Endlessly

By allomelanie24

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La passion est un ouragan ; quelque chose de sublime qui précède le chaos. C'est une histoire qui se termine... More

Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4
Partie 5
Partie 6
Partie 7
Partie 8
Partie 9
Partie 10
Partie 11
Partie 12
Partie 13
Partie 15

Partie 14

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By allomelanie24


On a rapidement eu un créneau pour le mariage et deux semaines plus tard, tu étais ma femme. Je crois que ni toi ni moi n'avions mesuré la puissance de ce qu'il venait de se passer et, pourtant, t'avais jamais eu un sourire aussi grand, pendant aussi longtemps. Il te suffisait même de regarder mon alliance pour qu'il revienne encore. Je me souviens encore de ce que tu portais comme si c'était hier ; c'était une jolie robe blanche en coton avec des roses brodées en bas. Les roses étaient blanches aussi et je ne les aurais certainement pas vu mais tu m'avais dit que c'était pour rappeler ce que j'avais dessiné sur ton ventre pour Marie. Tu l'avais acheté spécialement pour l'occasion et elle t'allait tellement bien. On aurait dit une petite princesse. T'étais si belle que t'as même pas eu droit aux regards déplacés, réservés à celles qui se marient enceinte. T'étais juste là, rayonnante, avec ta robe blanche et ta couronne de fleur dans les cheveux. On aurait dit un ange.

Jamie m'a souvent dit que ça aurait été bien d'officialiser tout ça auprès des autres, mais je lui avais rappelé que si je les voyais encore c'est parce qu'il arrivait qu'on se croise à des soirées qu'il organisait avec Suzanne. Je n'avais plus d'ami moi – et je le vivais très bien. On était trop enfermés tous les deux, peut-être. Mais on était heureux et c'était tout ce qui importait. Toi, Marie et moi. Tyson aussi, bien sûr, mais c'est toi qu'il aimait le plus alors ta présence lui suffisait amplement.

Les choses allaient bien, tu te souviens ? J'étais heureux avec toi, avec notre bébé en route et tous les projets qu'on avait pour la suite. L'argent du garage nous aurait suffit le temps de ton congé maternité mais je n'avais pas envie de me serrer la ceinture, Alice. J'avais pas envie de passer mes journées à bosser comme un chien, rentrer crevé et ne pas profiter de toi ou de Marie quand elle serait là. Pardonne-moi de ne pas t'avoir écouté, Alice. Pardonne-moi parce que si j'avais été bosser dans ce garage à la con, on n'en serait pas là aujourd'hui. Mais je t'assure que j'ai essayé. Trois jours. Trois jours qui m'ont rappelé pourquoi j'avais arrêté de cumuler trois petits boulots merdiques pour me mettre à faire ce que j'aimais le plus – et qui rapportait en une semaine que ce que je gagnais en un mois en tant que garagiste, caissier, et vendeur de journaux. Peut-être que j'aurais dû me forcer un peu plus, mais je ne voulais pas de cette vie tant qu'il y avait d'autres solutions. Tu n'étais pas stupide, t'avais bien compris que je n'avais pas arrêté les combats, car même si je ne rentais jamais dans un sale état, il arrivait que je me prenne des coups sur le visage. Tu n'as jamais rien dit et je ne sais pas ce que t'en pensais vraiment. T'ignorais juste la situation jusqu'à ce que tu ne sois plus capable de faire semblant.

J'ai redouté ce moment depuis que j'ai commencé à écrire, tu sais ? Et j'aurais aimé avoir encore un milliard de choses à raconter avant cette journée mais ce n'est pas le cas. C'est la fin du voyage et j'en ai mal au ventre, au cœur, aux yeux, puis à la gorge. J'ai mal partout et je n'ai aucun droit de m'en plaindre.

Je vais essayer de faire les choses dans l'ordre pour éviter de m'éparpiller mais si je m'écoutais, j'arrêterais d'écrire maintenant, juste histoire d'ignorer la suite – sauf que ce serait injuste. Sache simplement que, depuis ce jour-là, je n'ai plus jamais été capable de me regarder dans un miroir sans me dire que je méritais toute la souffrance que j'endure aujourd'hui.

Tu m'as réveillé tôt, ce matin-là. T'étais pas très bien et je crois que t'avais de la fièvre. Ça m'inquiétait parce que t'avais pas le droit de prendre de médicament à cause de la grossesse et que ton imbécile de médecin me soutenait que ça allait passer. J'étais en colère, Alice. Si tu savais à quel point je l'ai détesté.

« Vous savez, les femmes enceintes sont juste plus fatiguées que les autres, qu'il m'avait dit. Leur température est toujours un peu plus élevée que la moyenne. »

Mais je savais que ce n'était pas de la fatigue ou de la comédie. T'avais presque quarante de fièvre et je n'avais pas confiance en ce connard alors je t'ai emmené aux urgences.

Je ne sais pas comment t'as réussi à avoir la grippe, mais on m'a dit que j'avais bien fait de ne pas attendre. Que si on avait attendu, t'aurais pu avoir de sérieuses complications d'ordre respiratoire et que tu aurais certainement dû faire face à un accouchement prématuré. Ils t'ont gardé quelques heures, juste le temps que le traitement te soit correctement perfusé.

« Je veux rentrer. », t'as fini par me dire.

J'ai accepté parce que moi aussi je voulais rentrer, pour retrouver ton médecin et lui faire passer l'envie d'exercer. Je t'ai porté jusqu'à la voiture et j'avais été rassuré de voir que t'avais tout de même retrouvé tes couleurs. La fièvre tombait lentement et t'étais toujours extrêmement épuisée.

« On est trop lourdes toutes les deux, t'avais dit, sans pour autant desserrer l'étreinte autour de mon cou.

— Ne dis pas n'importe quoi. T'es trop fatiguée pour marcher. Tu vas te reposer à la maison. »

Tu n'avais plus parlé jusqu'à être de nouveau au lit. J'ai autorisé Tyson à monter à côté de toi pour qu'il te tienne compagnie le temps que j'aille à la pharmacie et, quand je suis revenu, tu pleurais à chaude larmes. Je t'ai serré contre moi mais t'arrivais pas à te calmer.

« J'ai plus envie d'être enceinte. Je veux qu'elle arrive maintenant. », t'as dit.

Je caressais tendrement ton ventre, comme si ça pouvait t'apaiser.

« Plus que cinq semaines, mon cœur. T'es dans ton huitième mois, ça va aller vite maintenant.

— Mais j'ai plus envie...

— Bon... D'accord. Viens, alors.

— Hein ? »

T'as eu l'air surprise par mon faux air sérieux.

« Viens. On va à l'hôpital, je fais une pancarte "je ne sors pas sans ma fille" puis on campe là-bas le temps que tu sois prise en charge. »

T'as éclaté de rire et ça m'a fait un bien fou.

