Épuisé, je décide de rester chez moi aujourd'hui. J'ai passé toute la soirée, et une bonne partie de la nuit, à parler avec Harry par messages. Vers vingt et une heures, il m'a demandé mon avis sur le livre qu'il m'avait acheté. Je lui avais proposé de l'appeler afin de lui expliquer plus en détail mon ressenti, mais il m'a répondu qu'il préférait me répondre et participer aussi à la conversation. Par appel, il n'aurait pas eu le courage de le faire.
Alors, on a échangé de nombreux messages. On a commencé par parler du livre et on a ensuite abordé la visite au musée. J'ai pu en apprendre un peu plus sur lui, cette nuit. Il m'a parlé de son intérêt pour l'art et du fait qu'il a l'habitude de se rendre souvent à cette exposition en particulier. Il me fait part de son admiration pour La Vague, cet immense tableau que nous avons pu voir à la fin du parcours, et qu'il aime déambuler dans le musée en écoutant les commentaires des spécialistes. Mais des fois, il m'a avoué simplement y faire un tour avec de la musique dans les oreilles.
Et on s'est souhaité bonne nuit, à quasiment trois heures du matin, avant de s'endormir en même temps. Résultat, il est plus de treize heures quand je me lève. Zayn m'a envoyé un message en fin de matinée pour savoir si on se voyait, je lui réponds seulement maintenant de venir à l'appartement.
Le temps de me faire un café, de passer sous la douche et il sonne alors que je termine d'enfiler mon jogging. Encore torse nu, légèrement mouillé, je vais lui ouvrir et son regard ne manque pas de remarquer mon air fatigué.
– Toi, tu viens de te lever.
– Bonjour à toi aussi Zayn.
Je me recule et le laisse entrer, il ferme la porte et je vais attraper un tee-shirt dans ma chambre pour le mettre sur le dos. Tandis que mon meilleur ami se pose dans le canapé, je lui sers une tasse de café et je me prépare de quoi manger. Je fais cuire mon omelette et Zayn allume le petit écran plat que ma mère m'a gentiment offert pour mon emménagement. Ici, c'est un peu comme chez lui aussi. Je mets à l'aise à son appartement et il fait la même chose au mien.
Quand mon repas est cuit, je viens m'assoir à ses côtés et il tourne son regard vers moi. L'émission diffusée crée un fond sonore, mais ne nous empêche pas de parler. Je lui donne des nouvelles de ma famille, il me raconte que son micro-ondes a cessé de fonctionner ce matin et qu'il ne verra pas Maëva avant Vendredi prochain parce qu'elle est en vacances avec ses parents. Puis, inévitablement, le sujet arrive. Celui qui attire le plus son attention et qu'il se retient de mentionner depuis quelques jours, depuis qu'il a vu mon air encore endormi quand je lui ai ouvert la porte. Zayn me connaît, il sait que je suis assez matinal et que je n'aime pas rester la moitié de la journée à ne rien faire.
– Alors, tu as fait des folies hier soir, cette nuit...?
Un grognement sort de ma bouche tandis que je mange un bout de mon omelette. Je sais que, un moment où un autre, je vais bien devoir affronter ses questions et la réalité. Harry ne peut pas rester ni un secret ni un rêve égoïste. Puis Zayn va finir par se rendre compte de quelque chose, ou va se sentir blessé que je l'ai laissé dans l'ignorance. De toute manière, je ne peux rien lui cacher bien longtemps.
Il m'observe et je joue du bout de la fourchette avec un morceau de pomme de terre. En réalité, je ne sais pas comment aborder Harry. On s'est vu trois fois, on s'échange des messages, on s'est appelés une fois, mais j'ai encore l'impression que c'est un inconnu. J'ai déjà lu qu'il fallait une vie entière pour apprendre à connaître une personne, mais à part Zayn et ma famille, je n'ai personne qui est resté aussi longtemps dans mon existence. La solitude n'est pourtant pas un problème pour moi, je sais m'accommoder au silence, je sais m'enfermer et combler le trou à mes côtés dans les livres.
– Non, j'ai simplement parlé avec quelqu'un... Par messages.
– Oh, je connais cette personne ?
– Non, je l'ai rencontré il y a peu de temps. Je laisse passer quelques secondes, incertain de la suite, mais je me lance tout de même. Mais tu l'as déjà vu.
– Là, il faut que tu m'en dises plus !
Je lève les yeux au ciel, ne pouvant m'empêcher de sourire en coin.
– C'est un garçon.
– Sans blague ?
