SACRAS - Tome I : Prélude

Da SACRAS2018

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Elsa est née sous une bonne étoile. Entourée de parents aimants et d'amis fidèles, elle a passé une enfance h... Altro

PRÉLUDE
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIV
CHAPITRE XV
CHAPITRE XVI

CHAPITRE I

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Da SACRAS2018


Lundi 5 Septembre

J'ai toujours eu tendance à rêver à des choses incroyables ; j'imagine que mes lectures de petite fille ont nourri mon imaginaire plus que de raison, mais ces derniers temps tout est tellement plus sombre, comme si la féerie n'avait su laisser place qu'à l'effrayant.

Il faut dire que ces dernières semaines ont été particulièrement stressantes, et aujourd'hui, enfin, c'est le grand jour ; le jour de ma première rentrée des classes ! Et pas n'importe quelle classe : une hypokhâgne, le cursus littéraires le plus réputé de France, qui permet d'intégrer l'élite des établissements de management, de droit ou de journalisme. C'est un programme extrêmement chargé mais il ne s'agit que de matières que j'adore : Histoire, Lettres, Langues... Ce n'est pas ça qui pourrait m'inquiéter.

Allez, je me lève, ça ne sert à rien d'attendre le réveil, de toute façon je ne peux plus dormir. Et puis c'est le moment de la journée que je préfère ; lorsque le soleil apparaît et diffuse une douce lumière orangée, que la brise matinale transporte une odeur d'herbe fraîche et que j'entends les chevaux qui hennissent dans les boxes de l'hippodrome un peu plus loin.

Je me hâte d'ouvrir les volets de ma chambre et je m'assois sur le rebord de la fenêtre. Il fait particulièrement chaud pour un mois de Septembre parisien. L'air est étouffant, et mes bouffées d'angoisse n'arrangent rien. Je peine à réaliser que dans quelques minutes, je vais me retrouver au milieu de tous ces jeunes de mon âge, des filles et des garçons ordinaires, pour qui cette rentrée est à peine plus importante que la précédente. Ça peut paraître étrange mais il faut dire que ma vie est quelque peu particulière.

Mon père est un consultant financier de renom demandé aux quatre coins du monde. En plus d'être un homme d'affaire respecté et admiré, c'est aussi un mari et un père exceptionnellement attentionné. Il a donc décidé, il y a de nombreuses années, que plutôt que de quitter sa famille trop longtemps, il l'emmènerait partout avec lui. Nous l'avons suivi sur tous les continents, vivant avec lui dans des hôtels luxueux, parcourant les plus beaux endroits de la planète. Bien sûr, j'ai eu de la chance ; une enfance extraordinaire, une famille aimante, une éducation privilégiée... Mais je me sentais rarement autrement que prisonnière de cet écrin de velours. Je ne pouvais suivre que des cours particuliers, un type d'enseignement très productif qui ne faisait que m'enfoncer dans une solitude extrême. J'étais totalement isolée du reste du monde, avec, pour seules amies, Anta, la fille de notre chauffeur, de quatre ans de plus que moi, et Carole, ma voisine, que je ne voyais que les quelques mois que nous passions à Paris.

Mon téléphone me signale justement trois nouveaux messages de Carole; un premier pour annoncer qu'elle n'a pas oublié de se réveiller ; un second pour confirmer son choix de tenue ; et un troisième pour s'assurer que j'avais bien reçu les précédents. Je suis amusée par son énergie et je ne peux que comprendre son impatience ; elle non plus n'a pas eu l'occasion de fréquenter une véritable école depuis longtemps, et c'est à cause de moi.

Ma mère a rencontré celle de Carole lorsqu'elles étaient toutes les deux enceintes. Elles étaient déjà voisines et ont développé cette solidarité que connaissent les personnes qui partagent une même galère. Elles sont devenues les meilleures amies du monde; Carole et moi aussi.