« T'es stupide, Adam. On ne peut pas faire ça.

— Ah bon ? Mais c'est pas ce que tu voulais ?

— Tais-toi, t'as dit en riant.

— Tu veux bien être enceinte encore un peu alors ?

— Hm... ouais. Un peu. Mais je veux un câlin et des chips. »

Et comme tu voulais tes chips avant ton câlin, j'ai été te les chercher avant de te laisser te blottir contre moi.

On a eu une petite heure d'accalmie avant que la fièvre ne te reprenne que je sois à nouveau perdu. C'était insupportable, Alice. T'as pas idée à quel point. J'en pouvais plus de t'entendre pleurer sans pouvoir y faire quelque chose à par te regarder et passer un peu d'eau sur ton visage. J'aurais dû rester prêt de toi, Alice, je le sais aujourd'hui, mais je n'en ai pas été capable. J'ai pas réussi parce que j'étais en colère contre ton médecin, les urgences et leurs médicaments de merde, ta fièvre qui te pourrissait la vie et mon impuissance face à la situation qui me rendait dingue.

Après un moment, t'avais réussi à t'endormir pendant un bon quart d'heure et, comme t'avais l'air partie pour la nuit, j'avais l'intention d'aller courir avec Tyson pour calmer mes nerfs puis... j'ai reçu un message de Daisy pour un combat.

Alors j'y suis allé.

Je t'ai laissée seule et j'ai été me battre avec la ferme intention de faire payer à celui que j'aurais en face de moi toute cette journée de merde qui ne semblait pas avoir de fin. J'aurais dû rester, je le sais maintenant. Mais c'est trop tard, pas vrai ?

Je serais incapable d'expliquer si t'as trouvé le temps long ou si c'est moi qui suis parti trop longtemps ou si tu t'es réveillée complètement perdue de ne pas me voir (j'avais laissé un mot pourtant) mais t'as commencé à t'inquiéter – du moins, c'est ce que j'en ai déduit. T'as essayé de m'appeler à plusieurs reprises mais j'ai pas entendu. T'as même tenté de me joindre sur mon portable réservé à la boxe alors que tu pensais que je n'en avais plus l'utilité, que la ligne était coupée. Mais ça a sonné et t'as entendu ma voix sur le répondeur. C'est là que t'as compris.

T'avais plus le droit de conduire mais t'as quand même pris le volant et t'as conduit jusqu'au gymnase où t'étais venue me chercher la fois où Daisy t'avait appelée. Je me demande souvent pourquoi t'as décidé de faire ça ce jour-là, qu'est-ce qu'il t'était passé par la tête pour que tu fonces alors que t'étais enceinte jusqu'aux yeux et malade comme un chien. Est-ce que c'était de ma faute parce que t'étais tellement énervée et déçue que ça ne pouvait pas attendre une heure que je revienne ? Est-ce que malgré Marie, t'avais toujours besoin de me confronter à mes erreurs, ou t'avais juste tellement besoin de moi que t'as préféré prendre le risque ?

T'es entrée dans le gymnase et je ne t'ai pas vu tout de suite. J'allais bientôt passer et la colère montait encore et toujours. C'est quand j'ai entendu Daisy me murmurer un truc que mon sang n'a fait qu'un tour.

« Y a Marie.

— Hein ?

— Ta copine, Marie. C'est comme ça qu'elle s'appelle, non ? Je savais pas que t'allais être papa, félicitations. »

Je t'ai cherché des yeux, Alice, mais toi tu m'avais déjà vu et t'avais compris. J'ai à peine aperçu tes cheveux que t'étais déjà en train de disparaître à l'extérieur.

« Fait chier ! »

J'ai couru après toi mais t'étais déjà en voiture alors j'ai pas eu d'autres choix que de rentrer. Je sais pas comment t'as fait mais t'es malgré tout arrivée avant moi. J'avais à peine quitté ma voiture que t'étais déjà en train de me hurler dessus en pleine rue, dans notre allée.

« Des combats clandestins ? Bon sang, Adam mais c'est ça la boxe ? C'EST ÇA ?

— Alice...

— NON !, t'as hurlé en me repoussant pour éviter que je ne te touche. Tu m'avais dit que t'allais arrêter la boxe et j'apprends que tu faisais en réalité des combats clandestins ? Mais mon dieu, Adam ! Pourquoi t'as pas choisi la drogue comme tout le monde, hein ? »

Tu me bousculais, encore. Puis tu criais si fort que les voisins commençaient à regarder par la fenêtre.

« Il suffit d'un coup pour que tu sois paralysé ou pire et.. mais tu vas être papa, enfin ! À quoi est-ce que tu penses ?

— C'est de l'argent facile, c'est...

— Je m'en fous de l'argent ! Tu comprends ça ?!

— Pas moi. Ça me permet de passer du temps avec toi et je n'ai pas envie que ça change juste parce que je vais bosser comme un chien dans un garage à la con ! »

Aujourd'hui encore je cherche à comprendre pourquoi t'as fait ça, mais tu m'as giflé et je te l'ai rendu instantanément. Je n'aurais pas dû mais j'ai pas supporté que tu recommences à me provoquer comme ça. Je n'avais pas pu évacuer toute la colère que je contenais en moi depuis le matin et je voyais tellement rouge que c'est la seule réaction que j'ai su avoir quand tu m'en as mis une.

« Sérieusement ?, t'as dit avec une main sur ta joue endolorie.

— Arrête, Alice. Rentre à la maison, t'es fatiguée.

— Arrête ? C'est ça que tu viens de dire ? »

Y avait une telle insolence dans ta manière de me parler, je t'assure que c'était insupportable.

« Tu viens de me gifler et tu veux que je rentre ? Mais pauvre débile, ouais !, tu t'es exclamée en me poussant à nouveau. T'es qu'un menteur, Adam ! T'entends ça ? Bon sang mais ça fait combien de temps que tu me prends pour une imbécile, hein ? Ça fait combien de temps que tu...

— Tais-toi, Alice. »

Mais t'as pas arrêté, t'as continué en hurlant et en me bousculant. Comme j'ai continué de répondre, le mari de la voisine qui s'est approché avec l'intention de se mettre entre nous.

« Tout va bien, Alice ?, il a demandé.

— Mais oui, tout va bien ! Rentre chez toi ! », j'avais répondu, agacé.

Mais c'était vers toi qu'il était tourné et t'as osé me provoquer jusque là.

« Est-ce que je peux venir chez vous le temps que ma sœur vienne me chercher ? »

J'ai lâché un rire nerveux. Tu te servais souvent d'Annabelle pour m'aider à franchir la limite et là, t'étais vraiment pas loin.

« Arrête ça, Alice.

