun des quatre membres de la famille, on trouve l'Étincelle 500 de Meredith, sa valise remplie de ses manuels de quatrième, qu'elle va devoir donner à Philizas à la rentrée, ses jupes et ses chemises d'uniforme, que sa mère a ensorcelées pour qu'elles soient encore à sa taille, des vêtements pour le temps libre, quelques romans, son cartable et sa trousse, des cahiers, les gamelles de Charbon, qui se prélasse sur ses genoux pendant tout le trajet, se réveillant parfois pour miauler, un petit paquet de croquettes, une tenue de sport et une tenue de balai, sa trousse de toilette, son maillot de bain, et quelques autres affaires.
Sur le siège entre elle et son frère, Meredith a calé le terrarium de Wiglaf, son escarchat.
Le voyage se déroula lentement et ils arrivèrent à l'heure du dîner chez Ernestine. En descendant de la voiture, Meredith remarque que la veine noire sur la tourelle a grandie et qu'elle descend maintenant jusqu'à la fenêtre du deuxième étage.
La semaine passe tranquillement, entre les ballades dans la forêt et au bord du ruisseau qui la parcoure avec Phodore, Léontien et Éric et les jeux de société le soir, en famille. Le seul hic dans cette harmonie reste le comportement de la doyenne Clairensac.
Ernestine semble perturbée même si elle n'en parle pas. De temps en temps, sa petite-fille la surprend en train de soliloquer ou de contempler pendant plusieurs minutes le même point invisible à l'horizon. Elle interrompt régulièrement ce qu'elle est en train de faire pour feuilleter un grimoire dans sa bibliothèque. Beaucoup trop souvent, elle griffonne compulsivement dans un petit carnet qu'elle range dans sa poche. De plus en plus souvent, elle paraît lointaine et calme et grave à l'exception de son sourcil qui s'agite alors soubresauts.
Meredith a déjà surpris les adultes en train d'en parler entre eux dans la chambre des parents de Meredith. Ils parlaient de Strasbourg et de médecin, elle a aussi compris qu'ils ont été mis au courant pour la prophétie et que Sylbert et Émilienne partagent l'avis de Louise et Thilbault.
Mais très vite, le moment vient pour Phodore et Meredith de retourner à Pierre Grise.
Les deux cousins prennent leur envol aux alentours de neuf heures et atteignent l'Académie peu avant treize heure.
Là-bas, devant le portail, règne l'effervescence de la rentrée. Les amis se retrouvent bruyamment, les nouveaux angoissent, accrochés comme des arapèdes à leurs rochers à leurs parents.
Meredith scrute la foule à la recherche de Fulgence, d'Athénaïsse ou de Hector.
Elle finit par apercevoir le grand frère de ce dernier, Eustache, adossé avec des amis à la muraille qui entoure l'internat.
Prenant son courage à deux mains, elle va le voir pour lui demander où est Hector.
''Il est avec Athénaïsse, vers le portail.
-Merci.''
La collégienne les retrouve vite et voit qu'ils sont en train de discuter avec Ydorée. Pourtant, aucune trace de la capilomage aux cheveux rouges. Ni valise ni balai.
Alarmée, elle se hâte de rejoindre le petit groupe. Leurs visages sont graves et Ydorée, d'habitude si souriante, a les larmes aux yeux.
''Fulgence est à l'hôpital.'' Lui annonce Ath. D'une voix blanche.
''Qu'est ce qui s'est passé ?'' Leur demande Meredith, commençant à s'affoler.
-Elle a attrapé une Convolvulence. C'est une maladie qui fait qu'un liseron commence à pousser autour des artères et des veines, qui bloque la circulation sanguine. Les médecins disent qu'elle risque de ne pas s'en sortir. Les traitements sont moins efficaces sur les capilomages.'' Ydorée a balancé tout ça sans reprendre sa respiration. Et elle s'effondre en larme dans les bras d'Athénaïsse. Cette dernière tente de la réconforter de son mieux avant que la capilomage se détache de ses bras et marmonne qu'elle va voir Nymphodore.
''Faut qu'on trouve un moyen de voire Fulgence.'' Chuchote Hector.
-Et comment ?'' Lui demande Meredith. 'Tu crois que Florville nous laissera aller la voir ? Au plus, elle nous laissera téléphoner dans son bureau.'' Hector hausse les épaules, peu convaincu, et le portail s'ouvre derrière eux. ''En parlant du loup...'' Athénaïsse empoigne sur ses mots sa valise et son balai et se prépare à suivre la directrice qui offre en ce moment même un discours dithyrambique sur les qualités inégalables de son Académie. Quand elle a fini, elle salue les parents et demande aux élèves de bien vouloir la suivre.
Alors qu'elle s'apprête à monter les escaliers vers son dortoir, Meredith croise le regard de Philizas parmi la classe de quatrième qui attend d'être séparée en dortoir. Elle lui fait un signe de la main et se glisse dans un recoin du hall pour sortir les manuels qu'elle lui doit de sa valise.
Meredith joue des coudes dans la petite foule avant d'atteindre son cousin et de lui donner les livres.
''Bonne chance !'' Lui murmure elle en lui ébouriffant les cheveux avant de repartir. Elle retrouve Athénaïsse et Naïsse dans leur chambre.
Elle pose Wiglaf et son terrarium sur son bureau à côté des manuels de troisième, installe la gamelle de Charbon dans un coin de la chambre, range ses vêtements dans le tiroir sous son lit, sa trousse de toilette dans son tiroir dans la salle de bain et accroche son balai sur le mur au-dessus de son lit. Le tout dans un silence de mort, interrompus seulement par les miaulements de Charbon et de Polexine troisième du nom.
À la fin de ce rangement de début d'année, Naïsse par s'installer dans un des fauteuils du hall avec un bon livre tandis qu'Athénaïsse s'engage dans les escaliers en intimant à Meredith de la suivre.
Elles descendent au repère où les attend déjà Hector, le nez dans ce qui ressemble à une vieille revue décolorée.
À leur arrivée, il la repose et se redresse sur son fauteuil. ''Ça parlait de quoi ?'' Demande Meredith en désignant la revue.
-De l'actualité le 20 juin 1969, date de l'élection de Georges Pompidou. Mais ce n'est pas pour ça qu'on est là. Il faut qu'on trouve le moyen de fuguer.
-On peut partir par la fenêtre de nos chambres en balai et utiliser la boussole aux milles chemins. 'Propose Meredith.
-Et mon frère peut nous préparer une potion d'invisibilité.'' Ajoute Athénaïsse, triomphante.
-On ne devrait pas proposer à Ydorée de venir ?'' S'inquiète Meredith.
-Elle est en train d'y aller. Elle était juste venue poser ses affaires avant de repartir voire Fulgence. Quand t'étais pas là, elle nous a dit que les médecins ne lui donnent plus que quelques jours avant qu'elle ne...que la maladie ne l'emporte...''Hector se tait et s'essuie les yeux de sa manche. ''Je propose que je demande la potion à Martial, ensuite je la prends et en boit une gorgée, je sors par ma fenêtre et vais taper à la vôtre. Vous sortez et prenez une gorgée chacune et ensuite on suit ta boussole. Par contre on sort de nuit, j'imagine.''
-Ça me semble un bon plan !'' affirme Meredith.Athénaïsse acquiesce. Le trio se sépare, Hector sort par la fenêtre et les deuxfilles remontent le colimaçon vers leur chambre, tout en repensant au plan pouren oublier aucun détail. ''Si ça foire, on est mort !'' Pense Meredith encherchant quelque chose à faire jusqu'au dîner.