Un coup de coude et il ne tarde pas à rire. Zayn sait que je suis uniquement attiré par les hommes, ce n'est donc pas une révélation pour lui que j'ai passé des heures à communiquer avec un garçon. Les filles m'intéressent, mais pas de la même manière. Et j'ai peu de connaissances féminines, si ce n'est une amie de la faculté et celles de ma famille. Mais j'ai été élevé en étant toujours entouré de filles, mes soeurs ramenaient leurs amies à la maison et je n'avais pas honte de jouer parfois avec elle, la fille de ma tante a presque mon âge et on a passé beaucoup de temps ensemble aussi.
– On est en contact depuis quelques jours, avant que je ne retourne chez moi.
– C'est le garçon du café ? Avec le carnet ?
Zayn est intelligent, mais je voulais aussi qu'il devine l'identité d'Harry. Ce n'est pas une tâche très compliquée non plus, étant donné que je n'ai pas parlé à de nombreux hommes récemment. A vrai dire, Harry doit être le premier depuis des semaines, des mois peut-être. C'est sûrement pour cette raison que je suis aussi gauche et timide avec lui. Suite à ma dernière rupture, je n'ai pas cherché à rencontrer d'autres personnes, à tisser d'autres liens, je voulais pouvoir profiter de ma jeunesse, de mon temps et de mes livres que j'avais trop souvent délaissé au profite de bras qui ont fini par lâchement m'abandonner.
Maintenant, j'ai décidé de ne plus faire passer l'amour avant tout ça. Mes amis, ma famille, mes livres, mes habitudes. Je ne veux plus revivre ça. La souffrance, la peine, la solitude. Parce qu'après avoir été quitté, j'ai eu du mal à m'en remettre. Zayn m'a ramassé à la petite cuillère, comme il l'a toujours fait, je me suis noyé dans mes larmes et mes livres. C'était plus facile que d'affronter le monde réel. J'ai laissé mon coeur aimer, appartenir à quelqu'un d'autre, pour qu'au final je sois blessé et détruit. Les histoires d'amour, j'ai décidé de les vivre à travers mes romans, mes poèmes. Et tant pis si je finis seul avec trois chats, des étagères de livres partout dans ma maison et mes tasses de thé.
Même si j'ai toujours eu, malgré toutes les peines, les douleurs et les sanglots, l'espoir que je finirais par trouver la personne qui me convient. Qui m'acceptera pour ce que je suis et ce que je ne suis pas.
– Oui, c'est lui.
– Ah je le savais ! J'ai bien vu comment tu l'as regardé ce jour-là quand j'étais avec toi. Vous vous êtes revus ?
Excité, impatient de savoir le reste de l'histoire tandis que je hoche la tête, Zayn est lancé. Plus de marche arrière. Mais, je pense que ça me fait du bien d'en parler à quelqu'un. Alors je lui raconte nos sorties. Pas en détails, je garde ces petits moments pour Harry et moi. Uniquement. Cependant, je lui en dit assez pour qu'un sourire apparaisse sur son visage et le mien aussi, au fil de mon discours.
J'ai l'impression de revivre nos heures passées ensemble. Surtout au musée. Nous ne sommes rien dit, quasiment, mais c'était le plus intense des moments. Lui faire la lecture a aussi été très plaisant et reposant. Si ce n'est mes frères et soeurs et les quelques enfants que j'ai pu garder, jamais personne ne m'a demandé cela. J'étais agréablement surpris. D'Harry aussi. Il fait des pas en avant et s'ouvre un peu plus à moi, il ose à présenter formuler une ou deux phrases à voix haute. Comme lorsqu'il m'a demandé de l'accompagner au musée nocturne Mardi.
– Je suis super content pour toi Lou, il a l'air d'être un chouette type et vous avez beaucoup de choses en commun.
– Mais...?
Parce que je le sens venir. Je suis presque certain de ce qu'il va me dire ensuite. Même s'il semble sincère dans sa joie quand à ma rencontre avec Harry, il ne peut pas s'empêcher de jouer son rôle de meilleur ami protecteur. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Parce que je ferais pareil, sans hésiter. Si une fille ou un garçon venait à lui briser le coeur, je ne me retiendrais pas pour aller lui passer une leçon. L'air de rien, Zayn est une personne qui s'attache très vite aux autres et sa sensibilité se cache sous ses boutades et ses rires.
– Simplement, fais attention. Ne va pas trop vite. Souviens toi, la dernière fois avec...
– Oui, je sais. Je l'interromps avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, je devine le fond de sa pensée. Je ne ferais pas la même erreur Zayn.
– Quand on est amoureux, on laisse tomber toutes ses gardes.
– Je ne t'ai jamais dit que j'étais amoureux !
Ses lèvres s'étendent dans un sourire à demi amusé et je ne peux empêcher mes joues de rougir. Je pose mon assiette maintenant vide sur la table basse et croise les bras sur mon torse.