Nous avons grandi ensemble, comme deux sœurs qui n'avaient de hâte que de se retrouver. Carole a toujours été espiègle, à la fois joyeuse et impétueuse, charismatique et quelque peu tyrannique, elle n'a jamais eu peur de rien, et j'admirais cette liberté qu'il me manquait tant.

Dans nos premières années, elle m'entraînait dans les recoins du jardin pour nous cacher, juste pour le plaisir de regarder nos parents paniquer. Avec l'âge, elle a fait preuve d'une imagination de plus en plus débridée pour les faire enrager, et ils ont dû s'adapter pour trouver des punitions à la hauteur de nos bêtises. Un jour, vers douze ans, nous avons couru jusqu'à la gare pour sauter dans un train en direction de Saint Lazare. Ce fut la seule et unique escapade sans surveillance de notre vie; sans nul doute l'expérience la plus grisante que j'avais eu l'occasion de vivre jusqu'alors, mais avec la pire des conséquences : nous n'avions plus le droit de nous parler. Plus du tout.

Les semaines loin d'elle étaient terriblement longues et j'étais désespérée, pensant que nous serions réellement séparées pour la vie. Car si Carole avait d'autres amies de son âge à cette époque, moi je n'avais personne. J'en fus malade et perdis plusieurs kilos. Mes parents prirent alors conscience que Carole était la chose la plus importante de ma vie d'adolescente qui commençait, et que la solitude ne m'était plus supportable. D'un commun accord avec ses parents à elle, ils décidèrent que je ne voyagerais plus et que nous suivrions des cours à domicile, toutes les deux, ensemble.

Nous sommes dès lors devenues définitivement inséparables, nous voyant du soir au matin sans jamais nous lasser. Ça n'a donc étonné personne que nous choisissions le même cursus pour l'université et, avec un niveau identique, nous avons pu être acceptées dans le même établissement sans problème. Je n'ai jamais osé imaginer ce qu'il aurait pu se passer si ça n'avait pas été le cas ; je ne pense pas que j'aurais été capable d'affronter cette épreuve sans elle.

Après une douche bien fraîche pour finir de me réveiller, j'enfile un chemisier clair qui rehausse le reste de mon hâle d'été, une veste fuchsia pour avoir bonne mine, et mon tout nouveau short évasé métallique. Je ressemblerais presque à ces filles des magazines, sauf qu'en fait pas du tout. J'avais pourtant étudié un nombre incalculable de blogs de mode pour tenter de me fondre dans la masse, et finalement, je me sens plus déguisée qu'autre chose.

Je descends à reculons, sachant ma mère en bas encore plus stressée que moi, lorsque j'aperçois la chevelure ébouriffée d'Anta qui se balade dans le salon. Elle est déjà là, je suis sauvée !

Anta a maintenant vingt-deux ans et travaille à la maison depuis sa majorité ; son rôle officiel est de veiller sur moi en l'absence de mes parents et de m'assister dans mes devoirs. Dans les faits, c'est une grande sœur.

Son père, Insa Kane, est notre chauffeur depuis des années, et sa mère, Césilia, est devenue une très bonne amie de Maman. Ils sont arrivés du Sénégal tous les deux, jeunes et sans diplôme. Insa a commencé comme jardinier chez les Hansen mais au bout de quelques années, il s'est mit à souffrir de l'épaule alors mes parents l'ont embauché comme chauffeur. Anta a donc toujours passé beaucoup de temps à la maison; elle jouait avec moi, m'apprenait des choses extraordinaires et me racontait des histoires de sorcelleries qu'elle jurait rapportées par ses ancêtres. Je me rappellerai toujours du jour où un geai est venu s'installer dans le grand chêne du jardin ; elle le siffla et l'oiseau siffla à son tour, et lorsqu'elle ria, il ria avec elle. Venant d'un geai, il n'y avait rien de vraiment surprenant, mais, pour moi, c'était la preuve qu'Anta était magique.

— Aaaah ! Voilà notre Emma Watson ! s'écrie-t-elle en me voyant à son tour.