— Ah oui ? Tu veux que j'arrête ? Mais est-ce que tu sais ce que ça veut dire, même ? »

J'avais les dents tellement serrées que je savais que le coup allait partir. Je n'arrivais même plus à te voir comme ma femme, la mère de mon bébé à venir ou mon Alice ; t'étais juste cette peste qui souriait en me poussant dans mes derniers retranchements.

« Tu vas m'empêcher d'y aller peut-être ?

— Bien sûr que oui, j'ai rétorqué en t'attrapant fermement par le bras.

— Adam, lâche-là ! », a menacé le voisin.

Comme ce pauvre connard a osé te toucher pour te dégager de mon emprise, j'ai pété un câble en lui décrochent un coup de poing dont il devait se souvenir encore aujourd'hui.

« Adam !! », t'as hurlé pendant qu'il traversait la rue en courant, certainement pour aller chercher un autre voisin – ou prévenir les flics.

J'allais lui courir après mais tu m'as bousculé si fort que mon seul réflexe a été de te pousser avec la même force.

J'ai vu la voiture arriver, Alice. Il roulait trop vite pour respecter les limites de vitesse et j'ai immédiatement tendu le bras pour te rattraper sauf que tu n'avais pas envie que je te touche ; t'as fait encore quelques pas en arrière pour essayer de récupérer ton équilibre mais t'as pas réussi. J'ai eu beau hurler de toutes mes forces, c'était trop tard.

Je t'ai vu rouler sur le capot puis t'écraser au sol. Inerte.

J'aimerais tellement pouvoir dire que je ne me souviens de rien. Qu'il y a un trou noir jusqu'à ton arrivée à l'hôpital, mais c'est faux, je n'ai rien oublié. C'est triste parce que c'est probablement de cette scène là dont je me souviens le plus en détails, peut-être parce que c'est la plus récente aussi ?

Je revois encore le gros 4x4 noir arriver à vive allure, le genre de bagnole qui donne absolument aucune chance aux piétons, et pourtant il roulait comme un dingue dans une zone résidentielle. Il ne s'est même pas arrêté ce connard. T'as volé sur plus de cinq mètres, et lui, il a juste accéléré un peu plus pour pouvoir s'enfuir. T'avais atterri sur le trottoir d'en face et la vision de cette scène me hante encore la nuit. Y a rien de poétique à voir la femme de sa vie étendue sur le sol et baignant dans son sang. Je me suis précipité pour m'assurer que t'allais bien, que comme dans les films, t'allais te relever et me sourire mais t'as rien fait de te tel. T'as simplement attendu que je me laisse tomber à genoux à tes côtés pour tourner la tête vers moi. Lentement.

Pendant un instant, j'y ai cru. J'ai cru que notre amour était tellement fort qu'il pouvait défier absolument tout, y compris la mort. T'avais un pâle sourire sur tes lèvres parce que j'étais là, et je sais que c'est moi que tu voulais voir. J'étais-là. Je ne t'ai jamais abandonnée. Sauf que j'ai fini par réaliser que tout ça s'était vraiment passé et que t'allais mal. Les voisins ont commencé à s'agiter dans tous les sens et à s'occuper de prévenir les secours pendant que je ne te quittais pas des yeux. Je ne pouvais pas te déplacer parce que ça aurait été trop dangereux mais j'avais pris tes mains dans l'espoir que ça te tiendrait éveillée aussi longtemps que possible.

« Marie... », t'as murmuré doucement.

Mais comment est-ce que tu voulais que je pense à Marie quand y avait du sang partout sur toi, Alice, hein ? C'est toi que je voulais. Toi. Et c'est idiot mais j'ai repensé à la fois où Tyson m'avait mordu, quand tu t'étais retrouvée avec mon sang sur les mains, et j'ai compris. J'ai compris à quel point c'était insupportable, à quel point je ne voulais plus jamais que ça arrive.

« J'entends les secours. Tu les entends, hein ? Ils arrivent, Alice. Ça va aller. »

Mais ton regard se perdait dans le vide et j'avais beau te hurler de continuer de m'écouter, t'y arrivais pas.

« Alice bon sang ! Mais ouvre les yeux ! »

Tu réagissais à peine à mes appels.

« J'arrêterai pas. », t'as faiblement articulé.

J'ai froncé les sourcils et je me suis concentré pour tenter d'entendre ce que tu disais.

« Pas arrêter de quoi, mon cœur ? », j'ai répondu.

T'as souri, comme si ça te semblait logique, comme si tu commençais à avoir moins mal.

« Pas arrêter de quoi ?, j'ai répété.

— De t'aimer, t'as répondu avec un pâle sourire. Au cas où t'oublies. »

Mes yeux se sont remplis de larmes et quand les secours sont enfin arrivés, ils t'ont arraché à moi. C'était horrible, Alice. Je t'assure que je ne voulais pas te laisser et j'avais beau hurler et tenter de m'approcher encore, c'était impossible. T'as rapidement été embarqué et ils ont accepté de me laisser monter dans l'un des camions. Pas le même que le tien mais je suis arrivé en même temps que toi. J'ai voulu te suivre au bloc, mais j'ai pas eu le droit et c'était stupide parce que t'avais besoin de moi. Marie aussi. Sauf qu'au lieu de me laisser auprès de vous, ils m'ont collé dans une salle d'attente avec des flics qui n'arrêtaient pas de me poser des questions sur le chauffeur. Putain qu'est-ce que j'en avais à foutre moi, hein ? J'ai vu ton état, j'ai vu le silence des médecins et eux venaient me casser les couilles avec le connard qui t'a renversé ?

La porte s'est ouverte au bout d'une demi-heure, seulement. J'ai fondu sur le médecin et il avait cet air désolé, celui que les mauvais acteurs ont dans toutes ces séries médicales que tu détestais.

« Vous voulez la voir ?, il a demandé, et j'ai éclaté en sanglots tellement j'étais soulagé.

— Oui. Oui bien sûr ! Comment est-ce qu'elle va ? »

J'arrivais même pas à parler sans manquer de m'étouffer.

« Malheureusement... Ce n'est pas encore gagné. Elle est très petite et le choc a été très violent. »

J'ai froncé les sourcils et je me suis arrêté dans le couloir ; on n'avait pas l'air de parler de la même chose.

« Vous aviez choisi un prénom ?, qu'il m'a demandé.

— Putain mais de qui vous parlez, vous ? Elle est où Alice ?

— Je suis désolé, Mr Knight.

— Désolé ? Comment ça vous êtes désolé ? Mais elle est où bordel de merde ?! »

Il a posé une main sur mon épaule et je me suis décalé. Je n'avais pas envie qu'il me touche, ce pauvre connard.

« Votre femme n'a pas survécu à ses blessures. L'hémorragie était trop importante. »

J'y ai pas cru, Alice. Tellement pas que j'ai rigolé.

« Excusez-moi, j'ai mal compris.

— Pour l'instant votre fille est dans un état stable mais...

— Où est Alice ?