– Tu n'as pas besoin de le faire. Je te connais Louis, parfois mieux que toi-même.
– Mais je ne ressens rien pour lui, on se voit c'est tout...
– Peut-être, ou tu ne le sais pas encore.
– Zayn !
Je lui lance un coussin, en ayant d'abord vérifié que sa tasse soit posée en sécurité, et son rire résonne dans la pièce. Il l'attrape le tient contre lui et je lui lance un regard qui se veut sévère. Bien sûr que Zayn me connaît, mieux que personne, presque aussi bien que ma famille, mais il n'a pas toujours raison. Et c'est le cas sur ce coup là. Je ne sais pas réellement ce que nous sommes avec Harry, mais je ne ressens pas de sentiment à son égard, je commence à être attaché à lui, il me fait sentir un peu spécial et me fait découvrir des choses. Mais pas au point de qualifier cela d'amour.
A mes yeux, pour tomber amoureux, il faut plus que cela. Surtout du temps. Je ne connais pas suffisamment Harry, on ne s'est vu que trois fois et ce serait très prématuré de déjà développer des sentiments à son égard.
– Je l'aime bien, c'est tout.
– Un peu trop bien...?
– Arrête, si tu ne veux pas terminer avec ta tasse de café renversée sur la tête.
– OK, je te conseille simplement de prendre ton temps et soin de toi. Je serais toujours là pour toi Lou, tu le sais, mais je déteste te voir brisé comme ça à chaque fois.
– J'ai grandis Zayn.
– Les peines de coeur, ce n'est pas que pour les adolescents.
– Je suis au courant, merci.
Un soupir m'échappe, je me lève du canapé et vais débarrasser mon assiette. Je lave la vaisselle et rapidement je sens la présence de Zayn à mes côtés. Il prend le relai et nettoie sa tasse tandis que j'essuie les couverts. On reste silencieux quelques minutes, puis il se lave les mains et en pose une sur mon épaule. Je tourne mon visage vers lui, il m'adresse un sourire rassurant.
– En tout cas, tu as intérêt de me tenir informé de vos sorties et de ce qui se passe entre vous.
– Oui, comme toujours tu seras le premier prévenu Zayn.
Et il me prend dans ses bras, je le serre contre moi en souriant. Malgré mon mauvais caractère parfois, Zayn est toujours resté un ami fidèle et dévoué. Notre relation marche dans les deux sens, je le soutiens aussi à ma manière. Même si je pense que je le sollicite plus qu'il ne le fait, mais il sait qu'il peut venir me parler quand il veut si ça va mal. En pleine nuit, de beau matin, en milieu d'après-midi. Et ça fait du bien de savoir qu'on ne sera jamais réellement seul. La solitude complète n'existe pas. Aucun être humain n'y survivrai.
On s'installe ensuite au salon et on passe le reste de l'après-midi à jouer aux jeux-vidéo ou à regarder une série tout en discutant. Il me fait rire et penser à autre chose, et je pense que parfois j'ai simplement besoin de moments comme ceux-ci, où j'oublie tout ce qui m'entoure. Zayn a toujours été doué pour ça, me distraire. On partage de la bière et un joint que je l'ai laissé roulé.
Ce n'est qu'aux alentours de dix huit heures trente qu'il me laisse, je lui ai proposé de passer la nuit ici mais il n'a pas d'affaires avec lui et il doit aller acheter un nouveau micro-ondes et voir sa famille. Je lui dit de passer mon bonsoir à tout le monde et il s'éclipse. Le silence revient dans mon appartement.
Je m'installe avec un livre dans mon canapé, je lis jusqu'à ce que mon ventre gronde de faim. Tandis que je fais chauffer l'eau de mes pâtes, je vais faire un tour sur mon portable. Zayn m'a envoyé une photo de son nouvel achat et je ris tout seul au milieu de ma cuisine. Je suis surpris d'également trouver un message d'Harry.
D'Harry à Louis :
Bonjour Louis, tu aurais un roman historique à me conseiller ?
Un sourire étend mes lèvres. Déjà, je vois quelques titres apparaître dans ma tête et que j'écris en réponse à son message qui date d'il y a bien quatre heures. Je lui fournis cinq ouvrages dont j'ai le souvenir de les avoir apprécié et qui sont encore dans ma bibliothèque.
Quand mon plat est prêt, une assiette de pâtes, des copeaux de parmesan au dessus et des brocolis pour accompagner, je m'installe dans le canapé et continue de lire tout en dégustant mon dîner. Mon portable vibre à nouveau, je le prends et lis les remerciements d'Harry. À la fin du message, il m'écrit : à Mardi. Et ça me fait sourire comme jamais.