Leur éclat de rire fut interrompu quand on toqua à la porte. Sur autorisation de Linaëlle, une jeune domestique entra.
- Princesses, les salua-t-elle en s'inclinant. La Reine demande si vous l'accompagnerez pour la sortie de cette après-midi.
- Moi je n'irai pas, c'est certain, annonça Victoire.
- Je l'accompagnerais jusqu'à l'Ecole, je veux être là pour le retour de Léane et Rémi. Adam et Jayden viendront aussi, l'informa Linaëlle.
Après une nouvelle révérence, la jeune fille s'en alla.
- Jayden est un peu jeune pour que tu l'astreignes à cette corvée, observa l'ancienne vassale.
- Il est important que le peuple le voit, qu'il sache que le Sang des Dragons a des représentants en bonne santé, affirma la plus jeune. Je t'accorde que c'est encore un enfant, et qu'il est bien plus probable que ce soit Kalum le Porteur. Cette sortie tisse des liens entre la famille royale et le peuple que nous servons. Il est important qu'il y participe, surtout alors que la menace des Tfigunï pèse sur l'horizon. En plus, ajouta-t-elle, ce sera sa première fois, il sera plus excité qu'ennuyé, je pense.
- Je te laisse juge dans ce domaine, je n'ai jamais été douée en matière de popularité...
- Chacun ses compétences, approuva Linaëlle. Je vais te laisser te reposer et aller retrouver les petits monstres, je leur ai promis une histoire.
- Tu te souviens de ce que tu dois faire, Jayden ?
- Oui, Maman.
- Répète-le, ordonna Linaëlle.
- Encore ? souffla le petit garçon.
- Oui.
Kalum dans les bras, Adam souriait en regardant sa femme aplatir une boucle rebelle sur la tête de leur aîné. L'enfant était habillé d'un ensemble blanc et gris tout neuf assorti à celui de sa mère, excepté le fait qu'il allait tête nue alors qu'un cercle d'argent reposait sur celle de la femme. Le dragon de Malatir, noir cousu d'or se dessinait sur la cape courte qu'il portait, reflet de celui sur le bras de Linaëlle, et ses bottes de monte toutes neuves luisaient dans la lumière dispensée par la fenêtre. Il avait interdiction de bouger depuis presque un quart d'heure, ce qui représentait sa limite absolue.
- Je monte à cheval avec toi, je souris et je fais coucou aux gens, récita-t-il, obéissant.
- Et quand on fait un arrêt ?
- J'attends que le cheval s'arrête, je récupère un des globes magiques que Papi gardera avec lui, j'attends qu'un des gardes me fasse descendre du cheval, et je vais donner le globe en marchant avec deux gardes à la personne qui m'attends. Après je reviens toujours en marchant et j'attends le garde qui m'aide à remonter avec toi.
- C'est bien. Je t'aime, mon cœur, fit-elle en l'embrassant sur le front.
- Moi aussi je t'aime, je peux avoir un câlin ?
Linaëlle sourit et l'enlaça.
- Moi aussi ! protesta la petite voix de Kalum.
- Toi tu vas aller faire la sieste, Kal, déclara son père tandis qu'il gigotait dans ses bras.
- Pas de sieste ! Je veux aller avec Maman !
- Laisse, on a encore cinq minutes devant nous, sourit la concernée en tendant les bras.
Adam secoua la tête mais lui donna le petit qui s'empressa de se blottir contre elle. Jayden fit la moue et elle le retint d'un bras.
- Eh, j'ai assez d'amour pour vous deux, tu le sais, viens là.
Le garçon se laissa aller contre elle et Adam s'installa près d'eux, passant un bras autour des épaules de sa femme. Linaëlle soupira et ferma les yeux. Il était là, le centre de son monde, bulle de sérénité qui l'empêchait de se laisser complètement aller quand les voix des morts dont elle portait la responsabilité revenaient la hanter.
- Mo véï liémin, chuchota-t-elle.
« Linaëlle, nous vous attendons. »
La communication d'Elmira rappela tout le monde à l'ordre. Kalum réclama un dernier bisous avant de laisser son père l'emmener à Emily tandis que l'autre moitié de la famille descendait dans la cour.