— Encore au bloc. Il y a plein de papier à préparer et je pense que votre fille à besoin de vous.

— MAIS JE LA CONNAIS PAS, ELLE ! », j'ai hurlé avant de pleurer encore.

Si tu savais comme j'ai eu mal, Alice. Il était désolé mais j'en voulais pas de sa compassion. C'est toi que je voulais. Toi et personne d'autre. Et il n'était pas foutu de me lâcher avec ce bébé. Ça me rendait dingue.

« Vous aviez choisi un prénom ? », il a répété.

Et c'est là que j'ai percuté : ce bébé, c'était notre fille.

« Marie. Oui, oui, elle s'appelle Marie. Marie Knight.

— D'accord, il m'a dit. Est-ce que vous voudriez la rencontrer ?

— Oui. Je veux. Mais je veux voir ma femme ensuite.

— On va s'arranger. Suivez-moi. »

Je l'ai suivi en silence. Marie était dans une couveuse et elle était si belle, Alice. Je t'assure que tu serais tombée amoureuse. Puis elle te ressemblait, tellement. Le même petit nez, les mêmes lèvres fines. J'aurais pu rester des heures à la contempler, mais elle était trop petite et le choc de la voiture l'avait privée d'oxygène trop longtemps. Ils ont fini par me faire sortir dans la précipitation avant de se poster à nouveau devant moi avec leur air sincèrement désolé pour m'annoncer qu'elle aussi, elle était décédée. J'ai détesté le monde entier, Alice. Mais de tous, c'est moi que je détestais le plus.

« Avez-vous des gens à prévenir, Mr Knight ?

— Non, j'ai d'abord répondu, par habitude sans doute, mais j'ai réalisé que toi, t'avais du monde à prévenir et que tu pouvais pas le faire toute seule, que tu pourrais plus. Si. Oui, oui. J'ai du monde.

— Voulez-vous qu'on le fasse pour vous ?

— Oui. Il y a ses parents, sa sœur..., j'ai dit en éclatant en sanglots à nouveau. Mon frère aussi, enfin Jamie. Mais c'est mon frère.

— D'accord. Laissez-nous quelque chose avec les numéros et nous allons nous en charger pendant que vous remplissez ces papiers-là.

— Merci. »

J'ai sorti mon portable pour les numéros et j'ai tout noté sur une feuille.

« S'il vous plaît... Ne leur dites pas pour Marie. Qu'elle a vécu quelques instants. Ce serait trop dur. »

Il a eu l'air de comprendre et j'ai pris sur moi pour me déconnecter de la réalité et agir comme un robot. J'ai rempli tous les papiers. J'ai enchaîné avec l'organisation de l'enterrement et tout un tas de trucs que je n'aurais pas pu faire le lendemain si j'y avais réfléchis ne serait-ce qu'une seconde. Je ne réalisais pas, Alice. J'avais mal à en crever mais je n'avais pas encore compris.

Les flics sont revenus à la charge pour me poser quelques questions, mais ils n'arrivaient à rien alors ils m'ont proposé de me ramener.

« On repassera demain en fin de journée. Ça ira ?

— Ça n'ira plus jamais maintenant. », j'ai répondu machinalement et j'ai fermé la porte sur lui.

Je suis resté face à la porte pendant longtemps, Alice. Je n'avais pas la force de me retourner, de voir un endroit que t'avais déserté en colère pour ne plus jamais y mettre les pieds. Mais quand Tyson est venu se coller dans mes jambes, j'ai réalisé qu'il n'allait plus avoir personne à défendre et ça m'a détruit encore plus.

C'est ton père qui a essayé de m'appeler en premier, mais j'ai pas répondu. J'arrivais pas à parler – et j'en n'avais même pas envie. Je ne voulais pas que ce soit réel alors j'ai commencé à m'inquiéter pour toi. Parce que tu ne rentrais pas et que t'étais enceinte. J'ai commencé à m'imaginer tout un tas de trucs horribles qui auraient pu t'arriver et j'en ai eu mal à l'estomac. J'ai essayé de t'appeler mais quand ton portable s'est mis à sonner dans le sac à main que j'avais ramené, j'ai eu envie de mourir encore plus. Ta voix sur le répondeur restait la même et je me demandais comment est-ce que c'était possible de t'entendre parler ici alors que tu parlerais plus jamais. Je regardais l'alliance que j'avais récupéré, ton alliance, et je me demandais bien ce que cet anneau représentait maintenant, si tu ne pouvais plus le regarder en souriant à t'en décrocher la mâchoire.

Quand Jamie est arrivé, il n'a même pas sonné. Il est simplement entré dans la maison avec Suzanne et leur visage décomposé m'ont empêché de continuer de croire à mon mensonge – alors j'ai pleuré. Encore. Comment est-ce que je pouvais survivre à ça, Alice ? Comment est-ce que tu voulais que j'avance si je n'avais plus de repères ?

« J'ai eu Annabelle au téléphone, m'a dit Suzanne ; sa voix vacillait tant que j'en avais mal au ventre. Elle a pas l'air de se rendre compte. Elle parlait du bois pour le... »

Elle s'est arrêtée, désolée. J'ai ravalé la boule dans ma gorge et essuyé mes yeux.

« J'ai tout organisé, j'ai soudainement dit.

— Quoi ?

— L'enterrement, tout. J'ai tout organisé.

— Oh, Adam... Pourquoi tu ne nous as pas attendu, on t'aurait..

— Non. C'est à moi de le faire et demain ou les jours suivants, j'aurais pas pu. Je ne voulais pas qu'Annabelle s'en mêle. Alice est ma femme. »

Suzanne est restée silencieuse un moment.

« Elle était effondrée, tu sais ?

— Et je le suis aussi. La différence entre elle et moi c'est que je vivais avec Alice tous les jours et que la dernière fois qu'Annabelle a pris des nouvelles de sa sœur enceinte c'était... oh, attends ? Jamais ! »

Si la colère commençait à m'envahir, ce n'était pas vraiment bon signe.

« Vous devriez partir.

— Adam... Tu ne devrais pas rester tout seul, m'a dit Jamie.

— Ah oui ? Et J'emménage avec vous jusqu'à la fin des temps ? J'irais jamais mieux, Jamie ! C'est pas juste ce soir ou demain !

— Au moins ce soir, non ? »

J'ai serré les dents.

« Merci d'être venus. Mais maintenant j'aimerais rester seul. »

Suzanne s'est levée mais Jamie m'a regardé un moment, sans rien dire.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé, Adam ? Tu l'as vu ? »

Je n'ai pas répondu ; pas parce que j'avais honte, parce qu'il ne serait pas capable d'entendre la réponse maintenant.

« La police a téléphoné à Annabelle.

— Jamie ! C'est pas le moment !, a soupiré Suzanne, mais Jamie ne l'écoutait pas. Ils ont téléphoné à Annabelle parce que des voisins ont raconté que vous étiez en train de vous disputer.

