Les Chroniques d'Idan (tome 2...

By QueenCharlieBradbury

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(À lire après "LA Dernière Banshee" pour éviter tout risque de spoilers !). Montée sur le trône des Enfers a... More

Préface❤
Prologue
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXX
Chapitre XXXI
Chapitre XXXII
Chapitre XXXIII
Chapitre XXXIV
Chapitre XXXV
Chapitre XXXVI
Chapitre XXXVII
Chapitre XXXVIII
Chapitre XXXIX
Chapitre XXXX
Remerciements [+ tome 3]
HS - Histoire à suivre

Chapitre XXIX

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By QueenCharlieBradbury

— Tu pars déjà ?

Un ton chaleureux et pourtant hésitant, un timbre de voix grave, mais qui manque d'assurance, une énergie que je reconnaîtrais entre mille... Mes lèvres forment un maigre sourire tandis que je reste de dos, toutes mes pensées focalisées sur le voyage à venir. 

— Autant faire ça rapidement. Je ne tiens pas à faire traîner cette histoire plus qu'elle n'aurait dû, je réponds de manière posée et calme. 

Au fond de moi, je suis étonnée. Je pensais qu'à l'idée de devoir retourner aux Enfers pour y juger les crimes commis par ma mère, j'aurai plus de colère et de ressentiments en moi. Et pourtant, je suis d'un calme presque perturbant. Mon rythme cardiaque est stable, mes pensées parviennent à s'aligner et non à s'entrechoquer les unes dans les autres. 

— Si je ne te connaissais pas, je dirais que ça ne te fais rien, soupire-t-il. 

Même de dos, je sais qu'il est en train de replacer l'une de ses mèches de cheveux. C'est son tic, lorsqu'il parle de quelque chose qui lui tient à cœur. Et ma mère a tenu, pendant un temps, une grande place dans le sien, bien qu'il se refuse à l'avouer. Il soupire de nouveau, attirant cette fois mon attention. Avec lenteur, je fais demi-tour, terminant de boucler la ceinture de mon pantalon. 

— Mais tu me connais, je lâche après quelques secondes de silence. 

Il hoche la tête, les bras légèrement croisés sur son torse. 

— Mais je te connais, répète-t-il, comme pour se rassurer. 

Autour de nous, le vent fait bouger les feuilles d'arbres, créant une mélodie nocturne à la fois mélancolique et douce. En bas de la falaise, sur laquelle nous nous tenons, j'entends le ressac des vagues qui frappent les rochers avec violence. 

Dans le ciel, la lune, presque pleine, éclaire d'une faible lueur nos visages, permettant à nos regards de se parler. Je ne sais pas exactement ce que je suis supposée répondre à présent. Pardon ? Comment tu te sens ? Je n'en sais rien. Alors je laisse le temps défiler, mes yeux gris plantés dans leurs jumeaux. 

— Tu te sens capable de prendre la bonne décision ?, ajoute-t-il après un temps. 

J'expire longuement, le regard dans le vague. Je n'en sais rien. Pendant un temps, c'était très clair dans mon esprit: qu'elle aille se faire voir, elle et toute sa philosophie. Qu'elle aille aux Enfers, qu'on la torture, qu'on brise son égo et son pseudo-mental de guerrière. 

Je voulais qu'elle souffre, comme elle avait fait souffrir d'autres personnages. Je voulais qu'elle sache que j'étais plus forte qu'elle, à présent. J'avais ce besoin, presque vital, de lui prouver que malgré tout ce qu'elle avait pu dire de moi, j'étais devenue quelqu'un. 

Que ça soit quelqu'un de bien ou de mauvais, ça n'avait pas d'importance. Mais je voulais voir la souffrance dans ses yeux, lire la douleur dans ses cris et entendre le supplice de ses muscles. 

— Je sais ce qu'elle mérite. Après, est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise décision, je suppose que ça n'est plus de notre ressort. Elle mérite une sentence à la hauteur des crimes commis. Je ne sais juste plus si je serais capable d'appliquer la sentence moi-même, j'explique. 

