Depuis la période qui avait suivi Noël, Mara se sentait libre comme le vent. Chaque matin, elle regardait son horaire, et allait au cours qui était écrit. Ces cours étaient souvent extrêmement amusants mais aussi dangereux. En cours de métamorphose, ils avaient appris à transformer des arbres de la forêt en arbres animés et avaient pu, grâce à ça, aménager une clairière sans avoir à couper quoi que ce soit. Certains arbres avaient demandé la permission de garder une possibilité de bouger et Chester avait passé un contrat avec eux. Les élèves, stupéfaits, avaient regardé leur directrice signer un contrat avec un vieil aulne qui avait été déclaré "Chef du Peuple des Arbres". On appelait maintenant la forêt les Pa. Peu à peu, le mot avait dévié vers les Pans. Les arbres étaient très satisfaits de ce surnom et les élèves de la HES avaient découvert que les Pans étaient de très bons orateurs mais aussi d'excellents amis lors de coup difficiles. Leur grand âge leur avait amené une grande sagesse et ils arrivaient à conseiller n'importe qui sur n'importe quoi, tout en restant plutôt objectifs dans leurs propos.
Depuis, il n'était pas impossible d'engager une conversation avec un arbre. Ni de passer des journées entières en leur compagnie. Il y avait même des élèves qui racontaient que les Pans ronflaient, ce qui faisait beaucoup rire dans les couloirs.
En cours d'arithmancie, ils avaient déchiffré certains textes laissés par des peuplades lointaines, et Mara n'avait absolument rien compris. Elle s'était contentée de faire ce qu'Eliza lui chuchotait de faire. Dans l'absolu, elle aurait dû essayer de s'intéresser à la branche, mais elle n'y parvenait pas. Pour une raison qui lui était inconnue, l'idée de savoir qu'il existait déjà quelque chose avant ce qu'elle-même connaissait la rendait assez mal à l'aise. Elle avait rencontré le même problème en cours d'Histoire ou de Sociologie. Elle aimait beaucoup les sujets actuels et plutôt impersonnels, mais dès qu'on en venait à faire la biographie d'un Sortcelier particulier, elle perdait ses moyens. Pourtant, au début d'année, elle n'avait pas du tout eu ce genre de problème. Elle en avait parlé avec ses amis qui mettaient - tout comme elle - cette mystérieuse affaire sur le compte de la fatigue et d'un certain manque de discernement.
Puis, ils avaient appris à construire un lien avec un Pegasus. Appledore s'était remis de ses frayeurs et avait retrouvé Mara avec bonheur. Il avait d'abord renâclé quand elle était montée sur son dos, se souvenant sûrement de ses récents aventures et des heures de peur qui s'en étaient suivies pour lui, les Pegasus étant très sensibles. Enfin, il s'était calmé quand Mara l'avait bichonné, lui caressant du mieux qu'elle l'avait pu l'encolure et lui avait chuchoté des mots à la sonorité douce et calme aux oreilles. Puis, ils avaient fait un tour du domaine afin de repérer quelques éventuels problèmes. Mara trouvait tout ça amusant: les élèves réparaient le domaine tout en apprenant un peu plus chaque jour. En Sorcellerie, par exemple, ils avaient nettoyé tout le château tout en s'entraînant à combattre les forces obscures: un groupe avait été chargé de faire de tous les déchets des armes ou des combattants, et l'autre de les détruire puis de les faire disparaître. Elle était dans le camp des assaillants et elle avait entièrement immobilisé Cédric à l'aide de poussières coagulées. Il avait fallu l'aide de trois autres élèves pour mettre hors d'état de nuire l'arme puissante de Mara, qui avait fini par exploser de rire, perdant toute sa concentration.
Depuis plusieurs mois, chaque matin, les élèves se réveillaient avec appréhension: ils ne connaissaient plus l'ennui ou le stress. Juste un bonheur euphorique ou une déception immense selon ce qui leur était proposé. Mais, malgré tout, il régnait une atmosphère de profonde joie dans tout le bâtiment.
Quand vinrent les vacances d'été, il n'y avait guère d'élèves qui étaient totalement content de s'en aller de la HES. Bien sûr, chacun attendait impatiemment de revoir sa famille, et Mara la première. Mais quitter ce lieu qui, pendant un an, leur avait tout appris leur semblait invraisemblable. Surtout que des amitiés très fortes s'étaient forgées au fil des épreuves entre les jeunes gens qui s'enlassaient désespérément avant de s'en aller le cœur lourd. Certain ne reviendraient plus jamais là et c'était pour eux un déchirement de quitter ce lieu qui les avait accueillis pendant de nombreuses années.
Mara ne connaissait pas l'adresse de Peter Black; elle n'était jamais allée chez lui, et il n'en parlait jamais. Le jour du départ, elle passa la matinée avec ses amis et Seb. Elle leur promettait de se voir, de s'écrire... Puis, ils partirent, un à un, et bientôt, Mara resta seule avec Cédric. Il n'avait plus reparlé de ses problèmes et Mara savait par expérience qu'ils n'en discuteraient que quand son ami serait prêt. Elle ne voulait en aucun cas le presser ou le forcer à sortir de sa bulle. Elle ne savait que trop bien le sentiment qu'une telle chose produisait et elle n'avait aucune envie que Cédric le teste à son tour.
- Il arrive quand? demanda Cédric après un moment de silence.