— Jamie, j'aimerais que tu sortes, j'ai difficilement articulé.

— Ils disent que pendant que vous vous disputiez, tu l'as giflée, tu l'as bousculée. Et que tu l'as poussée sous les roues de la voiture. »

De nouveau, mes yeux se sont emplis de larmes et j'ai baissé la tête. C'est de ma faute si t'es plus là, Alice, c'est là que je l'ai compris. C'est pas le conducteur le fautif. C'est moi.

« Les flics vont venir, Adam. Ils vont venir parce que c'est Annabelle qu'ils ont eu en premier au téléphone.

— Jamie, mais qu'est-ce que tu fais ?, s'est inquiétée Suzanne sans qu'il ne l'écoute.

— Tu devrais certainement te préparer à de la garde à vue. »

J'ai vu tellement de tristesse dans son regard que mon cœur s'est encore plus serré. J'ai hoché la tête en silence.

« Est-ce que.. si jamais ça arrive ? Vous pourriez prendre Tyson ? Je veux pas qu'Annabelle le récupère ou n'importe qui d'autre.

— Bien sûr. »

C'est Suzanne qui a répondu ; je pensais qu'elle me détestait, qu'elle s'énervait à moitié parce que Jamie me prévenait de l'intention de la police et qu'il n'aurait pas dû, mais ce n'était pas le cas. Elle semblait être de mon côté, peut-être qu'elle comprenait mon désire de solitude.

« Laisse-nous une liste de ce que tu veux qu'on récupère absolument, des trucs à Alice. Ou à vous.

— Merci, Suzanne. »

Elle n'a rien ajouté. Elle s'est approchée de moi pour me serrer dans ses bras puis Jamie en a fait tout autant.

« Ça va aller, Adam. »

Mais il savait qu'il mentait. Ça n'irait plus jamais maintenant ; y a qu'à voir d'où j'écris cette lettre pour comprendre que les choses vont mal.

Les flics ne sont pas venus le lendemain. Ni même le jour d'après et j'aurais aimé avoir oublié les jours qui ont suivi ta mort mais c'est faux. Je me souviens de tout, de chaque secondes : mes pensées, mes sensations, le manque, ton absence... Je n'avais rien pour atténuer cette douleur, ce trou noir dans ma poitrine qui semblait m'aspirer de l'intérieur. Tu venais de mourir et j'avais l'impression qu'une partie de moi était morte avec toi. Je ne vivais plus – pas entièrement en tout cas.

J'ai rapidement essayé de combler ton absence. Je passais mon temps dans notre lit, à ta place. J'ai refusé de changer les draps parce que, parfois, quand j'entrais dans un demi-sommeil, j'étais persuadé d'y retrouver ta chaleur, comme si on était le matin et que tu étais juste partie prendre ta douche. Trois secondes de soulagement avant la chute brutale : t'étais pas partie prendre ta douche, t'étais partie tout court. Alors je serrais ton coussin contre mon torse, comme un pansement, comme s'il allait combler tout ce vide que t'avais laissé. Mais ça ne me soulageait pas et mes larmes ont fini par effacer ton odeur. Puis ton pyjama est redevenu mon t-shirt et c'était insoutenable. Je me douchais avec tes savons, ton shampoing. Je cherchais ta présence dans chaque chose que j'entreprenais. Je voulais atténuer ton absence avec des brides de toi. Ton odeur surtout. Et ça me donne envie de vomir d'y repenser Alice, parce que ton odeur, je m'en souviens pas aujourd'hui. J'ai vidé des bouteilles et des bouteilles de ton parfum dans le but de la retrouver. Mais c'est que ton parfum, c'est pas toi, c'est pas ton odeur. C'est pas celle que je respirais quand j'embrassais ta peau après avoir fait l'amour, pas celle qui emplissait mon nez quand je te prenais dans mes bras et que tu refusais de me lâcher. C'était pas toi. T'étais plus là et je n'avais personne d'autres à blâmer que moi-même.

Le pire ? C'est quand j'ai tenté de me rappeler du son de ta voix et que je me suis rendu compte que j'y arrivais pas. Elle était un peu roque, non ? Non, ça c'était ton rire avant de partir dans les aigus. Puis comment elle était quand tu t'énervais ? Un peu froissé je crois, tu retenais toujours tes sanglots. Mais j'en suis plus sûr, peut-être que tu te pinçais juste les lèvres pour éviter de dire des choses que tu regretterais. Ou alors c'était quand je te complimentais et que tu ne savais pas comment réagir ? Ouais, c'était là que ta voix partait dans les aigus. J'en sais rien. Je sais plus. J'ai regardé des vidéos, mais t'avais jamais la même voix, toujours trop grave, ou pas assez douce, jamais aussi belle que dans mes souvenirs. J'ai commencé à oublier le son de ta voix. Puis ta façon de prononcer mon prénom. J'ai me suis même dit qu'un jour, je t'aurais oublié entièrement. J'ai commencé à avoir vraiment peur, Alice. J'ai toujours pensé que le plus horrible dans la mort c'était le manque qui se créait pour les personnes qui restent. Mais non, le plus horrible, c'est l'oubli. T'as commencé à devenir un fantôme, un véritable fantôme. Tout ce que j'aimais chez toi m'échappait, je devais passer par des photos, des vidéos, les habits qui t'appartenaient pour avoir la sensation d'être toujours un peu à toi et toi à moi ; mes souvenirs ne me suffisaient pas. Je commençais à avoir peur, à ne plus faire confiance à mémoire. Est-ce qu'on a vraiment décidé d'avoir un enfant ensemble ? Ou est-ce que c'est ma culpabilité d'avoir un jour douté que je puisse faire des plans de vie avec toi qui modifie mes souvenirs ? Et dans ton thé, c'était un ou deux sucres ? Et ta chanson préférée ? C'est pour ça aussi que je t'écris. Pour ne plus oublier, pour ne pas t'oublier et qu'un jour tu deviennes simplement un de mes vieux souvenirs douloureux et un peu flou que j'aurais rangé au fond d'un placard. J'ai toujours mal. Toujours. Ça ne s'en va pas. Mais la douleur commence à prendre le dessus sur tous les bons souvenirs que j'ai de toi. Et tu deviens désagréable. Parce que quand je pense à toi je ne me souviens que de la douleur, du manque, du vide. Je ne me souviens pas à quel point j'aimais ton rire, tes "je t'aime" et tes baiser. Je me souviens d'avoir aimé tout ça de toi. Et ça me fait encore plus mal que de t'avoir tué. Je t'ai volé la vie et ma mémoire supprime ce qui reste de toi en moi.