Il fronce les sourcils, visiblement surpris par ma réponse. 

— Tu as passé le plus clair de ta vie à t'entraîner dans ce but. C'était ta motivation pour te lever, t'entraîner... C'est cette même idée qui t'a aidé à tuer, les premiers temps. Si quelqu'un est capable d'appliquer cette sentence, c'est bien toi, réplique-t-il. 

Baissant les yeux quelques secondes, je hoche doucement la tête, appréciant le contact du vent sur mes bras nus. Etant donné que je rentre en Enfer, j'avais pris soin d'enfiler un jean fin noir, ainsi qu'un top de même couleur, sans manche. 

Pour parfaire la tenue, j'avais ressorti mes bottes dites "de combat" noires qui remontent jusqu'en-dessous des genoux.  Puis, j'avais attaché mes cheveux en une tresse française serrée pour qu'aucune mèche ne vienne me gêner, si j'avais besoin de me battre. 

Parce qu'à chaque fois que je pars pour les Enfers, je ressens le besoin de m'habiller comme si j'allais combattre. C'est presque instinctif. 

— Et si je l'achève de mes mains, je lui prouverais qu'elle a réussi. Qu'elle a fait de moi une meurtrière sans âme ni éthique. Que je suis un bourreau, à la place d'être une Reine. Et bien que j'ai cru, pendant un long moment, que c'était le cas... Je crois que je suis enfin prête à prouver le contraire. Je ne serais peut-être pas une Reine tout de suite, mais quand viendra mon tour, j'en serais une bonne. Et je n'ai rien d'un bourreau, plus maintenant. J'ai changé et il est grand temps que je le montre. 

Mes yeux rencontrent finalement ceux de mon père qui m'observe, en silence. Je lis la fierté dans ses yeux et un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque j'aperçois une larme couler sur sa joue gauche. Il ne dit rien, il me sourit en retour, les yeux brillants. 

Je ne sais pas ce qu'il a ressenti en m'entendant parler, mais il semble fier de moi. Je n'avais pas lu cette émotion chez lui depuis un sacré moment. Depuis que j'ai frappé un garde qui croyait que j'étais une intruse, il me semble. 

Mais à cet instant, ce n'est pas au passé que je pense. C'est au futur. Un futur que je me sens incapable d'envisager sans mon père à mes côtés. Et quoi qu'il ait pu se passer entre nous depuis ma naissance, malgré toutes les trahisons, coups dans le dos, abandons et rejets, c'est à cet instant que je me rends compte d'à quel point j'ai besoin d'un père dans ma vie. 

Même si ce père est Lucifer et même s'il y aura encore des bas, j'ai besoin qu'il me guide et non qu'il me regarde grandir en silence. 

Comme s'il avait senti mon changement d'opinion, il s'approche de moi et m'enferme dans une étreinte à la fois tendre et émotionnellement violente. Une étreinte qui dit pardon tout en me remerciant. Une étreinte qui promet tout, tout en s'excusant pour rien. 

Il fait nuit, froid et d'ici quelques heures, je mettrais à mort ma propre mère. Et pourtant, pour rien au monde je voudrais que les choses se soient passées différemment. J'avais besoin d'être trahie, brisée et traînée dans la boue pour me construire. 

J'ai besoin d'être admirée, appréciée et demandée pour grandir et j'aurai besoin d'être instruite, conseillée et épaulée pour régner. Et même s'il n'a pas eu le rôle le plus simple, mon père avait comprit tout ça bien avant moi. C'est pourquoi nous sommes là, à deux heures du matin, en train de nous étouffer mutuellement pour pardonner l'autres. Et c'est une chose que ma mère ne saura détruire. 

Me défaisant de l'étreinte de mon père pour le regarder dans les yeux, je lui souris et hoche frénétiquement la tête pour chasser les émotions qui m'assaillent. J'ai besoin de me vider la tête pour pouvoir me concentrer sur l'événement qui arrive. 