Mara le regarda. Il semblait aller mieux et ses yeux n'étaient plus autant cernés qu'après les Travaux d'Hiver. Après tout, peut-être qu'il était fatigué et qu'il s'imaginait simplement tout ça. Elle lui sourit.
- Il devrait arriver.
Et, en effet, la porte s'ouvrit rapidement sur Peter Black. Mara eut un grand sourire et lui sauta au cou, contente d'enfin le revoir, après toutes les épreuves qu'il avait dû surmonter.
- C'est génial de te voir.
Black sourit et fit un léger signe à Cédric. Mara serra son ami dans ses bras puis s'en alla avec Black. Elle ne vit pas l'air suspicieux de Cédric. Ils se dirigèrent vers la porte et entrèrent ensemble. Black prononça son adresse et ouvrit la porte. Mara découvrit alors un salon tout ce qu'il y avait de plus normal: un canapé, deux fauteuils, des photos encadrées sur le mur... Elle dut presque s'avouer déçue: inconsciemment, elle s'était imaginé chaque jour une décoration plus exorbitante, mais au final, non.
- Je vais te montrer ta chambre.
Mara suivit Peter dans des escaliers en colimaçon et ils arrivèrent au deuxième étage. Là, un second escalier, en tout point comme le second, menait à la chambre de Mara, qui était aménagée sous l'ancien grenier. Ses valises étaient au centre de la pièce.
- J'espère que ça te plaira, sourit Peter.
- C'est parfait.
Un minuscule moment de silence s'ensuivit. Mara ne savait guère que dire. En général, c'était plutôt Peter qui lançait la discussion sur des sujets qui l'intéressait et Mara arrivait à s'adapter à la conversation.
- Je suis désolé, mais j'ai un rendez-vous fixé de longue date...
- Je ferai ma chambre en attendant, le coupa Mara.
Pour une raison qui lui échappait, elle n'arrivait pas à le laisser s'excuser face à elle. Elle se sentait coupable, mais ne savait guère de quoi. Comme si c'était elle, et non lui, qui aurait dû s'excuser.
- Parfait. Je serai de retour ce soir. Ne fais pas attention aux voisins, ils sont convaincus que la maison est hantée... Ils te prendront sans doute pour un fantôme quelconque.
Mara sourit, amusée par l'idée. Elle regarda Peter s'en aller et fixa sa chambre. Elle était assez spacieuse, mais pas autant que la chambre qu'elle avait chez ses parents. Une lucarne assez grande était fixée sur le toit en pente et, juste en dessous, il y avait la place pour que Mara s'assoie sur le rebord de la fenêtre. Mara remarqua qu'il n'y avait aucun meuble; c'était à elle de les créer. Aussitôt, elle créa un lit avec des couvertures et des coussins, un bureau, une chaise, une bibliothèque, une armoire, ainsi qu'un hamac. Elle sourit et rangea ses affaires. Puis, elle décida de visiter la maison. Elle n'était pas très grande; trois chambres à coucher, un salon, des toilettes et une cuisine. Mara remarqua qu'une des chambres semblait être celle de Peter et, avant, de sa femme, la deuxième celle d'un adolescent et la troisième contenait un berceau et des décorations pastel. Mara entra dans la chambre et eut soudain de la peine pour Black. Il avait perdu toute sa famille, y compris son bébé. Elle vit un album photo avec un bébé, visiblement une fille, qui devait avoir à peine quelques semaines. Une jeune femme aux longs cheveux roux la tenait dans ses bras, mais derrière son sourire, on percevait une grande tristesse. Mara sortit de la chambre.
Elle se dirigea vers le salon et s'approcha des photos. Un jeune garçon riait, le bébé dans ses bras. À côté du garçon, dans un lit d'hôpital, se tenait la femme rousse. Elle souriait. Sur toutes les photos, on voyait Peter et sa femme, ou leurs enfants. Mara sourit. Peter les aimait de tout son cœur.
Plus loin, une photo prise peu de temps auparavant montrait les Mackenzie et Black à une fête de Noël. Mara sourit. Sur cette photo, ses parents souriaient et semblaient en pleine forme. Difficile de penser qu'un an plus tard, ils seraient dans une tombe.
Mara prit une pomme qui trainait sur le plan de travail de la cuisine et mordit dedans. Elle ouvrit la porte d'entrée et découvrit qu'elle se trouvait au beau milieu de la campagne. Alentours, rien qu'une ferme, des bois, des champs, et un étang. Mara sourit. Elle sortit dans le jardin et s'assit en tailleur dans l'herbe chaude. Elle vit une femme sortir de la ferme, la regarder, et s'éloigner rapidement.
Rapidement, Mara s'habitua à l'ambiance de la maison de Black et elle se sentait bien avec lui. Il était assez taciturne et ne parlait pas beaucoup de lui. Cependant, il posait beaucoup de questions à Mara sur la HES, sur ses amis, et ses cours. Il sourit quand il vit les résultats de la jeune fille au Travail d'Hiver. Puis, il lui proposa d'inviter des amis. Mais Mara décida de passer le plus de temps possible avec Peter. Tous les deux soirs, elle écrivait à ses amis et envoyait par sorcellerie la missive. Et, la journée, elle se promenait avec Black, s'entraînait à jeter des Sorts ou lisait le grimoire. Elle ne cessait de s'émerveiller des possibilités que l'endroit proposait. Jusqu'au jour où le Reliquaire attaqua.