Elle me tend son micro imaginaire :

— Alors, comment allez-vous gérer votre nouvelle vie d'étudiante après cette adolescence de star adulée dans le monde entier ?

Elle continue sa comédie pendant que j'avale mon jus d'orange avec un œuf à la coque et me suis jusque dans ma chambre où je finis de me maquiller. Son sourire bienveillant et son rire si communicatif me font le plus grand bien, je suis vraiment contente qu'elle soit là !

— C'n'est pas un peu trop tout ça ? demande-t-elle en faisant tournoyer son doigt avec dédain en direction de mon short.

— Tu crois ?

J'ai à peine le temps d'en changer que la sonnette de la porte résonne. Je jette un œil à mon téléphone qui affiche six appels en absence de Carole. Zut ! Je serre Anta contre moi et je dévale les escaliers, embrassant rapidement ma mère en chemin.

C'est Alexandre que je vois en premier sur le palier, ses cheveux légèrement décoiffés qui contrastent avec le sérieux de sa chemise bleu pâle, son pantalon beige et sa veste marine parfaitement ajustée. Il me sourit et je sens mon cœur s'écraser contre mes côtes. Alexandre est le frère jumeau de Carole, et même si la ressemblance n'est pas flagrante, leur lien est incontestable. Mais surtout, il est l'amour de ma vie.

De si loin que je me souvienne, j'ai toujours été amoureuse d'Alexandre. Peut être parce que c'était le seul garçon de mon âge que je côtoyais. Côtoyer étant un bien grand mot ; je dirais plutôt que je l'admirais timidement tandis que lui me snobait très franchement.

A l'âge des bacs à sable pourtant, il prenait un certain plaisir à nous martyriser, nous et nos poupées, mais lorsque nous avons commencé à sortir de l'enfance, il nous a soudainement fuies, totalement. Nous nous voyions régulièrement, bien sûr, mais il ne m'adressait pas un mot, pas même pendant les longs dîners que nous passions tous ensemble ; et si je réussissais quelques fois à m'asseoir en face de lui, ses yeux clairs me transperçaient sans aucune émotion.

Par chance, vers nos seize ans, nos parents décidèrent que nous devions être surveillées de plus près, Carole et moi. Anta étant trop indulgente à leurs yeux, ils avaient besoin d'une présence masculine pour nous encadrer. Alexandre fut donc désigné comme une espèce de gardien, et par la même occasion, son meilleur ami Frédéric. Cela convenait parfaitement à nos parents; deux garçons en qui ils avaient une totale confiance et qui pouvaient suivre les mêmes cours que nous, c'était parfait. Quant à nous ; non seulement nous n'étions plus seules mais en plus nous avions pour compagnie les deux garçons dont nous étions secrètement amoureuses, c'était inespéré !

Eux, en revanche, accueillirent moins gaiement la nouvelle.

Les garçons se sont connus vers l'âge de dix ans, et comme Alexandre avait déjà décidé de nous exclure de sa vie, nous ne faisions que croiser Frédéric, occasionnellement. Si, à l'époque, je croyais que c'était l'esprit tordu de Carole qui la poussait à essayer de faire enrager son frère à longueur de journées ; j'ai fini par comprendre qu'il s'agissait en fait de tentatives maladroites pour aborder ce nouveau venu qui lui plaisait tant. Et avec le temps, Frédéric le lui rendait de plus en plus, multipliant les attentions à son égard. Même s'il était difficile de dire s'il s'agissait de courtoisie envers la sœur de son meilleur ami, ou de plus que ça, elle avait la chance que le doute puisse être permis.

Carole a décidé de jouer les ingénues avec une jupe courte, ses longs cheveux lâchés qu'elle entortille machinalement et un rouge à lèvre rouge vif qui met en valeur son immense sourire :

— Ça y est, c'est le grand jour! Enfin !

L'excitation l'empêcherait presque de respirer :

— Tu es prête ? Tu es magnifique ! Je l'ai bien choisie cette veste ! Tu as pas mis ton short ? Ça va moi, tu aimes ? J'ai rien oublié ? Je suis sûre que j'ai oublié quelque chose !