Je ne peux pas prendre une décision allant à l'encontre de ce que je viens de découvrir. Mon père recule également, ouvrant ses ailes pour les secouer, comme s'il chassait d'éventuelles fourmis. Après un dernier regard sur moi, il  replie ses ailes et expire bruyamment, me faisant légèrement sursauter. 

— Tu sais, la dernière décision "difficile" que j'ai prise en tant que Roi, c'était à propos des Dullahans, m'avoue-t-il. 

J'opine du chef, un léger sourire sur les lèvres à l'évocation de ce souvenir. 

— Je me souviens de ça. La première fois que j'ai amenée Samantha en Enfer, je t'avais dit que les Dullahans nous avaient attaqué. Et toi, tu avais dit.... Tu avais parlé d'une violation d'un accord, je crois. J'avais cru comprendre que ça n'était pas resté impuni, mais je n'ai plus revu de Dullahans depuis la Thaïlande. D'après Lilith, certains auraient attaqué Idan mais ils n'ont pas survécu. 

Lucifer sourit et lâche un petit rire nerveux. 

— Je te l'ai dis. Un pacte avec le Diable a des conséquences. Les Dullahans qui ont attaqués Idan étaient les derniers de leurs espèces, me réponds mon père, l'air sombre. 

Mes yeux s'ouvrent en grand tandis que je contiens un cri de surprise. 

— Tu as anéanti une espèce entière ?, je lâche d'un coup. 

Mon père m'observe, un petit sourire fier sur le visage. Se rengorgeant un petit peu, il hoche la tête tandis que ses mains se tordent légèrement, comme pour expliquer ses pensées. 

— C'était l'accord. J'autorisais leur espèce à vivre, les cachant du monde humain et d'Idan. Et en échange, ils devaient vivre de manière pacifique. Ils ont trahis leur promesse, j'ai repris la mienne. Un accord avec le Diable se termine rarement de manière bénéfique, en même temps. Je les avais prévenus, mais il faut croire que l'appât du gain a été plus fort, soupire-t-il. 

Je fronce les sourcils suite à cette déclaration. 

— L'appât du gain ? Je vois mal quel genre de gain les Dullahans peuvent vouloir. 

Lucifer soupire. 

— Le genre de gain qui leur auraient permis d'annuler leur accord avec moi en en passant un autre avec la seule personne que je ne peux pas juger, parce que j'y suis attaché "émotionnellement", grimace-t-il. 

Je grogne en réponse. 

— Les Dullahans travaillaient pour Madera ?

Lucifer hoche la tête. 

— Et pas qu'eux. D'après ce que j'ai cru comprendre, elle avait aussi recruté deux Sebeks pour débusquer et affaiblir Samantha avant même que celle-ci ne sache qui elle était. Heureusement pour elle, tu étais là, déclare-t-il. 

Je cligne des yeux. Pardon ? 

— Elle... C'est elle qui... Ceci dit, tout prend un sens. Je ne comprenais pas pourquoi ils l'avaient mise à l'écart et révélé ses antécédents. Mais en effet, si Madera était derrière tout ça, c'est plus logique. Je suppose que je peux ajouter ça à sa liste de crimes. Après tout, un de plus...ça ne va pas changer grand-chose. 

Lucifer sourit. 

— Essaye juste de ne pas venger ce qu'a subit Sam' à travers elle.       

Je me tourne vers lui, un sourire sur les lèvres, un sourcil haussé. 

— Pour qui me prends-tu ? 

Sur cette question, nous partons dans un fou-rire libérateur. Même si ses méthodes sont plus que discutables, mon père a toujours su me faire rire et oublier mes pensées les plus sombres. Et dans ces moments-là, c'est d'autant plus dommageable. 

Je le prends une dernière fois dans mes bras avant de me voir s'envoler tandis que le paysage autour de moi devient flou. Après d'innombrables secondes à regarder un paysage se décomposer pour en composer un nouveau, je suis finalement libre de pouvoir bouger à mon aise. 

