L'air hivernal frappait violemment le visage pâle d'Anne. La chute de neige était indéniablement forte mais Anne tenait le cadeau en sûreté comme si sa vie en dépendait, en haletant pas après pas. Elle était essoufflée. Elle couru tout du long jusque chez Gilbert, longeant le ruisseau et la fameuse forêt. Elle fut rassurée que le soleil ne soit pas totalement couché, ce qui lui permettait d'être un minimum éclairée sur son chemin. On pourrait croire que courir à travers les bois avait été son passe temps favoris depuis ses derniers jours. Elle ne fit pas attention aux branches qui fouettaient son visage, le silence de la nuit était rompu par le bruit de ses pas dans la neige ainsi que par son souffle abondant.
Lorsqu'elle aperçut enfin la maison au loin, elle se mit à ralentir jusqu'à l'arrêt et resta un moment devant. Elle reprit son souffle après tant d'efforts.
La plupart des lumières à l'intérieur étaient éteintes mais une pièce au coin de la maison était éclairée; ce devait être le feu de cheminé.
En silence, elle s'approcha de la véranda. Rassemblant tout son courage, elle leva le poing pour toquer à la porte. Mais soudain, elle réalisa qu'elle n'avait rien préparé à dire.
Elle fît demi tour en fronçant les sourcils, puis revint à la porte, essayant de toquer une nouvelle fois.
Tu peux le faire, Anne.
Elle retira ses mitaines pour toquer mais se retenu une fois de plus. Elle semblait avoir échoué cette bataille entre son cœur et la peur.
Elle se mit à penser à ses héroïnes préférées; Jane Eyre, Jeanne d'Arc et bien d'autres encore, toutes braves et sans crainte. Et plus elle pensait à elles, plus elle était frustrée. Elle savait que jamais elle n'arriverait à devenir comme elles.
Elle ferma ses yeux en respirant d'un air vaincu.
Elle se retourna et descendit les escaliers de la véranda pour rentrer chez elle, mais les marches en bois étaient couvertes d'une fine couche de glace, à l'insu d'Anne.
D'un mouvement rapide, elle perdit l'équilibre. Elle laissa échapper un cri perçant avant de se retrouver à terre.
Anne grogna à la fois de frustration et de douleur. « Pourquoi, pourquoi est-ce que tout est contre moi. » soupira-t-elle d'un air désespéré, les yeux levés vers le ciel.
Tout à coup, un bruit de pas traînants se fît entendre de l'intérieur. La porte s'ouvrit et, comme si la situation ne pouvait être plus grave, Gilbert se tenait devant elle d'un air confus.
« Anne? »
La jeune fille ferma les yeux, souhaitant de tout son cœur disparaître dans son manteau et ne plus revenir sur cette Terre.
Elle entendit Gilbert se diriger vers elle. Il l'aida à se relever et se retrouva ainsi face à elle.
Il était dans l'incompréhension la plus totale.
« B- Bonsoir, Gilbert. J'étais juste.. um, je.. »
« Anne il fait extrêmement froid dehors. Aller, viens à l'intérieur. Tu trembles. »
Anne ne souhaitait en aucun cas déclencher une nouvelle dispute alors elle entra, Gilbert lui ouvrit la porte comme lors de leur première rencontre à l'école.
« Installe toi près du feu, je vais t'apporter des couvertures. » dit Gilbert dans l'urgence.
« Oh non ce n'est pas.. » mais le garçon était déjà sorti de la pièce. « Nécessaire. »
Anne soupira et retira son manteau trempé. Elle s'assit sur le sol près du feu en plaçant le cadeau sur ses genoux.
Gilbert revînt avec une pile de couverture dans une main et une tasse de thé dans l'autre.
« Tiens, » il lui tendit les couvertures. Elle couvrit son corps frêle avec celles-ci et accepta la petite tasse de thé. Elle enleva ses mitaines afin de réchauffer ses doigts gelés au contact de la tasse chaude, et savoura cette offrande.
Gilbert vint s'assoir sur le sol près d'elle, laissant une certaine distance entre eux. « Qu'est ce que tu fais ici? » lui demanda-t-il tandis qu'elle prit une gorgée.
« Uh, je- Je suis juste venue t'apporter ton cadeau, j'ai uh, oublié de te l'offrir tout à l'heure. » dit-elle en silence. Elle se tourna face à lui et lui tendit le paquet d'un air timide.
« M- Merci, » murmura Gilbert, sans savoir quoi dire.