Alexandre, resté en retrait, me lance un regard amusé. Et tandis que Carole continue son flot de paroles, il nous pousse délicatement en direction de la voiture.

J'avais été terrifiée à l'idée d'être surveillée en permanence par ce garçon qui m'ignorait depuis si longtemps, et les premières semaines furent effectivement très compliquées ; nous restions chacun de notre côté, Carole n'osait pas s'approcher de Frédéric et moi je ne pouvais pas soutenir une conversation avec Alexandre ; quant à eux, ils ne faisaient pas le moindre pas dans notre direction.

Heureusement, avec le temps, la complicité entre Carole et son frère a fini par rompre cette glace, et nous nous sommes rapprochés, petit à petit, pour devenir, en quelques mois, inséparables et ravis de l'être. Car en plus de passer du temps avec eux, nous avions beaucoup plus de liberté. Carole pouvait régulièrement négocier des allers-retours en ville où nous allions flâner dans les boutiques et restions discuter des heures dans des salons de thé en dégustant les plus délicieuses pâtisseries de la capitale. Les parents ont même fini par nous octroyer le droit de dîner au restaurant et, pour les très grandes occasions, de boire un verre aux bars de certains hôtels ; car ils mettaient en revanche un point d'honneur à ce que nous ne fréquentions que des endroits très sélects, ça les rassurait.

Carole se jette dans la voiture et la présence d'Insa l'incite à repartir de plus belle. Carole et lui adorent plaisanter ensemble : Insa étant lui aussi très bavard, ils trouvent en chacun une personne capable de partager leur effervescence matinale. Alexandre et moi restons spectateur de leurs sketchs, comme d'habitude, nous contentant de laisser leur bonne humeur nous envahir.

Quelques minutes plus tard, nous apercevons Frédéric devant la palissade de bambous et de bougainvilliers qui colorent l'extérieur de sa villa d'architecte. Les feuillages de l'immense palmeraie intérieure dépassent de plusieurs mètres, laissant deviner un jardin grandiose. Sa mère a indiscutablement une attirance pour ces paysages inspirés de contrées lointaines, et le plus admirable, c'est qu'elle soit parvenue à recréer de tels chefs d'œuvres d'exotisme, ici, en pleine banlieue parisienne.

Sophistiqué, comme à son habitude, Fred porte un veston foncé avec une écharpe de soie prune ; un style vestimentaire qui a toujours tranché avec son attitude je-m'en-foutiste, détail qui contribue grandement à son charme je crois. Mais Carole n'est visiblement pas d'humeur à l'admirer, elle a même l'air très irritée par sa présence. Qu'est ce qu'il a bien pu se passer entre eux encore ?

Cette tension qui gangrène leur relation de façon exponentielle remonte à plusieurs mois déjà, lors d'un de nos weekends à la campagne.

Les Hansen considéraient indispensable pour des citadins comme nous de partir se ressourcer au cœur de la nature et organisaient chaque mois des weekends dans l'une de leurs résidences secondaires. Mes parents nous accompagnaient dès qu'ils le pouvaient ; ceux de Frédéric, eux, étaient trop occupés à s'entre-déchirer dans un divorce houleux durant ces années-là.

Ces journées au vert insufflaient une fraîcheur qui nous était devenue nécessaire à nous aussi ; nous nous occupions des chevaux, partions nous promener de longues heures dans les bois, parfois, il nous arrivait même de mouiller la vieille barque des Hansen dans les étangs environnants pour y observer les jeunes têtards.

Nous nous sentions libres, ordinaires.

A dix-sept ans, nous avons eu le droit d'y aller seuls pour la première fois, tous les quatre, uniquement. Ce fut probablement la victoire la plus importante dans notre quête d'émancipation. Quelques employés veillaient sur nous, bien sûr, mais nous avions malgré tout une liberté nouvelle.