Un sourire toujours plaqué sur le visage, je remarque que j'ai atterri dans le couloir menant au bureau qu'occupait autrefois mon père. En silence, je pousse la porte de mon bureau. Un sourire m'échappe lorsque je me rends compte de ce que je viens de penser. 

La porte de mon bureau. Je n'y ai passé que quelques maigres heures en tant que Reine et pourtant, je le considère comme mien. Malgré la pénombre, j'aperçois chaque objet clairement, presque comme s'ils m'attendaient pour exister. 

Depuis mon départ, rien n'a changé -sauf si faire la poussière est considérée comme un changement- et j'ai pourtant l'impression de ne plus être à ma place. Quelque part, cela me réconforte dans l'idée que je ne suis pas encore prête à régner, mais un peu de peur égratigne mon cœur. Est-ce qu'un jour, je cesserai de douter de moi-même ? C'est clairement un trait humain et il n'y a rien d'humain en moi. 

Admirant le bureau dans la pénombre, un grognement sourd sort de ma gorge lorsque les lumières s'allument d'un seul coup. Je pose une main devant mes yeux le temps de m'habituer à cette vive source de clarté, l'autre main dégainant une lame effilée. 

Je ne sais pas qui a cru qu'il était de bon ton de m'aveugler de la sorte, mais ladite personne risque de payer cette erreur très cher. En entendant un bruit sur ma droite, je plonge en tranche l'air d'un mouvement vif et précis. Un gémissement de douleur sort de la gorge de l'intrus et je retire ma main, acceptant la lumière qui baigne dans la pièce. 

Trouvant enfin la source de cette intrusion, je ramène ma lame vers moi et baisse mes épaules d'un coup tout en expirant, montrant ma désapprobation. Face à moi, Lilith a posé sa main sur son ventre, sur lequel je remarque une estafilade rougeoyante. un soupir m'échappe et je lève les yeux au ciel tandis que la Démone me sourit. 

— Ravie de te revoir aussi Aoile, souffle-t-elle. 

Je plisse les yeux. 

—  La dernière fois qu'on s'est vue, on ne s'est pas quittée en bon terme. Considère toi heureux de n'avoir qu'une coupure, je lâche de mauvaise grâce. 

Cette dernière grogne en retour. 

— D'accord, j'avoue que je n'ai pas réagit de la meilleure manière possible. En même temps, tu as préféré sauver un Oracle plutôt qu'un Démon ! Tu es notre Reine, tu ne peux pas te permettre ce genre d'écart, proteste la Démone. 

Je croise les bras sur mon torse, glissant ma lame dans ma botte droite. 

— Rien n'a officialisé mon titre encore. Le Conseil ne fait que douter, lancer de belles paroles et me mettre à l'épreuve. Qui plus est, Thomas n'est pas "un Oracle". C'est aussi un ami. Pratiquement un petit frère, je lance. 

Lilith me sourit. 

— Dans ce cas, je m'excuse. Je ne savais pas. Mais si je suis là, ce n'est pas vraiment pour m'excuser ou demander des explications. Je suis là pour...commence-t-elle.

— M'emmener au tribunal, je termine. 

Lilith hoche la tête. Son regard devient plus dur, elle secoue sa main et j'observe sa blessure se résorber tandis que sa marque qui la lie à mon père s'illumine. Je ne savais pas qu'elle pouvait faire ça, c'est impressionnant. 

Une fois cela fait, elle se redresse et prend un air plus sévère et intimidant, bien que cela ne marche pas sur moi. S'approchant de moi, elle m'indique le chemin à suivre et je lui emboîte le pas, pressée de laisser cet instant derrière moi. 

Quittant le bureau pour marcher dans les couloirs vides du bâtiment, j'ai pleinement le temps de penser au jugement qui arrive ainsi que d'un moyen de prendre la vie de ma mère en montrant mon changement aux Démons.  