Trois jours, à peine. Trois jours et je t'oubliais déjà. Comment est-ce que t'allais réussir à continuer dans mes souvenirs le restant de mes jours ? J'étais terrifié, Alice. T'étais plus là et tout ce qui me restait de toi disparaissait. Et cette triste vérité me frappe encore aujourd'hui quand j'écris cette lettre. J'ai pas tout oublié, certaines de nos conversations sont encore très claires dans ma tête, mais le reste alors ? Je ne sais plus. J'ai des bribes, des flashs et des paroles qui me reviennent en mémoire, mais c'est vrai ? Ou c'est juste mon imagination et mon besoin de rajouter du contenu à ton absence ? Non, c'est vrai. Je me souviens de tout ça. On l'a vécu tous les deux. "Elle est partie mais elle est toujours présente en chacun de nous", aurait dit le pasteur ; que des conneries. Le temps t'efface un peu plus chaque jour et t'es présente nulle part ailleurs.

Je quittais rarement notre lit et je fixais le plafond pendant des heures. Je ne sais pas ce que j'attendais. Un signe peut-être ? De qui ? Pas de Dieu, j'avais renoncé à lui y a bien des années. De toi ? J'ai jamais cru aux différentes hypothèses d'une vie après la mort et à ce moment-là j'étais loin de croire à l'idée de ta disparition. J'étais vide. Complètement vide. Aucune pensée, aucune émotion, rien. Et peut-être que c'est ça que j'attendais : ressentir quelque chose.

Je ne croyais plus en rien à ce moment-là. La vie, la mort, l'absence, le doute, l'amour. Qu'est ce qu'on est ? Est-ce que tout ça est réel ? Est-ce que j'existe ? Puis c'est quoi exister ? Pourquoi faire ? J'avais la désagréable impression que rien n'avait de sens, que ma vie et tout ce sur quoi je l'avais fondée était un mensonge. Tu disparaissais et j'avais l'impression de disparaître avec toi. Mais toi t'es morte et moi je respire encore. Et on ne peut pas disparaître quand on respire, même difficilement, même écrasé par le poids de la culpabilité.

T'es pas morte. T'es pas morte. T'es pas morte.

Je me le répétais en boucle. Et encore maintenant, quand je me réveille en pleine nuit parce que t'as envahi mes cauchemars, je me le répète jusqu'à ce que je me rappelle. T'es pas morte. T'es pas morte. T'es pas morte.

Je ne voulais pas de ta mort. Je ne voulais pas de ton absence. Je n'arrivais pas à réaliser ce que ça impliquait. Ce poids lourd au fond du cœur qui ne m'a jamais quitté, je crois que c'est le pire. Tu manques à mon cœur, tu manques à mon monde. T'étais la seule et unique chose que je voulais. Toi. Rien que toi.

Et maintenant j'attends tous les matins que tu viennes me réveiller en collant tes pieds froids contre mes mollets. Je m'attends à retrouver ta serviette de bain traîner par terre quand je rentre dans la salle de bain. J'attends que ton rire se répercute en écho dans toute la pièce. Je t'attendstoi. Que tu reviennes. Je ne peux pas m'empêcher de t'attendre même si je t'ai vu par terre et que je sais que ce n'est pas une blague. Mais le soir, assis sur le canapé je prépare deux cafés, je mets la table pour deux et je dors que de mon coté du lit.

Je n'ai pas vécu comme ça très longtemps – parce que l'autopsie terminée, les flics se sont pointés à ma porte et que je me suis retrouvé accusé d'être en parti responsable de ta mort – mais c'était atroce le temps que ça a duré. Une semaine ? Deux ? Je n'en ai plus la moindre idée.

T'es plus là, j'étais traité comme un chien en garde à vue, mais ce n'était visiblement pas suffisant comme punition. Ils n'ont pas voulu que j'assiste à ton enterrement parce qu'en t'ôtant la vie, j'en avais perdu tous mes droits ; celui de t'aimer, celui d'être un peu à toi. Tu disais souvent qu'ils ne nous comprenaient pas, qu'ils n'avaient jamais essayé et que toi, t'en avais marre de leur expliquer. Mais peut-être qu'on aurait dû un peu se forcer, juste histoire que je ne me retrouve pas avec des "désolés" que je ne pourrais jamais prononcer.

J'ai jamais quitté la garde à vue, Alice. Quand j'étais là-bas, Annabelle est venue chez nous. Elle a fouillé partout et elle a trouvé nos photos. Elle les a toutes rassemblées et elle les a emmenées avec elle. Jamie était déjà venu récupérer Tyson, nos alliances et notre livret de famille. Je sais très bien qu'Annabelle s'en serait débarrassée si elle était tombée dessus et j'y tenais trop. Tout comme à toutes ces photos que t'avais prises et qui étaient tombées entre ses mains.

T'avais pas jeté les photos de tes bleus et je t'assure que je ne t'en veux pas. Je t'assure que c'est bien mieux comme ça, mais tu te doutes qu'elle s'est empressée de débarquer chez les flics. Je l'entendais hurler de la cellule où j'étais et c'était très moche. Elle est venue porter plainte contre moi. Elle est venue révéler au monde entier que t'avais été maltraitée pendant presque deux ans et que lorsque j'avais enfin vu l'occasion d'en finir avec toi, je t'avais poussé sous la voiture. Elle a prétendu qu'elle était au courant de tout, que tous les mardis, tu venais te plaindre et exposer tes bleus. Elle a prétendu que tu vivais dans la peur, que je te menaçais et que c'était pour ça qu'on s'était mariés, que je ne t'avais pas laissé le choix.

Elle a contacté les journaux, les chaînes de télévison. Elle a rendu cette affaire tellement publique que les flics n'ont pas eu d'autre choix que de la croire. J'étais dévasté, Alice. J'avais perdu ma femme et ma fille et j'étais accusé d'homicide. Je risquais bien plus que l'enfoiré qui n'avait pas su être maître de son véhicule. Et "bien plus", tu sais ce que c'est dans notre Etat ?

C'est la peine de mort.

Alors j'ai décidé d'être lâche. J'ai décidé de me taire et de laisser Annabelle se venger. Je suis désolé parce que t'aurais certainement pas voulu ça pour moi, comme j'aurais pas voulu ça pour toi si les rôles avaient été inversés. T'aurais certainement voulu que je me batte pour que notre amour ne soit pas traîné dans la boue aux yeux du monde mais j'y arrivais pas, Alice. Comment est-ce que tu voulais que je me défende alors qu'ils m'offraient la solution pour te rejoindre au plus vite ?

Je n'ai plus parlé.

Lorsque j'ai été transféré dans une prison, j'ai eu un avocat commis d'office et il n'a jamais rien pu tirer de moi. T'étais la seule personne à qui j'avais envie de parler et c'était impossible. Tu me manquais tellement qu'il m'arrivait de manquer d'air lorsque tu occupais trop mes pensées. Je passais mon temps à chercher mon souffle et à souffrir en silence pendant que je voyais mon avocat s'arracher les cheveux.