A cette époque, nous adorions nous lancer dans des chasses aux trésors de plusieurs heures. Il faut dire que le contexte s'y prêtait facilement ; les bâtisses de plusieurs siècles conservaient une multitude de traces de leur passé et nos parents collectionnaient en plus tout un tas de pièces d'art anciennes. L'Histoire nous ayant toujours fascinés, nous aussi, nous étions devenus experts en la matière et nous profitions de nos connaissances pour concevoir des indices complexes et nous évader dans un monde imaginaire sans limites.

C'était pendant une de ces chasses, qu'un soir, nous avons chacun emprunté un tournant décisif dans nos relations. Ce fut une soirée particulière, l'une de celles qu'on n'oublie jamais.

Nous avions prévu de passer le weekend dans le manoir de Bourgogne des Hansen, à quelques heures de Paris ; une sublime bâtisse beige au toit gris bleu au milieu d'un domaine de plusieurs hectares. Il fallait rouler au pas en arrivant sur le chemin qui menait à la demeure pour ne pas risquer de renverser un animal qui traverserait en sortant des bois. Cela permettait de prendre le temps d'admirer la prairie aménagée en vignoble, puis l'immense jardin de fleurs entrecoupé de gros arbres fruitiers et d'un long cours d'eau ponctué de-ci de-là de ponts et de bancs en pierre au charme très européen.

Quelques mètres avant d'arriver, alors que la végétation se fait plus discrètes, une vieille chapelle émerge, juste avant les anciennes granges transformées en garages. Apparaît alors la grande tour de l'aile Est, imposant sa domination sur celle, plus petite, de l'aile Ouest, accolée à un balcon en albâtre qui surplombe l'horizon.

C'était en plein été, il faisait chaud et la nuit venait à peine de tomber malgré l'heure tardive. Nous étions tous les quatre sur la grande terrasse à l'arrière de la maison, donnant sur une piscine scintillante, nichée au cœur de grosses roches. Nous profitions de la fraîcheur que ramenait avec elle l'obscurité en buvant un verre, lorsque Carole eut soudain une idée novatrice:

— Si on faisait des équipes mixtes pour notre chasse au trésor ce soir!?

L'interrogation était surtout pour la forme car, comme souvent avec elle, il s'agissait surtout d'une proposition non discutable. Frédéric attrapa la balle au vol.

— Alex et Elsa devrait se mettre ensemble, elle pourra relever un peu le niveau !

Carole s'esclaffa en acquiesçant joyeusement. L'atmosphère entre eux était taquine depuis le début de la soirée et elle ne cessait de lui lancer des regards sulfureux. Je les trouvais très peu discrets et fus étonnée qu'Alexandre les laisse faire. Mais je ne risquais pas de m'en plaindre.

L'intérieur du manoir est tout aussi stupéfiant, avec le large salon de marbre crème nervuré qui reflète une immense table en verre, des appareils High-Tech de toute dernière génération et un grand bar design piqué de cuir. Heureusement, il reste tout de même certaines pièces qui n'ont pas été rénovées et conservent encore l'Histoire de ce manoir, comme les tours et une grande partie des sous-sols.

Lancés par nos indices, Alexandre et moi nous étions rapidement retrouvés à explorer les anciennes caves. Nous inspections les vieux échafaudages, les gros fûts de chêne et les bouteilles recouvertes de poussière parfaitement alignées, dans un silence presque religieux. Soudain, toujours sans un mot, Alex attrapa une des bouteilles, l'ouvrit et avala au goulot de grosses gorgées. Il esquissa un sourire et me la tendit.

J'étais étonnée, décontenancée, mais j'acceptai sans réfléchir. Tout en nous passant la bouteille, nous continuions à examiner chaque détail, du sol rogné par le temps aux pierres centenaires qui construisaient les murs. La pièce était chaude et humide, et la poussière blanche que nous soulevions flottait désormais dans les airs pour nous coller à la peau. La situation était amusante et, l'alcool aidant, nous avons ri comme jamais. Alexandre était drôle, charmant, entreprenant même. Il dessina de ses doigts des motifs sur ma peau et je me demandais s'il pouvait se rendre compte de l'effet que ces gestes avaient sur moi alors que je sentais frémir mon corps tout entier.