Je ne sais pas combien de temps nous marchons, quittant l'immeuble plein de bureaux pour entrer dans la ville même. Dépassant de nombreuses maisons, ainsi que le Palais qui abrite les fêtes, on bifurque vers la droite pour arriver à un flanc de colline. 

Ici, encastré dans la roche, se trouve trois différentes maisons. L'une d'elle est occupée par le Conseil et c'est ici qu'ils m'ont amenés la dernière fois. Un frisson me parcourt rien que d'y penser. 

Celle du milieu sert au commémoration mortuaire, c'est ici que j'ai pu passer du temps seule à faire le deuil de mon père. Elle est très simple, presque toujours ouverte mais rarement pleine. Les Démons n'aiment pas le deuil. 

Et enfin celle de droite sert aux jugements. Elle est directement reliée aux Enfers, ce qui permet aux juges d'y envoyer directement certains jugés. Seul le Roi (ou la Reine, désormais) peut envoyer quelqu'un aux Enfers directement, via ses pouvoirs. 

Le reste des Démons doivent passer par cet endroit qui, du coup, avoisine les cent-treize degrés. Seule la magie nous permet d'y tenir sans brûler instantanément. Je n'y suis allée que deux, peut-être trois fois, lorsque j'avais besoin de me cacher de Dame Madera. 

Lilith s'approche de la porte et au moment où elle allait l'ouvrir, je lui attrape le bras. Elle se tourne vers moi, sourcils froncés et retire son bras de mes mains d'un geste sec. Croisant les bras sur son torse, elle attend que je m'explique. 

— Je connais la sentence à appliquer, je commence. 

Lilith hoche la tête. Elle ne dit rien, sans doute parce qu'elle ne voit pas où je vais en venir. 

— Je refuse de l'appliquer moi-même, j'explique. 

Lilith ouvre de grands yeux mais reste muette. Comme mon père, elle ne s'attendait sans doute pas à ça. Reprenant ses esprits rapidement, elle sort de son mutisme: 

— Alors comment tu comptes faire ça ? Tu comptes faire léviter ton arme pour lui couper la tête à distance ?

Ignorant son ironie, je me plante fermement devant elle, sort ma lame de ma botte et lui tends. Comprenant ma demande à demi-mot, la Démone me fixe, incrédule. Je vois dans son regard qu'elle hésite à l'attraper, comme si ma lame allait la brûler. 

Doucement, j'attrape sa main et lui dépose la tsuka* de mon arme. Refermant son poing dessus, ses yeux font un aller-retour entre moi et le katana, sans dire un mot. Je souris et retire ma main, la laissant soupeser l'arme avec douceur et respect.

— J'ai confiance en toi Lilith. Et je ne connais personne d'autre, en dehors de moi, avec assez de rage pour venir à bout de cette femme, j'avoue.      

Son sourire lorsque ses yeux croisent les miens prouvent que j'avais raison. Il n'y a personne de plus qualifié que Lilith pour achever Dame Madera. Après tout, les deux femmes sont sur un pied d'égalité dans le coeur de mon père. Et si quelqu'un doit gagner, je préfère que ça soit Lilith. Au moins, elle le mérite. 

  — Merci Aoile. 

Terminant ainsi notre échange, je prends les devants et pénètre dans l'enceinte du bâtiment. Autour de moi, différents Démons discutent et rient tout en allant de placer. Comme chez les Amazones, la structure rappelle celle du Colisée Romains. 

Tout autour d'un cercle proprement tracé se dressent les gradins, sur lesquels les Démons s'installent dans la bonne humeur. Pour beaucoup, ce jour de jugement n'est qu'un jour parmi tant d'autres. Pour une minorité, on juge une criminelle qui leur a fait du tort dans le passé. Certains d'entre eux sont des mères dont Madera a tué l'enfant, par revanche envers moi et mon père. 

