Peu avant les vacances, Chester avait promis à Mara de l'entraîner à une forme de Sorcellerie très ancienne et dangereuse, non pas pour les autres mais pour elle-même. C'était une sorte de cousine du Reversum. Le principe était extrêmement simple: il suffisait de canaliser les sentiments forts des personnes qui l'entouraient en elle-même pour fortifier son Potentia et vaincre la Sorcellerie noire à son propre jeu: celui des sens. Cependant, tous ces sentiments, il fallait les vivre. Et, évidemment, il ne s'agissait pas de joie. Le plus souvent, on retrouvait la tristesse, la peur, la douleur, la colère, la haine et, étroitement lié à cette dernière, l'amour. Mara s'était exercée le soir-même avec Chester à Hemlock et en était sortie extrêmement fatiguée et tout à fait désespérée. En effet, la directrice lui avait imposé une séance par semaine jusqu'à ce qu'elle parvienne à se maîtriser totalement. Quand elle entra dans son dortoir, Mara s'endormit comme une masse.
Mara se réveilla seule dans sa chambre. Elle resta un instant immobile, les yeux fixés sur le plafond blanc. La lumière filtrait à travers les rideaux et la chambre était inondée de soleil. C'était Noël, et pourtant, Mara se sentait plus triste que jamais. La quasi-totalité des personnes avec lesquels elle aurait aimé fêter Noël était parties. Ses parents et Spencer, tués tous trois par Larry, le mystérieux allié du Reliquaire, Black, qui était retenu à la Convention...
Cette année, elle fêterait Noël avec des gens qu'elle considérait comme sa seconde famille mais qui étaient incapables de la comprendre.
La jeune fille se leva et s'étira. Elle regarda l'heure et fut surprise de découvrir qu'il n'était que dix heure. Elle n'avait pas beaucoup dormi, par rapport à la nuit précédente, où elle s'était réveillée à deux heures de l'après-midi.
Elle enfila son uniforme d'hiver et brossa rapidement ses cheveux. Puis, animée par un soudain regain d'énergie, elle descendit les escaliers rapidement et se rendit au réfectoire où les autres s'étaient rassemblés. Ils l'accueillirent par un sourire. Mara s'assit à côté de Cara en mimant un sourire qu'elle savait tout comme eux être faux. Mais elle en avait marre d'être toujours posée en victime. De plus, elle avait maintenant un véritable ennemi sur lequel elle pouvait mettre un nom et un visage. Et trois meurtres.
- On n'attend plus que Cédric pour ouvrir les cadeaux, annonça Cara avec douceur.
- Il n'est pas dans sa chambre en tout cas, j'ai vérifié en passant ce matin, fit James.
Mara savait très bien où était Cédric. Mais quand ils la fixèrent en attendant qu'elle le leur dise, elle fit mine de ne pas savoir et ignora leurs yeux posés sur elle. Des deux, c'était elle qui tenait le mieux le coup.
Mara prit en vitesse un petit déjeuner, puis elle se leva et sortit du réfectoire. Elle monta dans le bureau de Chester et s'approcha de Cédric. Le Sortcelier était en train de s'entraîner à jeter des Sorts et Mara s'avança vers lui. Soudain, il s'arrêta. Mara était juste derrière lui. Tous deux étaient face au mur-miroir et ils se tinrent ainsi pendant quelques secondes avant qu'enfin Cédric ne se décide à parler.
- Pendant la balade, je lui ai dit que je l'aimais, et je lui ai demandé si elle voulait sortir avec moi. Elle ne savait tellement pas quoi dire, je le voyais...
Cédric se stoppa et regarda le reflet de Mara dans l'espoir d'une réponse.
- Elle t'aimait, fit simplement Mara.
- Elle est partie en courant! cria Cédric comme si cela suffisait à démontrer qu'elle puisse ne pas l'aimer.
Dans le même temps, il se tourna vers Mara qui ne bougea pas d'un cil.
- Sa dernière pensée a été pour toi.
Cédric se calma. Il recula contre le miroir et se laissa glisser au sol. Mara vint près de lui et s'assit doucement, sans un bruit.
- Je m'en veux, tu sais. Si je ne lui avais pas demandé, elle ne serait pas partie...
- Arrête.
- Quoi?
- Arrête de vouloir changer le passé. C'est arrivé, c'est tout. Tes regrets ne te serviront à rien; ils te nuiront même.
- On croirait entendre Chester parler, rigola doucement Cédric.
- Je crois que je passe trop de temps avec elle, marmonna joyeusement Mara.
- Tu devrais en passer plus avec moi.
Cédric se leva et tendit la main à Mara pour qu'elle en fasse de même. Troublée par ses paroles, Mara mit un certain temps avant de réagir. Elle réfléchissait à ce que Cédric venait de lui dire. C'était Spencer qui, ils se dirigèrent tous deux vers le réfectoire. Quand ils arrivèrent, Cédric se tut et s'assit en silence, alors qu'il parlait avec Mara deux minutes auparavant. Celle-ci s'étonna de son mutisme mais ne dit rien.