- Adam arrive, Kalum voulait un câlin avant d'aller dormir, annonça Linaëlle à la cantonade afin de prévenir toutes les questions.
Un palefrenier lui amena aussitôt sa monture, une jument baie qu'elle ne montait que rarement. Elle installa Jayden et monta souplement derrière lui. D'un coup de talon, ils rejoignirent leur place dans la file.
Elmira et Malvius ouvraient la voie, les vassaux du Roi les accompagnant. Derrière eux se trouvaient Sollia et Kalioska avec Joffrey et les leurs. Ensuite Linaëlle, Jayden, Fiona et Adam qui les rejoignit presque en courant. Cassildey et Énora fermaient la marche, la femme de ce dernier étant enceinte et par conséquent dispensée de la sortie, leurs quatre vassaux les suivant.
Entre chaque couple, ainsi qu'à l'avant et à l'arrière du convoi, deux gardes aux armures rutilantes, encadraient un troisième, portant le drapeau au dragon d'or. Après un regard en arrière, Elmira leva le bras et le convoi s'ébranla, adoptant l'allure des soldats au pas militaire et régulier.
Ils franchirent le pont et la surprise de Jayden fit sourire sa mère. Lui qui ne sortait que très rarement du palais découvrait la foule bruyante amassée sur le bord des rues pour venir les voir. Le soupçon de peur qu'il ressentit fut vite étouffé par la main rassurante de Linaëlle sur son épaule.
- Tu n'as rien à craindre, ils sont venus pour toi. Souviens-toi, on sourit et on salue.
Il fallut encore quelques instants au petit garçon pour se ressaisir et adresser un sourire timide à son public, imitant ses parents. Les acclamations augmentèrent encore quand, plus confiant, il leva un bras et l'agita en l'air. Au bout de quelques minutes, il leva les yeux vers sa mère et déclara très sérieusement :
- Je crois que j'aime bien.
Linaëlle éclata de rire et Adam qui l'avait entendu, suivi son élan, sous l'œil étonné de leur fils. Le père se pencha vers eux, attrapa Jayden sous les aisselles et le souleva à bout de bras, lui arrachant une exclamation de surprise et redoublant les cris de joie des spectateurs.
Laissant le garçon à la garde de son père, la femme s'immergea dans le tourbillon des émotions de la foule qui chassaient ses propres démons. Elle ne refit surface que quand elle vit Jayden descendre du cheval de son père pour se diriger vers le parvis de la Bibliothèque. Elle fronça brièvement les sourcils avant de se morigéner, même si son fils ne craignait rien, elle ne pouvait pas rester aveugle à son environnement à ce point.
- Heureusement que je suis là.
- J'ai le droit d'avoir un moment d'inattention.
- Ça dépend de la durée du moment...
Accompagné de Joffrey et de quatre hommes d'arme, Jayden continuait son chemin à travers la foule, souriant et confiant comme s'il avait fait ça toute sa vie. D'un même mouvement, les deux garçons tendirent chacun une sphère enchantée vers le magicien qui les attendait. Celui-ci les saisit et chantonna une formule qui activa l'effet magique. Un dragon de feu s'envola des mains de l'homme pour gagner le ciel et exploser en une pluie de petites étincelles au sommet de sa course, provoquant un tonnerre d'applaudissement.
Tout content de leur effet, les deux cousins, un sourire jusqu'aux oreilles, rejoignirent le convoi qui se remit en route. Ils devraient répéter la manœuvre devant le Temple, puis la grand place du marché, près des docks, La place Ouest, devenu lieu de commémoration, l'École et enfin devant le palais.
La sortie se déroula sans accroc et sous un soleil particulièrement chaud en ce début d'été. Arrivée devant l'École, Linaëlle laissa Jayden à son père et sa monture à un des gardes. Fiona sur les talons, elle traversa la foule, profitant de la distraction provoquée par l'illusion magique pour passer relativement inaperçue.
Les portes franchies, elle abandonna le sourire de façade qu'elle avait plaqué sur son visage. Un lourd pressentiment lui nouait l'estomac malgré la bonne humeur ambiante, et sa Dragonne restait sur le qui-vive depuis qu'elles avaient laissé le palais derrières elles.