Il était persuadé qu'Annabelle mentait et que je ne méritais pas ce qui me pendait au nez. Il ne savait tellement plus comment me faire réagir qu'il a contacté ton père.

« Peut-être qu'à l'homme qui a perdu sa fille, vous accepterez de dire la vérité. »

J'ai vécu des choses difficiles en prison, c'est sûr. Mais la venue de ton père a fait partie des plus dures. Tu sais à quel point je l'estimais, à quel point j'étais fier de ce qu'il pensait de moi. J'espérais qu'il m'aurait laissé le bénéfice du doute, mais toi partie, il ne lui restait plus qu'Annabelle. Il a été obligé de la croire un peu, il avait besoin d'un coupable. La vie ne lui aurait pas dérobé son trésor aussi simplement qu'avec un accident. Tu étais la prunelle de ses yeux, Alice. Il fallait que ce soit plus compliqué que ça – et j'étais l'explication de ce drame.

Quand il est entré dans la salle, il avait les traits tellement tirés que tu ne l'aurais pas reconnu. Il avait pris dix ans en l'espace de quelques mois et je savais qu'il me détestait. Je le lisais dans ses yeux. L'ambiance est devenue tellement lourde que j'ai cru étouffer au milieu de toute cette rancœur et de toute cette haine. Il avait tant de chagrin, Alice ; j'en ai eu le cœur brisé.

« Je suis désolé. », j'ai réussi à articuler.

J'ai toujours cru que t'étais le portrait craché de ta mère mais quand j'ai eu ton père en face de moi, je te retrouvais dans tant de mimiques que j'aurais voulu qu'il sorte.

« Désolé ? Je t'ai confié ma fille, Adam ! Je t'ai confié ce que j'avais de plus précieux au monde et c'est comme ça que je suis remercié ? Je t'ai fait confiance et je t'ai laissé faire partie de ma famille. Je t'appréciais tellement que j'ai rien vu. »

Sa voix vacillait tant que j'ai été incapable de définir si c'était de la rage ou de la tristesse. Je le regardais parce que je ne pouvais pas lui manquer de respect en me mettant à fixer le sol mais j'avais mal, moi aussi. Je voyais flou et plus il parlait, plus je te retrouvais en lui et plus tu me manquais. J'y arrivais pas, Alice. Je voulais qu'il sorte mais il avait le droit de souffrir. Il avait le droit d'essayer d'oublier qu'il avait mal en se déchargeant sur moi – alors je l'ai laissé faire. Je l'ai laissé me reprocher tout ce qu'Annabelle avait inventé et quand il a été épuisé de hurler, quand il n'avait plus de souffle et qu'il avait compris que je n'avais pas l'intention d'ouvrir la bouche, il s'est mis à pleurer.

Je crois qu'au fond, la prison m'arrangeait un peu ; je n'avais plus à espérer ta présence dans les endroits que je côtoyais. Le salon, notre chambre, le supermarché... Je n'avais plus ce pincement au cœur à l'espoir de te retrouver derrière une porte. T'avais disparu, et quand on m'a enfermé, j'avais nulle part où te chercher. Mais pas ton père. Ton père était bloqué avec ton fantôme qui planait au-dessus de sa tête et sa culpabilité le prenait à la gorge. Lui aussi, il avait son propre "et si" ; et s'il avait écouté Annabelle, est-ce qu'il souffrirait autant aujourd'hui ?

« Je pensais qu'elle était heureuse avec toi. »

C'est sans doute ce qui m'a fait le plus mal parce que t'étais heureuse, Alice. Mais t'étais plus là pour le lui assurer.

« J'ai parlé aux médecins, Adam. »

Sa colère était passée. Je crois qu'il m'accordait enfin le bénéfice du doute. Peut-être parce que je n'avais pas pu retenir mes larmes et qu'il avait compris que je souffrais autant que lui ? J'en sais rien. J'aurais préféré qu'il quitte la pièce parce que je n'avais pas envie de l'obliger à le faire.

« Ils m'ont dit comment ça s'était passé. Ils m'ont parlé de toi, de Marie. »

Cette fois-ci, j'ai été incapable de continuer de le regarder. J'ai fixé mes genoux, la respiration saccadée.

« Vous étiez heureux, Adam. Alors qu'est-ce qu'il s'est passé, bon sang ? Est-ce que je dois croire tout ce que dit Annabelle ? Est-ce que... »

J'ai relevé la tête et j'ai essuyé mes larmes. Est-ce que je pouvais faire ça à ton père, hein ? Tuer sa fille adorée et détruire la confiance qu'il avait soudainement placée en celle qui lui restait ? Est-ce que j'avais le droit de piétiner son cœur à ce point-là ? Sur le coup, j'ai estimé que non. Je me suis levé et j'ai fait signe aux gardes que j'en avais assez.

« Est-ce que je dois croire Annabelle ?, il a répété.

— Je crois que ça vaut mieux pour tout le monde. », j'ai fini par répondre.

Je suis retourné dans ma cellule en espérant y trouver la paix mais je n'y suis pas parvenu. L'attente du procès a duré de longs mois et jamais je ne trouvais de repos. Tout ce que m'avait dit ton père me résonnait dans la tête encore et encore et ça ne s'arrêtait jamais. J'espérais que cette réponse lui aurait suffi mais je savais qu'il y avait vu un espoir. Je savais parfaitement qu'il refusait de s'être trompé sur mon compte à ce point-là. Il refusait d'avoir cru que sa fille était heureuse si elle ne l'était pas – et il était prêt à tout pour continuer d'y croire. Alors je sais que ma réponse a été une bouée de sauvetage. Je le sais parce que c'est Jamie qui me l'a dit.

Tu sais, Alice, sans ta sœur, peut-être que je ne serais pas dans cette cellule en train d'attendre de me faire exécuter. Peut-être que je serais dehors avec un bracelet électronique à essayer de me remettre de ta disparition. Mais c'est pas ce que je voulais et je pense que Jamie m'en a toujours voulu pour ça.

La visite de ton père a été difficile mais celle de Jamie quelques jours avant le procès l'a été encore plus car je ne pouvais pas l'ignorer lui ; j'étais son meilleur ami, son frère – et je ne voulais pas qu'il fasse quelque chose de stupide. J'avais toujours refusé qu'il vienne me voir mais cette fois-là, il ne m'avait pas écouté. Il m'avait téléphoné avant, comme tous les mardis, pour savoir si j'avais besoin de quelque chose et sur le coup, j'avais dit non car c'était idiot : de quoi j'aurais besoin en isolement, dans une prison à la con ? Rien. Mais ensuite je me suis souvenu des polaroïds qu'Annabelle avait utilisés contre moi chez les flics. Ceux de tes bleus.

« Nos photos, j'avais demandé. Toutes. »

— Elles sont où ?