Après avoir trouvé un petit symbole arrondi bien caché derrière un fût, nous sommes repartis glorieusement annoncer notre victoire. Nous sommes passés par le jardin pour ne pas semer de poudre blanche dans toute la maison. Sur le chemin, je me suis assise un instant sur une des grosses pierres au bord de la piscine pour remettre ma chaussure. Je me souviens précisément de la façon dont Alexandre s'est approché de moi ce soir là, de la manière dont il a caressé mon visage, maladroitement, mais avec une tendresse que je ne lui connaissais pas :

— Tu ressembles à une geisha avec toute cette poudre, tu ne peux pas rester comme ça ! Ironisa-t-il.

J'attrapai la main qu'il m'offrait pour me relever et j'eu à peine le temps de me mettre sur mes jambes que je sentis le poids de son corps m'entraîner après lui dans l'eau du grand bassin. Il en ressortit en éclatant de rire et ramena sa mèche trempée en arrière sans jamais lâcher mes doigts. Son insouciance m'envahissait totalement, je n'avais jamais partagé autant avec lui, j'étais transportée, déconnectée de la réalité. Un instant j'eu l'impression que la petite fille transie d'amour que j'avais été observait, ébahie, son rêve se réaliser enfin. Nous retenions difficilement nos rires pour ne pas nous faire remarquer ; ce moment était si intense, si fragile, nous n'avions envie de le partager avec personne.

Juste avant de sortir de l'eau, il posa une nouvelle fois sa main sur ma joue, mais cette fois, il la laissa descendre doucement jusque dans mon cou. Un courant électrique me transperça, me figeant sur place. Toutes les émotions qui explosaient en moi m'empêchaient de réagir et Alexandre, certainement choqué par mon inertie, se rétracta immédiatement :

— Désolé, tu avais encore des traces...

Je voulais juste qu'il recommence, je voulais me jeter contre lui, goûter enfin ses lèvres qui m'intimidaient tant, mais au lieu de ça, je restais toujours immobile, impassible. Et c'est comme ça que je transformai ce moment merveilleusement magique en un instant terriblement gênant dont nous ne pûmes nous échapper qu'en sortant précipitamment de la piscine.

— Je vais me changer là haut, balbutia-t-il, mettant fin à notre embarras.

J'essorai ma robe nerveusement en repensant à ma bêtise. Qu'avais-je fait ? Pour une fois qu'il se sentait à l'aise auprès de moi. Maintenant il allait penser que je le fuyais, ou pire, me prendre pour une gamine immature.

Je grimpai les escaliers à toute vitesse, me dépêchant d'aller rejoindre Carole et Frédéric pour ne plus penser à ce qu'il venait de se passer. Mais arrivée en haut, il ne restait plus que des bouteilles vides sur la table abandonnée. Je n'y prêtai pas attention, je voulais juste voir mon amie au plus vite et ne pas risquer de me retrouver seule encore face à Alexandre.

Personne dans le salon. Personne dans la cuisine. Je ne pouvais pas monter à l'étage où il était en train de se changer et il allait redescendre d'un moment à l'autre. Prise de panique, je me précipitai vers le bar et sortis un verre à whisky de la collection des parents de Carole ; ceux que nos pères utilisaient, élargis à la base comme s'ils s'étaient affaissés avant de finir de refroidir. Je me dirigeai pour prendre une bouteille derrière le meuble lorsque mon pied se prit dans quelque chose.

En baissant la tête, je découvris les brides beiges des sandales de Carole, et quelques centimètres plus loin, je la vis, sur le sol, aux côtés de Fred. Ils avaient à peine recouvert leurs corps nus de leurs vêtements froissés et me fixaient en silence. Les pas d'Alexandre se mirent à résonner dans les escaliers, Carole sursauta et me supplia à voix basse. Je lus la détresse et la culpabilité dans leurs regards implorants. Je me ressaisis et pris sur moi pour me précipiter à la rencontre du grand frère.