- Qu'est ce qui ne va pas, Lin' ? s'enquit Fiona tandis qu'elles montaient vers la salle de téléportation.
Sa suzeraine ne répondit pas immédiatement, cherchant à identifier la source de son ressenti.
- Je l'ignore, finit-elle par avouer.
La magicienne ne pipa mot, mais son amie n'avait même pas besoin de lire dans ses pensées pour savoir qu'elle la pensait angoissée à cause d'une possibilité d'une nouvelle attaque des Tfigunï.
« Linaëlle, nous sommes arrivés. » annonça la voix de Rémi dans leurs esprits.
« Nous arrivons dans une minute. » l'informa la femme.
« Juste une chose... J'ai ramené quelqu'un de Caldam qui souhaite te parler. » prévint Léane.
« De Caldam ? C'est bien la seule ville d'Elmakan que je n'ai jamais visité. Qui est-ce ? » interrogea l'ancienne professeur.
Les deux jeunes gens firent la sourde oreille, ce qui lui fit froncer les sourcils. Ils n'avaient pas l'habitude de se dérober ainsi à ses questions. L'inquiétude lui fit presser le pas et c'est avec sa magie prête à l'emploi qu'elle ouvrit la porte qui la séparait de ses protégés.
Ils la saluèrent dans un ensemble presque parfait, mais la femme n'y fit pas attention, trop occupée à dévisager la personne qui se trouvait entre eux.
Les années n'avaient pas discipliné les cheveux bruns toujours en bataille, mais approfondi l'éclat des ses iris couleur de ciel. Son collier de barbe le vieillissait, de même que la cicatrice qui lui barrait la joue. Son armure, cabossée et ternie, avait probablement connue des jours meilleurs. Le sourire taquin qu'il lui adressa en revanche, n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. Une partie d'elle-même entendit le hoquet de surprise de Fiona tandis que l'homme s'avançait vers elles en souriant.
- Bonjour, les filles, ça fait un bout de temps, commença-t-il.
- Sang et cendres, Noah, qu'est-ce-que tu fabriques ici ? s'exclama Linaëlle, faisant fondre le sourire de son interlocuteur.
- Cette jeune demoiselle m'a gentiment proposé de m'épargner le trajet jusqu'à Olmetho en m'amenant directement ici pour te voir, puisqu'elle même se faisait transporter par un de tes amis magiciens. Je m'attendais à un autre accueil de ta part.
- Un autre accueil ? Tu te payes ma tête ? s'énerva la Princesse. Tu ne donnes aucun signe de vie pendant dix ans et tu débarques comme une fleur, sans prévenir ! Tu t'attendais vraiment à ce que je te saute au cou ? Tu n'as toujours pas appris à voir les choses en face, visiblement.
Surpris par la réplique cinglante, il recula, mais son ancienne suzeraine n'en avait cure. D'un mouvement de tête, elle invita ses deux Prodiges à la suivre. Avec un regard désolé, ces derniers s'élancèrent à sa suite, le laissant seul avec Fiona dans la salle nue.
- Tu es quand même sacrément culotté de revenir comme ça, l'enfonça la magicienne en s'appuyant contre l'encadrement de la porte.
- Qu'est ce qui lui a pris ? Je pensais qu'elle serait heureuse de me voir... Et toi aussi.
Fiona ricana.
- Elle a raison, tu n'as pas changé d'un poil. Secoue-toi un peu Noah ! Ça fait dix ans que tu es parti sans laisser de trace, tu ne fais plus parti de sa vie ! Et c'est la même chose pour moi. Tu ne peux pas revenir comme ça et reprendre ta place, ce n'est pas possible.
- Mais... Non... Je... bégaya-t-il. J'ai pensé à vous tous les jours, vous m'avez soutenu dans les coups durs...
- Les souvenirs qui t'ont aidé datent d'il y a une décade Noah, reprit-elle plus doucement. Les gens changent. Elle est mariée, elle a des enfants et des responsabilités. Tu ne peux pas lui demander de s'assoir avec toi et de discuter comme avant.
- Mariée ? Des enfants ? répéta-t-il, éberlué.