— C'est Anna qui doit les avoir. »

Il avait soupiré mais il n'avait pas hésité à me dire oui. Quand il est venu me voir le lendemain, il m'a ramené trois boîtes à chaussures qui dégueulaient de partout. Notre vie tenait dans trois boîtes à chaussures. C'était douloureux. J'étais resté silencieux parce que j'avais pas eu envie de le mettre mal à l'aise. Je ne savais pas tellement ce qu'il pensait de tout ça avant. Mais c'était mon frère, pas vrai ?

« Pourquoi tu la laisses te faire ça ? Hein ? Pourquoi est-ce que tu la laisses mentir comme ça ? Y a le père d'Alice qui est venu me voir ! Même lui il a des doutes sur tout ce qu'Annabelle est en train de balancer au monde entier ! »

J'avais haussé les épaules parce que je ne pouvais rien répondre, alors il a repris.

« Je vais témoigner moi. Je vais dire que tout ça c'est faux. Je suis témoin de votre mariage, on vous voyait souvent, on va dire qu'Annabelle ment. Suzanne s'est encore disputée avec elle quand elle est allée chercher les photos, elle ne lui a pas parlé depuis des mois et...

— Non.

— Quoi, non ? Bon sang mais, Adam ! Réagis enfin ! Tu ne peux pas rester comme ça ! L'avocat demande la peine capitale car ils veulent faire passer ça pour un homicide ! Si tu perds la...

— Je l'ai vraiment frappé, tu sais. »

Il s'est tut. Bien sûr qu'il le savait. Bien sur qu'il avait compris. Mais il n'avait pas eu envie de l'entendre à haute voix.

« Elle me manque, Jamie. T'as pas idée à quel point j'y arrive pas. Je suis en train de perdre pieds parce que j'ai l'impression que ce n'est pas réel. Je me dis qu'elle va finir par venir me rendre visite avec Marie. J'attends qu'elle vienne, Jamie. Mais elle ne vient pas et c'est insupportable. »

Je ne voulais pas pleurer et pourtant, si tu savais la quel point j'avais la gorge serrée et les yeux remplis de larmes.

« Elle ne va pas venir, Jamie. Et tu sais pourquoi ? Parce que je l'ai poussée sous une voiture.

— C'était à lui d'être maître de son véhicule, c'était à lui de...

— James.

— Tu ne peux pas baisser les bras comme ça ! Tu peux pas laisser Annabelle salir votre histoire juste parce qu'elle était jalouse !

— Mais j'ai pas envie de rentrer chez moi, Jamie. »

C'est là qu'il a compris. Son regard s'est voilé et il a donné un coup de poing dans la table.

« Refuse de témoigner, d'accord ? Empêche Suzanne de le faire. Je ne veux pas de circonstances atténuantes.

— Tu vas mourir, Adam ! Tu te rends compte de ça ? Tu vas mourir et me laisser tout seul ! T'as dit que tu serais toujours là ! »

J'ai récupéré les boîtes et j'étais tellement à cours d'oxygène, parce que j'essayais d'étouffer les sanglots, que je ne sais même pas comment j'ai réussi à articuler une phrase. Il ne comprenait pas lui, qu'à toi aussi, j'avais promis d'être toujours là.

« Je suis désolé. Je ne peux pas vivre comme ça. Personne ne le peut. Alors laisse-les faire. Assure-toi juste que ce connard d'automobiliste ne conduise plus jamais. »

Il n'a plus rien dit. Il pleurait mais je n'avais pas le droit de le toucher ou de m'approcher de trop près.

« Tu sais ce que va dire Anna ?

— Non.

— Que tu menaçais Alice de la tuer si jamais elle te quittait, que tu la frappais depuis toujours, qu'elle avait toujours des bleus sur le corps mais dans des parties non visible pour que ses parents puissent pas dire le contraire. Que tu lui dessinais dessus pour camoufler ça. Elle va dire que t'étais exactement comme ton père, Adam. Elle va dire que t'attendais une occasion de la tuer depuis longtemps ! Elle va tout déformer.

— Ce sera très bien. », j'ai simplement répondu.

Il a baissé les yeux un moment et j'ai cru qu'il allait de nouveau pleurer mais non, il a fini par me regarder à nouveau.

« Si t'avais vu sa tête quand elle a vu ton nom de famille sur l'acte de décès. Elle est devenue folle, on a dû la faire sortir. Elle se bat pour mettre le nom de jeune fille d'Alice sur la pierre tombale. »

J'ai souri mais je n'avais pas envie de parler d'Annabelle, alors j'ai rien répondu. J'aurais aimé voir son visage quand elle a appris qu'on s'était mariés, toi et moi. Quand elle a compris que toutes les décisions me revenaient et que, malgré la situation, j'avais encore tous mes droits d'époux. Je n'avais pas pu assister à l'enterrement mais je t'assure qu'ils l'ont payé ensuite, Alice. Ils l'ont payé parce que de ma cellule, je pouvais encore avoir le dernier mot. Les pompes funèbres ne pouvaient pas laisser traîner indéfiniment alors je sais aujourd'hui que sur votre tombe, à Marie et à toi, il y a noté "Alice et Marie Knight" et qu'Annabelle ne pourra jamais rien y faire.

« Ça te va vraiment pas, le orange. », il a soudain lâché, pour changer de sujet.

Ça m'a fait rire, Alice. Comme ça, sans prévenir. Je me souviens encore de la fois où t'as jeté mon t-shirt préféré à la poubelle parce que tu disais que l'orange ne m'allait pas au teint et que comme tu portais la vie, je n'avais pas le droit de te contredire. Si tu pouvais me voir maintenant, t'arriverais plus à t'arrêter de rire, toi aussi. D'ailleurs, il me manque, ton rire. Tout comme toi.

Jamie est parti. Il m'a dit qu'il essaierait de passer à nouveau, mais j'ai plus jamais voulu qu'il vienne. C'était trop dur. Alors il m'en veut. J'espère qu'il me pardonnera ma lâcheté, un jour. Qu'il oubliera que je lui avais promis qu'avec moi vivant, il aurait toujours une famille.

Bien entendu, j'ai pas gagné le procès et je crois que la médiatisation de l'affaire avait joué en ma défaveur ; un gars qui bat les femmes, peu importe les circonstances, il doit être puni. Pour le monde entier, tu étais morte par ma faute alors si je n'étais pas puni, qui le serait pour moi ? Le pauvre automobiliste ? Quelle blague. Si je n'étais pas puni, alors il n'y avait pas de justice. J'ai servi d'exemple et je le sais très bien. Peut-être que si Annabelle n'avait pas monté l'affaire jusque dans les médias, je n'en serais pas là, mais je n'étais même pas sûr de lui en vouloir. Je n'aurais pas voulu de la perpétuité alors je crois que la situation arrangeait tout le monde – et moi le premier. 

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