Dans le cercle, il y a un bureau derrière lequel s'est déjà installé un juge. Cheveux blancs, barbe de cinq jours et visage émacié, il a de quoi faire peur à n'importe qui. Ses yeux sont si clairs qu'ils paraissent transparents, ce qui ne change en rien mon opinion à son sujet. 

Ce Démon était déjà classé comme "terrifiant" par ses confrères humains avant d'atterrir ici, c'est certain. Face à lui, enchaînée et plus pâle que la lune, se tient ma mère biologique. Dame Madera regarde autour d'elle, dévisageant les personnes qui se tiennent autour d'elle sans qu'aucune émotion ne la traverse. Jusqu'à ce que son regard me trouve. 

J'entre dans le cercle sous ses yeux fatigués et l'espace d'un tout petit instant, je pourrais la prendre en pitié. Ses cheveux blonds sont désormais courts, s'arrêtant presque sous ses oreilles. Ses yeux sont mi-clôs tandis que des cernes violettes s'étalent sous ses yeux. 

Elle est maigre, je crois deviner ses côtes sous l'ample haut "offert" par la prison. Elle a clairement perdu de sa superbe. La mannequin parfaitement maquillée est devenue une taularde blafarde qui hantent les cauchemars des adultes, comme des enfants. 

Du sang séché dépasse de son nez et de son front, tandis que ses bras témoignent des violences qui sévissent parmi les prisonniers. Clairement, elle a déjà souffert. Pour autant, elle ne parle pas ni n'essaye de m'amadouer. Au contraire, elle tente de se redresser et de me regarder de haut, sans résultat. 

Je passe devant elle sans un mot, m'arrêtant seulement aux côtés du juge, qui m'observe. Puis, il se lève et avec un sourire, désigne une chaise placée exprès à côté de lui. Je ne suis pas sûre de vouloir m'asseoir à côté du Mort-Noël, mais je n'ai pas vraiment le choix. 

Du coin de l'oeil, je repère Lilith qui est appuyée contre un mur, derrière Madera. Elle reste dans l'ombre pour l'instant, observant son ennemie tel un félin. D'ici quelques minutes, elle pourra enfin faire ce dont elle rêve depuis plusieurs millénaires. 

— Bienvenue à tous ! Aujourd'hui, nous allons procéder au jugement d'une Démone autrefois privilégiée. Un rappel à tous que, quelque soit votre position, vous n'échapperez pas à la justice. Une Démone dont la vie touche à son terme, quel que soit la décision de notre future souveraine. Aujourd'hui, jugeons Dame Madera, la tueuse d'enfants, annonce le juge. 

Autour de nous, la foule acclame ses paroles, dans un concerts de cris, applaudissements et huées. Au centre de leur attention, ma mère les regarde d'un oeil mauvais, mais son éternel sourire mesquin sur le visage. 

La connaissant, elle doit se croire au-dessus des lois. Elle doit penser que je vais la sauver, sans doute espérant jouer sur certaines de mes faiblesses. Parce qu'elle est Dame Madera, mère de la future souveraine. Elle se croit protégée. Si elle savait. 

Me levant à mon tour, j'adresse un sourire à l'homme à mes côtés avant d'observer la foule. Je sais que certains ne m'approuvent pas. Je sais que le Conseil est ici et ils doivent probablement faire l'éloge du "souverain modèle" qu'ils gardent sous le coude. 

  — Je remercie notre juge pour ses sages paroles. Cependant, je me dois d'éclaircir certains points. Je suis l'enfant de Lucifer, notre ancien Roi. Et de cette femme, que nous jugeons aujourd'hui. Malgré cela, je ne suis pas émotionnellement trahie par de la haine, de la colère ou une once d'amour pour la criminelle que vous présentez. Et même si je l'étais, je ne suis pas celle qui appliquera la sanction choisie, j'assène, savourant l'effet de mes paroles sur Dame Madera. 

Perdant sa dernière once de contenance, ses yeux se vident de toutes émotions et je vois des larmes pointer. Elle a compris. Aujourd'hui est le jour où elle paye pour ses crimes. Aujourd'hui est le jour où sa vie prend fin. Et la mienne commence enfin. 

