CHAPITRE VI

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Nous courons dehors à la recherche d'Insa et de ma mère, mais personne ne nous répond. Nous sautons dans un taxi en direction de l'Hôpital Pitié-Salpêtrière où Césilia a été admise en urgence. C'est à l'autre bout de Paris, heureusement, il n'y a pas de circulation.

L'hôpital est immense. Nous traversons un jardin, une chapelle et un autre bâtiment en pierre avant d'arriver devant les urgences. Anta, toujours sans dire un mot, serrant son portable d'une main et mes doigts de l'autre, s'élance à l'intérieur. Nous sommes brusquement arrêtées par une infirmière. Elle nous oblige à nous assoir en attendant que le chirurgien en charge de Césilia ne vienne nous voir. Les secondes paraissent interminables avant qu'un docteur aux cheveux grisonnants ne s'approche de nous, les traits marqués et la mine creusée par les trop nombreuses heures de service :

— Mademoiselle Kane...

Sa voix s'étouffe et son regard n'arrive pas à soutenir celui d'Anta :

— Je suis navré, nous n'avons rien pu faire.

Je me souviendrai à jamais de ce cri qui me glace le sang tandis qu'elle s'effondre sur le carrelage froid de l'hôpital. Je reste figée à la regarder se noyer dans la douleur, incapable de la consoler. Aucune de nous n'entend les mots du docteur ni ne voit les autres patients qui nous scrutent avec pitié. Mais qu'est ce que je pourrais bien lui dire pour alléger cette souffrance ?

Les images défilent dans mon esprit, je revois Cécilia et son sourire, et puis je vois une enfant, un village aride, une roue, quatre triangles, et le noir total... Je tombe à genoux à côté d'Anta, complètement embrumée. Je l'entends suffoquer dans ses sanglots, je l'enlace de toutes mes forces, j'aimerais pouvoir l'aider, la réconforter, mais je sais que ce moment terrible va changer sa vie à tout jamais, il n'y a rien que je puisse faire contre ça.

Ma mère arrive à son tour. Elle fond en larmes en nous voyant recroquevillées sur le sol javellisé, seules et perdues. Elle s'agenouille et nous couve comme des oisillons déboussolés, mais je n'entends pas ce qu'elle dit, j'ai l'impression d'être dans un vieux film; muet et sans couleur. Je la vois maintenant se lever et foncer sur le docteur, elle gesticule, elle est très agitée, je ne l'ai jamais vu comme ça. Elle finit par se calmer. Anta aussi.

Nous rentrons toutes les trois à la maison, choquées et effondrées. Insa, lui, est toujours sur répondeur.


Dimanche 27 Novembre

Le soleil n'est même pas levé mais je ne peux plus dormir. Les événements d'hier me hantent, les cris d'Anta, la douleur, la sienne, la mienne, celle de ma mère. Et puis il y a toutes ces interrogations, la lettre, le symbole, Insa... Toutes ces choses qui me gardent éloignée quelques instants de la plus terrible des réalités : jamais plus nous ne reverrons le doux sourire de Césilia.

Anta a passé la nuit dans la chambre d'amis. Elle a fini par s'endormir dans mes bras vers une heure du matin, épuisée de peine. J'imagine qu'elle doit être réveillée elle aussi.

Je descends préparer le petit déjeuner. Il n'y a personne en bas pour le moment et un silence de plomb pèse sur la maison. Anta me rejoint au bout de quelques minutes à peine. Ses yeux sont gonflés de larmes et de fatigue et je distingue dans son regard une lueur inhabituelle de peine mais aussi de haine.

Je lui propose de sortir prendre l'air et je l'emmène au pied de notre grand chêne préféré. Je voudrais lui donner un peu d'espoir, l'aider à faire son deuil, mais nous ne savons même pas vraiment ce qu'il s'est passé. « Elle a été heurtée par un train » nous a dit l'infirmière. Comment Césilia a-t-elle pu être heurtée par un train ? Elle ne prenait même pas le métro.

SACRAS - Tome I : PréludeWhere stories live. Discover now