C'était la première fois que Carole et Fred craquèrent l'un pour l'autre, et pas la dernière. Alex n'en sut rien pendant des mois. Et quand il finit par le découvrir, ce fut un moment compliqué pour nous quatre. Il n'adressait plus la parole à Fred ; il faisait bonne figure devant les parents pour ne pas éveiller les soupçons, mais l'ambiance était atroce.

Heureusement, avec le temps, tout revint dans l'ordre. Aujourd'hui, nous savons tous que leur relation existe et qu'elle est compliquée, mais à mon avis, Alex ne doit pas avoir droit à autant de détails que moi.

Je reçois un texto en même temps qu'un coup de coude de Carole.

« Cette garce de Noémie va aussi à Henri IV! »

Il ne manquait plus que ça.

Noémie est une très belle fille, brune avec de grands yeux noirs brillants et captivants que Fred avait rencontrée un soir dans un bar et qu'il avait raccompagnée chez elle, causant un drame monumental. Ils se sont recroisés plusieurs fois depuis et, bien qu'il n'ait pas eu de relation avec elle à notre connaissance, Carole la déteste profondément. Je dois avouer que c'est vraiment une mauvaise blague du destin que cette fille se retrouve dans la même école que nous. J'espère qu'elle ne sera pas dans la même classe sinon les cours pourraient se transformer en une arène sanglante.

Nous arrivons justement rue de Clovis avec une bonne demi-heure d'avance. Nous avons un peu trop anticipé les embouteillages et les portes sont encore fermées. Nous descendons de voiture sur une dernière blague d'Insa avant qu'il ne reparte.

Nous y voilà.

Juste en face de l'école, les gargouilles de l'immense monument à arcs boutants semblent rire de nous. C'est la paroisse Saint Etienne du Mont, construite au XVème siècle et classée monument historique. Nous profitons du temps que nous avons pour aller admirer sa façade, à l'angle un peu plus loin.

La grande porte principale couleur violine en bois sculpté la rend presque moderne. Elle est encadrée de statues et de hautes colonnes antiques qui rappellent cette nostalgie de l'architecture gréco-romaine typique de la Renaissance. Les détails sont superbes. Les scènes gravées dans la pierre du tympan et de l'imposant fronton y sont si réalistes que je pourrais jurer les voir s'animer sous mes yeux. Et le contraste avec la complexité du style gothique flamboyant qui étale plus haut ses rosaces et ses longues fenêtres à remplage est d'un très bel effet. Mais ce que je préfère, c'est le clocher vertigineux qui s'élève à plus de vingt mètres au dessus du sol, d'une couleur gris turquin, identique à celle des tours, il se dégrade en un bleu givré à sa pointe pour se fondre dans le ciel.

Nous continuons notre chemin dans la jolie rue pavée de la Montagne Sainte Geneviève. Il y a une multitude de petits cafés à la devanture en bois coloré qui donnent un charme très particulier à ce quartier. Je me prends à rêver à tous les bons moments que nous allons pouvoir passer ici et je n'ai qu'une hâte ; découvrir tous nos nouveaux camarades de classe.

De retour devant le lycée, il y a déjà une foule de jeunes en train de passer la grande porte vert-empire encadrée de deux lampadaires en fer forgé. Tous ces étudiants, d'âges et de nationalités variées, partagent une même apparence d'enfants privilégiés à la tête bien faite. Carole n'est pas vraiment dans le ton avec sa jupe courte, et tous les regards se tournent rapidement vers elle.

Pas le moins du monde gênée, et même ravie de son effet, elle balance ses cheveux en arrière et m'entraîne vers l'entrée. Je tente de ne pas totalement disparaître derrière elle en prenant mon air le plus confiant, mais, lorsque nous passons le sas d'accueil, je suis coupée dans mes efforts par une horrible sensation d'étouffement, comme si les murs s'étaient brutalement resserrés sur moi pour m'empêcher d'avancer.  






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