Derrière Madera, Lilith s'approche enfin dans la lumière, attirant sur elle les regards et les messes basses. Fière de son effet, la jeune Démone se pavane un instant avant de s'approcher de la captive et se baisser pour lui parler. 

Le juge se lève de nouveau, me permettant de me rasseoir. De manière assez ennuyeuse, il liste les crimes commis par Madera. Des meurtres d'enfants, de la manipulation mentale sur d'autres Démons, lever une armée hors des Enfers... 

Mais ce qui m'intéresse, c'est la réaction de Lilith. Je ne sais pas ce que lui dit ma mère, mais la jeune femme a pâli et désormais, me fait signe de venir les rejoindre. M'excusant auprès du juge, je lui confie également le dernier crime dont m'a fait part mon père avant de rejoindre Lilith. 

A la mention du crime contre la Banshee, le peuple émet des cris horrifiés. Il faut dire qu'ils sont tous au courant de ce qu'annoncerait la fin des Banshees: le retour du Chaos. Qui est déjà de retour, par ailleurs. Mais ils ne sont pas tous au courant. 

Finalement, je rejoins Lilith et Madera. Cette dernière m'observe d'un oeil torve tandis que Lilith semble paniquée. Je tente de conserver une apparence normale alors qu'à l'intérieur, je savoure ma victoire. Quelque chose me dit que ça ne va pas se passer comme prévu. 

— Aoile, commence Madera. 

Je balaye l'air devant moi d'un geste de la main. 

— Qu'est-ce que tu veux ? 

Dame Madera soupire. 

— Profiter de ma dernière vie. Ne pas mourir aujourd'hui. Et je sais que tu me laisseras avoir cette dernière volonté, plaide Madera.  

Lilith hoche la tête tandis que je hausse les épaules. 

— Vraiment ? 

Madera sourit. 

— Vois-tu, si je meure maintenant, ta place sera remise en question. Tu es plus proche de moi, en terme d'image publique, que de ton père. Si je meure, tu seras la fille d'une criminelle. Voir même, celle qui a mis à mort sa propre mère. Crois-tu que les Démons, le Conseil, autoriseraient quelqu'un d'aussi monstrueux à monter sur le trône ? Alors que si tu me laisses partir, ils verront ta clémence, ta bonté. Et tu seras leur Reine, souffle-t-elle en battant des cils. 

Dans mon dos, le juge récite alors la sentence: la mise à mort. Seulement, la décision finale me revient. C'est à moi d'autoriser, ou non, ce jugement. Devant moi, Lilith m'observe, mais je sais ce qu'elle pense. Dame Madera a raison. 

Si je la laisse mourir, jamais les Démons ne verront en moi la Reine que je pourrais être. Je resterais, pour eux, la meurtrière qui n'hésite pas à tuer ses propres parents pour le pouvoir. Mon image sera pire que celle qu'à Dame Madera. Alors que si je la laisse vivre.... 

Si elle vit, on verra ma bonté, mon changement. Seulement, je ne serais pas en paix, sachant qu'elle pourrait sévir, toucher mes proches à n'importe quel instant. Si elle veut vivre, c'est qu'elle a un plan. Elle veut faire quelque chose de mal. 

Le dilemme est de taille. Vais-je devoir taire ma conscience, ou celle du peuple ? Quelle image dois-je garder pour ne pas griller toutes mes chances d'être Reine ? Le peuple attend sa tête, quoi qu'elle en dise. Mais puis-je l'offrir sans ruiner mes chances. 

Devant moi, elle minaude, essayant d'ancrer dans ma tête ses paroles. Elle me manipule, encore une fois. Seulement aujourd'hui, elle a peut-être raison. J'expire longuement, levant la tête vers le peuple. Dans les yeux de certains, je ne vois aucune hésitation: elle doit mourir. 