« En réalité, j'ai aussi un cadeau pour toi. Attend moi un instant, je vais uh... » Il se leva et se dirigea vers une bibliothèque dans le coin du salon. Anne le suivit du regard. Il récupéra un paquet en tissu marron qui se trouvait dans un coin de l'étagère.
Il se rassit face à elle et le lui tendit.
« Merci. » Sa voix laissa deviner que la jeune fille fut touchée.
« Je l'ai acheté il y a un moment lorsque j'étais encore aux quais. Je souhaitais te l'offrir à mon retour mais j'avais oublié que je l'avais gardé. » dit-il en regardant Anne qui déballait le cadeau, faisant tout son possible pour cacher son sourire.
Elle retira avec délicatesse le tissu et prit dans ses mains le cadeau qui n'était autre qu'un livre relié. La couverture était verte et illustrait quatre jeunes filles. Le titre y était inscrit avec élégance et en lettres d'or: Les Quatre Filles du docteur March de Louisa M. Alcott.
Anne sourit et parcourut la couverture de ses doigts fins.
« Je l'ai lu auparavant dans une librairie locale lorsque j'étais à Alberta. Après ça je l'ai repéré dans un magasin quand je travaillais aux quais, je savais qu'il me le fallait. J'ai pensé qu'il te plairait vu à quel point la lecture te passionne. L'histoire est très bien fondée et uh héroïque... j'ai de suite pensé à toi. » sa dernière phrase avait été prononcée dans un murmure. Gilbert regardait à présent ses genoux, sans savoir quoi ajouter.
« C'est magnifique. Merci. » dit Anne, le regardant avec le plus véritable des sourire.
« Je t'en prie. »
Le silence s'imposa tandis qu'Anne le regardait, attendant qu'il ouvre son cadeau à son tour.
Sans un mot, Gilbert déballa le paquet en silence. Il révélait un petite boîte bleue. Il retira le couvercle et découvrit un collier. C'était une chaîne en argent à laquelle pendait un unique pendentif; une petite perle rouge qui ressemblait à une pomme, brillant de mille feux à la lumière des flammes.
Gilbert prit le pendentif entre ses doigts, un léger sourire apparût.
« Je l'ai vu dans le magasin et um, j'ai cru que ça te remémorerait les bons moments avec ton père et ton verger, alors... »
Gilbert la regarda et lui sourit, ce qui la rassura.
« Merci. »
Le silence réapparut tandis qu'ils regardèrent les flammes danser. Le seul son fut à présent le crépitement du feu.
Ils étaient juste assis un moment à savourer cette chaleur, tout en pensant chacun de leur côté à quel point la compagnie de l'autre l'avait manqué.
« Je suis désolée pour ce que je t'ai dit Gilbert. » Anne fut la première à rompre le silence. « Tu n'imagines pas à quel point je suis désolée. »
Gilbert secoua lentement sa tête. « Ce n'est rien. » il sentit le regard d'Anne posé sur lui mais il décida de garder le sien sur le feu.
« Non. C'est faux. Je mérite toutes les punitions qui puissent exister au monde. »
« Anne. Arrête. Ce n'est rien. »
« Non. Gilbert, tu ne comprends pas. Je ne pensais pas tout ce que je t'ai dit, je l'ai juste dit parce que-» Anne se stoppa. Était-ce maintenant? Allait-elle enfin lui dire la vérité ?
Gilbert fut de suite plus curieux.
« Parce que quoi? » demanda-t-il d'un air sérieux.
Anne fut clairement prise d'assaut par ce soudain intérêt, évitant le regard de Gilbert.
« R-rien. »
« Non, je veux le savoir. Que signifiaient toutes ces choses que tu m'as dites? » il demandait tandis que son ventre commençait à se nouer, se remémorant cette horrible nuit.
La façon dont elle lui avait parlé avec un certain mépris, il voulait comprendre pourquoi.
« Dis moi Anne, s'il te plaît. Je n'arrive plus à trouver le sommeil étant sans cesse entrain de me demander pourquoi tu me détestes autant. »
« Je ne te détestes pas-»
« Alors pourquoi est-ce que tu l'as dit? » demanda-t-il calmement. Gilbert n'avait pas haussé la voix depuis le début ce qui fit culpabiliser Anne.
« Parce que... » Anne ne pouvait le cacher encore longtemps. « Parce que je voulais te protéger. »
Ce n'était certainement pas la réponse que Gilbert espérait entendre, et ça le perturbait encore plus.