- Ah, Cédric! Où étais-tu passé? fit Nikita avec un air enjoué. On t'attendait pour les cadeaux.
Cédric hocha la tête et Chester fit un petit signe de la main vers les cadeaux disposés sous l'énorme sapin. Aussitôt, tous les paquets convergèrent vers leurs destinataires. Les cadeaux de leurs familles étaient arrivés le matin-même par la Porte, et Mara découvrit six cadeaux. Surprise, elle regarda qui les avait envoyés et découvrit que ses parents lui en avaient envoyé un, ainsi qu'un illustre inconnu.
Elle ouvrit d'abord celui de Cédric, découvrant un magnifique collier en or avec, au bout, un médaillon qui s'ouvrait sur une jolie petite comptine et qui contenait des photos qui passaient les unes après les autres. Pas des photos, corrigea mentalement Mara, des souvenirs.
Elle sourit et demanda à son ami de le lui accrocher autour du cou. En le regardant de plus près, elle put voir de fines rainures qui dessinaient un entrelacs magnifique. Cédric le lui accrocha et il la remercia pour son cadeau. Mara fit de même.
Puis, elle ouvrit le cadeau de Seb. Et découvrit qu'il s'appelait en réalité "Sebastian". Elle sourit. Il ne le lui avait jamais dit. Elle ouvrit l'emballage et vit qu'il s'agissait d'une magnifique bague en or blanc sertie d'une émeraude. Il n'y avait absolument rien de magique dans son cadeau et Mara en fut quelque peu soulagée. Elle mit la bague à son doigt et sourit.
Le cadeau de Black était emballé dans une sorte de pochette en cuir. Mara l'ouvrit et découvrit alors un carnet qui semblait assez vieux. La couverture était en cuir noir, tout comme sa reliure, et elle ne portait aucune inscription. Elle l'ouvrit et ne découvrit à nouveau rien. Les pages jaunies étaient totalement vides. Surprise, elle haussa les épaules. Et, soudain, un message s'afficha sur la première page. L'écriture était celle de Black.
Joyeux Noël, Mara. Par ce livre, tu pourras me parler sans que personne d'autre ne lise ce que tu as écrit. J'espère que tu tiens le coup.
Peter
Elle sourit. Peter avait le chic pour lui dénicher les choses les plus utiles et les plus mystérieuses.
Elle passa au cadeau de Spencer. Avec un pincement au cœur, elle défit doucement l'emballage, de peur d'endommager sa mémoire en même temps que le cadeau et découvrit une boule de cristal dans laquelle était enfermé un magnifique feu d'artifice. En se concentrant sur la boule, elle put deviner une légère musique qui accompagnait les explosions de lumière. Mara sourit, émue. Elle aurait voulu savoir Spencer à ses côtés.
Ses parents, lorsqu'ils avaient appris sa mort, étaient venus à la HES. Ils étaient totalement athées et avaient fait incinérer le corps de leur fille sans donner l'occasion à quiconque l'occasion de lui dire une dernière fois au revoir. Ses affaires avaient été retirées du dortoir qu'elle avait partagé avec Mara et Spencer. Ils étaient partie le soir-même, sans avoir versé une seule larme. Le fait d'avoir un souvenir de son amie rendait Mara plus calme.
Puis, elle regarda le dernier cadeau. Il ne portait aucune inscription, rien qui ne puisse déterminer qui le lui avait envoyé. Elle l'ouvrit doucement, pensant découvrir une lettre à l'intérieur, mais ne vit qu'un livre qui portait l'inscription "Les plus grandes lignées de Sortceliers". Et, sous celui-ci, un second volume qui s'intitulait "Mémoires d'Amy Black".
Surprise, Mara regarda les deux livres. Amy Black était la femme de Peter. Elle était décédée. Elle se demanda si Peter lui avait envoyé le livre par erreur, et se reprit. Il lui avait offert un autre cadeau.
Elle releva la tête et découvrit que Chester avait ouvert son cadeau et lui souriait d'un air bienveillant. Mara sourit, quelque peu déstabilisée par les livres envoyés par l'inconnu.
Le banquet vint ensuite, lorsque tout le monde eut ouvert ses cadeaux. Mara envoya les siens dans son dortoir à l'aide d'un Sort de Transportation et put se féliciter de ne pas avoir les trimballer dans toute l'école.
Pendant le banquet, Mara put remarquer que les élèves ne lui adressaient plus la parole avec la même aisance qu'ils l'avaient fait lors de leurs petits duels. Elle comprit immédiatement qu'ils avaient peur d'elle. Peur, parce que tous les proches de Mara finissaient par mourir. Elle les comprenait. Une des nombreuses qualités de Mara était qu'elle comprenait toujours tout le monde. Il lui était alors plus facile de pardonner. Elle avait compris Cédric lorsqu'il tentait de lui faire avouer ce dont elle était capable. Elle allait pardonner aux autres d'avoir peur d'elle, parce qu'ils avaient raison. Mais ce constat gâcha tout de même un peu sa journée.