Pour d'autres, c'est moi qu'ils jugent. J'adresse un regard à Lilith, qui secoue la tête et m'offre un sourire crispé. Elle est loin de la Démone brutale et sanguinaire qu'elle peut être d'habitude. Aujourd'hui, elle est vulnérable. Pour moi. Pour m'aider. 

— Tu as raison. Te tuer, c'est oublier le trône, pour toujours. C'est laisser quelqu'un de potentiellement indigne monter dessus et créer un chaos ici. Et je ne les laisserais pas faire. Alors aujourd'hui, je prend ma décision, soufflé-je. 

Ma mère retrouve aussitôt son habituel sourire, tandis qu'avec un dernier mouvement de tête vers Lilith, je me détourne d'elle. Observant la foule qui attend ma décision, je retiens mon souffle. Est-ce que j'ai les épaules pour supporter ce qui va suivre ? 

— Aujourd'hui, dis-je en me tournant finalement vers Dame Madera et plongeant mes yeux dans les siens, c'est ton heure de gloire maman, je lâche avec un mince sourire. 

La Démone se relève au moment où la lame de mon katana percute son cou, envoyant sa tête rouler à plusieurs centimètres de son corps. Tendue, le souffle court et le regard vide, Lilith plante mon katana dans le sable, juste devant moi, avant de s'agenouiller face à moi. 

Dans le même état qu'elle, j'observe d'un air détaché la tête sans vie de ma mère. Ses yeux sont emplis d'une joie malsaine, qui n'a pas duré bien longtemps. Elle est morte en pensant avoir gagné et cette fois, elle ne reviendra pas. 

Je ferme les yeux et laisse la liesse de la foule se propager à travers moi. Cette fois, j'ai gagné. Elle ne reviendra plus. Maintenant, je dois gérer les retombées de cet acte. De cette mort. Si la foule crie "hourra", le Conseil me dévisage, l'air sombre. Je n'ai peut-être pas tout gagné aujourd'hui. 

— Et maintenant ?, me demande Lilith. 

Je lève les yeux une nouvelle fois vers le Conseil. 

— Maintenant, je vais régner, je murmure. 

_______________________________________________________________

*la "tsuka" d'un katana est l'équivalent de la "poignée" d'une épée, qui est donc l'endroit par lequel on tient l'arme. 

Well, hello tout le monde ! 

Comment ça va ? 

Perso, super bien ! J'ai adoré écrire ce chapitre, qui se focus sur la famille Et Matutina (dont Lilith fait plus ou moins partie intégrante). Lucifer, Aoile et Dame Madera.... Un chapitre émouvant, vous ne trouvez pas ? Et puis quand même, on a (enfin) dit au-revoir à Dame Madera ! Vous êtes content ou vous auriez aimé la garder plus longtemps ? Perso, j'en avais assez de ce personnage qui, même mort, parvient à saoûler avec sa révélation finale... 

Mais bref ! Que pensez-vous de cette dernière phrase ? Damn, elle vient de briser la promesse faite à Samantha là.... Elle a promit à Samantha qu'elle allait abdiquer pour se concentrer sur le Lien. Elle a fait la même promesse à Lucifer & Uriel hein... Donc là, il va y avoir des gens en colère.... En même temps, elle n'a (malheureusement) pas le choix ! La pauvre :( Ce tome ne l'a pas épargnée la petite :/ 

-> Que pensez-vous d'Aoile et ses décisions dans ce chapitre ? 

-> Dame Madera: heureux ou malheureux ? 

-> Lucifer : contents de l'avoir revu ? Pensez-vous qu'on va le revoir ? Quand ? Pourquoi ? 

-> Lilith : réconciliation des deux filles ? Avez-vous aimé que ça soit elle qui tue Madera et pas Aoile ? Auriez-vous aimé que ça soit Aoile ? Pourquoi ? 

Sur ce, lisez plein d'histoires super bien écrites ^^ Et on se dit à mercredi prochain pour la suite ! 

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