« Me protéger de quoi? »
« De tout. » Elle le regarda enfin. Son visage était éclairé par des reflets orangés, que l'on pouvait également distinguer dans son regard.
« Les gens te jugeront à cause de moi. Ils te mettront à part comme ils l'ont fait pour moi. Penses-tu que si je te dis tout ce que je ressens, les autres accepteront ? » dit-elle d'un air exaspéré.
Elle détourna le regard, elle fut secouée d'un sursaut lorsqu'elle réalisa ce qu'elle venait de dire.
Elle fixa ses genoux, les épaules tendues.
« Et, qu'est ce que tu ressens? » Gilbert lui demanda tout en essayant de retenir un sourire.
Anne put apercevoir ses yeux la scruter de près tandis que le jeune garçon attendait une réponse. Les papillons dans son ventre lui firent perdre ses moyens.
« Je ressens... » dit Anne, Gilbert s'était peu à peu rapproché d'elle.
« ... la colère de Marilla à laquelle je vais devoir faire face si elle réalise que je ne suis pas chez moi, je devrais partir maintenant. » dit Anne en se levant dans la précipitation.
Gilbert gloussa mais ne protesta pas. Il regarda Anne récupérer son livre ainsi que son manteau et la raccompagna jusqu'à la porte.
Ils se tenaient tous deux sur le pallier de la véranda, la chaleur du feu aussitôt remplacée par l'air glacial. Ils se regardèrent droit dans les yeux, attendant que l'autre se décide à dire quelque chose.
Gilbert pensa à quel point Anne était splendide, toute en blanc, avec ses cheveux ondulés, son nez rosi et ses grands yeux bleus en ce beau coucher de soleil.
Il lui sourit inconsciemment ce qui fit détourner le regard d'Anne.
« Uh, merci pour le cadeau. Et le thé. Je ferais mieux d'y aller avant qu'ils ne réalisent que je sois partie. » Dit-elle timidement. Elle ne comprenait toujours pas comment elle avait put indirectement se confesser à Gilbert.
« Je te raccompagne chez toi. » lui sourit-il, l'air frivole.
« Non, je peux y aller seule. Je ne voudrait pas déranger. »
« Au contraire, j'en serais heureux. »
« Non. »
« Je ne veux pas que tu rentres seule. »
« Mais ça va aller. »
« Non, tu te trompes. »
« Si, ça ira! »
« Est-ce qu'on pourrait arrêter de se disputer pour une fois? »
« Alors pourrais-tu arrêter de sans cesse me contredire? » dit-elle en levant les sourcils.
Il lui sourit, et abandonna. « D'accord. »
Anne sourit fièrement puis se retourna sur le point de rentrer chez elle, quand Gilbert attrapa son poignet.
« Anne, attend. » dit-il à voix basse. Elle lui fit face, ses yeux bleus remplis de curiosité. Le scénario leur semblait à tout deux familier.
« S'il te plaît. J'arrêterais de te le demander... mais juste cette fois, j'ai besoin de l'entendre; dit moi ce que tu ressens. » Son regard fut à la fois intense et plein d'espoir.
Leur cœur battait la chamade. Anne regardait ses yeux verts innocents; comment avait-elle eu la force d'y résister tout ce temps. Ils étaient si beaux et remplis d'amour. Cela semblait si familier, étrange et magnifique et même temps.
Comment as-tu put lui résister ? Pensait-elle.
« Penses-tu que le meilleur cadeau que tu puisses recevoir soit quelque chose d'intouchable? » dit Anne, changeant soudainement de sujet.
« Qu- Non, Anne. Je veux que tu me dises ce que tu ressens. Par rapport à moi. » il insista.
Anne lui offrit son plus beau sourire avant d'ajouter « Tu me l'as dit. »
Avant que Gilbert ne puisse demander ce que ça signifiait, Anne fit un pas en avant, se mis sur la pointe des pieds et lui déposa un baiser sur la joue.
Cela n'avait duré qu'une seconde, mais au moment de leur contact, le corps du garçon fut parcourut par une importante secousse.
Les papillons jaillirent dans son ventre et d'un coup, tout allait bien.
« Joyeux Noël, Gilbert. »
Avant qu'il ne puisse réagir, Anne couru sous un ciel de nuit étoilée en direction de sa demeure.
Gilbert était resté immobile, ne pouvant s'empêcher de sourire. Il avait inconsciemment ramené sa main à sa joue.
Ce fut le meilleur cadeau qu'il n'ai jamais eu; et ce cadeau était intouchable.
Il eu un petit rire.
« Joyeux Noël, Anne. »