CHAPITRE XII

3 0 0
                                    


Jeudi 1er Mars

La journée d'hier m'a fait le plus grand bien ; j'ai enfin pu profiter d'un tête-à-tête avec Sofyan dans un salon de thé sous les voûtes de la rue de Rivoli, donnant sur les élégantes grilles du Jardin des Tuileries. Le lieu date de la Belle Epoque et mélange avec goût le style typiquement parisien de la salle principale à l'esprit plus moderne du présentoir à pâtisseries, blanc et lisse comme une crème chantilly onctueuse. Les gâteaux y défilent, tous plus somptueux les uns que les autres ; ornés de ganaches chocolat, pistache, fraise, ou agrumes, de coques pailletées, tantôt arrondies, tantôt anguleuses, et de fruits sublimes. J'en ai l'eau à la bouche rien que d'y repenser.

Nous sommes ensuite allés nous promener dans les jardins du Palais du Louvre par l'allée de Castiglione. Nous avons été accueillis par ses majestueuses sculptures en bronze et avons longé la pelouse parfaitement taillée sur laquelle semblaient danser les statues de pierre. Quelques couples assis de-ci de-là sur les exèdres admiraient eux aussi le paysage. Nous avons continué jusqu'au Grand Bassin dans lequel s'entrechoquaient les petits navires d'enfants hilares, et, gagnés par cette ambiance douce et familiale qui nous transportait dans un futur heureux, nous avons discuté d'un avenir à deux, radieux. Nous avons parlé de nos études, de l'appartement que nous pourrions prendre ensemble, de la vie qui nous attendait... Et rien ne m'avait jamais paru si merveilleux.

Au pied de l'arc du Carrousel, nous nous sommes installés pour admirer le Musée du Louvre s'illuminer. Ses pavillons aux moulures délicates étaient mis en valeur par les jeux de lumière et s'étendaient tout autour de nous telles les ailes d'un papillon qui nous protégeait du monde réel. Nous sommes restés un long moment dans les bras l'un de l'autre; nous ne pensions qu'à nous, à notre bonheur, et cela nous a fait le plus grand bien.

Mais ce matin, la réalité m'a rapidement rattrapée. Anta était dans ma chambre à la première heure, plus impatiente que jamais. Je lui ai parlé du compte secret des Hansen mais ça ne l'a pas intéressée plus que ça. Elle n'avait qu'une priorité; le docteur Martin :

— Je me fiche de savoir si des cailloux nous conseillent d'attendre, je n'ai plus la patience, je sais qu'il a un rapport avec tout ça, je veux savoir lequel, j'ai BESOIN de savoir ce qui s'est passé !

Sa voix tremblante de colère et de peine avait fini de me convaincre que nous n'avions plus le choix. Il fallait que nous arrivions à entrer chez lui et ça n'allait pas être simple.

Le docteur vit dans un bel immeuble du 167me arrondissement avec concierge et entrées sécurisées, il va falloir se montrer discrètes, et surtout, nous assurer qu'il ne sera pas chez lui.

— Prends rendez-vous avec lui, suggère-t-elle.

Je redoutais cette idée ; je n'ai aucune envie d'inviter cet homme chez moi, encore moins de laisser Anta aller seule chez lui, mais malheureusement, je ne vois pas non plus d'autre solution. Le docteur Martin s'occupe d'une liste de patients privilégiés, il n'y a que moi qui puisse l'inciter à sortir, et je suis sûre qu'il viendra. Mais avant tout, Anta doit être prête.

Je ferme à clef la porte de mon placard :

— Si tu dois aller là-bas, aucun verrou ne peut te résister.

Je me recule et le mécanisme saute en quelques secondes à peine. C'est déjà extraordinaire d'être capable de faire ça, et que nous ayons toutes les deux ces mêmes pouvoirs, c'est incroyable. J'ai même du mal à concevoir qu'il s'agisse d'une coïncidence ; ou alors, cela voudrait dire qu'il y a bien plus de gens comme nous que ce que nous pouvons penser.

Nous partons discrètement dans la chambre de mes parents pour passer au niveau supérieur ; je connais le code de leur coffre-fort mais pas Anta, ce devrait être le meilleur test. Elle se met au travail, se concentrant très fort sur chaque pièce métallique. Après quelques minutes il ne se passe toujours rien, je vois ses sourcils se froncer de plus en plus et je commence moi aussi à m'inquiéter.

SACRAS - Tome I : PréludeWhere stories live. Discover now