- Tu as vécu dans une grotte pendant tout ce temps ou quoi ? s'agaça son ancienne consœur.
- Si tu considères le continent voisin comme tel, alors peut être...
La magicienne secoua la tête en soupirant.
- Pourquoi revenir après tout ce temps, Noah ?
- En fait, je venais vous proposez mon aide contre les Tfigunï. J'ai des amis prêts à en découdre avec eux.
- Il faudrait que tu nous apportes une armée entière pour pouvoir faire basculer un peu la balance de notre côté.
- Dix mille guerriers, c'est une petite armée, mais c'est un début non ?
- Pourquoi l'avez-vous ramené ici ? interrogea sèchement Linaëlle dès qu'ils furent hors de portée de voix.
Elle s'engagea dans les escaliers, les deux jeunes sur les talons.
- Il a dit qu'il pouvait nous aider contre les Tfigunï, je ne pensais pas que tu lui en voulais encore, s'excusa Léane.
- Je ne lui en veux plus, mais il m'agace prodigieusement en réclamant ce qu'il ne mérite pas, souffla l'ancienne professeur.
Ses pas la conduisaient instinctivement vers les jardins intérieurs et elle finit sa course sur un banc au milieu du parfums des fleurs et des clapotis des fontaines. Hésitants, ses deux protégés se tenaient debout devant elle, ne sachant comment réagir.
- Pardon, fit Linaëlle quand elle perçut leur trouble. Les choses ne se passent jamais comme elles le devraient.
Elle porta la main à son épaule droite, où l'étoile à huit branches chauffait sa peau, sous les vêtements.
- Vous avez fait ce que vous estimiez le mieux. Je verrais plus tard avec lui si il peut vraiment ou pas nous aider. En attendant...
Elle se leva et les entoura de ses bras.
- ... Je suis vraiment contente de vous revoir, termina-t-elle.
Ils lui rendirent son étreinte avec force, rassurés de la voir se reprendre. Dans l'heure qui suivit, ils discutèrent de choses et d'autre, des potentiels que Rémi avait détecté au cours de son voyage, des cracheurs de feu que Léane avait vu sur la route, des dernières bêtises de Jayden et Kalum. Des sujets qu'ils n'avaient pas pu aborder pendant leur deux mois de séparation, se contentant de rapport purement techniques lors de leurs échanges mentaux.
Peu à peu, les jeunes magiciens virent leur mentor se détendre et esquisser un sourire, et c'est finalement apaisée qu'elle les quitta suite à une convocation de la Directrice.
- Puis-je connaître la raison de ma convocation ici ? interrogea-t-elle en franchissant la porte du bureau qui, comme à son habitude, s'était ouverte seule.
- Il y a un sujet important qu'il faut que nous abordions, toi et moi, souffla la magicienne en l'invitant sur le balcon.
Intriguée, Linaëlle la suivit. La robe toute simple qu'elle portait aujourd'hui comportait plusieurs nuance de gris, une couleur visiblement assortie à son humeur. Amalicia s'appuya sur la rambarde, lui coula un regard en coin et dit calmement :
- Je veux que tu me promettes que rien de ce que je vais te confier ne sortira de cette pièce, excepté si je te donne l'autorisation de révéler ce secret à quelqu'un d'autre.
La plus jeune fronça lessourcils. La Directrice s'était retranchée derrière un mur infranchissable quiprotégeait ses pensées de l'intrusion de tous. Néanmoins, elle ne pouvait luicacher ses sentiments, et sa subordonnée devinait un mélange de culpabilité,d'appréhension et de peur... Ce cocktail d'émotions la surprit. Quel sorte desecret s'apprêtait-elle à lui révéler ?
Plop ! Suite du chapitre 33 ! On redémarre sur les chapeaux de roues dit donc !
Vous êtes remis(e)s du retour de Noah ? Il a ramené quelques copains avec lui on dirait ;).
Sinon quelle genre de bombe Amalicia va-t-elle faire exploser à la tête de Linaëlle ? ça à l'air drôlement sérieux son histoire !
Bref ! Je vous fait un gros bisous à tous, et à vendredi prochain, sauf si j'arrive à terminer le bonus des 20k ( et l'arbre généalogique, promis je n'oublie pas !).