Chapitre XXIX

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— Tu pars déjà ?

Un ton chaleureux et pourtant hésitant, un timbre de voix grave, mais qui manque d'assurance, une énergie que je reconnaîtrais entre mille... Mes lèvres forment un maigre sourire tandis que je reste de dos, toutes mes pensées focalisées sur le voyage à venir. 

— Autant faire ça rapidement. Je ne tiens pas à faire traîner cette histoire plus qu'elle n'aurait dû, je réponds de manière posée et calme. 

Au fond de moi, je suis étonnée. Je pensais qu'à l'idée de devoir retourner aux Enfers pour y juger les crimes commis par ma mère, j'aurai plus de colère et de ressentiments en moi. Et pourtant, je suis d'un calme presque perturbant. Mon rythme cardiaque est stable, mes pensées parviennent à s'aligner et non à s'entrechoquer les unes dans les autres. 

— Si je ne te connaissais pas, je dirais que ça ne te fais rien, soupire-t-il. 

Même de dos, je sais qu'il est en train de replacer l'une de ses mèches de cheveux. C'est son tic, lorsqu'il parle de quelque chose qui lui tient à cœur. Et ma mère a tenu, pendant un temps, une grande place dans le sien, bien qu'il se refuse à l'avouer. Il soupire de nouveau, attirant cette fois mon attention. Avec lenteur, je fais demi-tour, terminant de boucler la ceinture de mon pantalon. 

— Mais tu me connais, je lâche après quelques secondes de silence. 

Il hoche la tête, les bras légèrement croisés sur son torse. 

— Mais je te connais, répète-t-il, comme pour se rassurer. 

Autour de nous, le vent fait bouger les feuilles d'arbres, créant une mélodie nocturne à la fois mélancolique et douce. En bas de la falaise, sur laquelle nous nous tenons, j'entends le ressac des vagues qui frappent les rochers avec violence. 

Dans le ciel, la lune, presque pleine, éclaire d'une faible lueur nos visages, permettant à nos regards de se parler. Je ne sais pas exactement ce que je suis supposée répondre à présent. Pardon ? Comment tu te sens ? Je n'en sais rien. Alors je laisse le temps défiler, mes yeux gris plantés dans leurs jumeaux. 

— Tu te sens capable de prendre la bonne décision ?, ajoute-t-il après un temps. 

J'expire longuement, le regard dans le vague. Je n'en sais rien. Pendant un temps, c'était très clair dans mon esprit: qu'elle aille se faire voir, elle et toute sa philosophie. Qu'elle aille aux Enfers, qu'on la torture, qu'on brise son égo et son pseudo-mental de guerrière. 

Je voulais qu'elle souffre, comme elle avait fait souffrir d'autres personnages. Je voulais qu'elle sache que j'étais plus forte qu'elle, à présent. J'avais ce besoin, presque vital, de lui prouver que malgré tout ce qu'elle avait pu dire de moi, j'étais devenue quelqu'un. 

Que ça soit quelqu'un de bien ou de mauvais, ça n'avait pas d'importance. Mais je voulais voir la souffrance dans ses yeux, lire la douleur dans ses cris et entendre le supplice de ses muscles. 

— Je sais ce qu'elle mérite. Après, est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise décision, je suppose que ça n'est plus de notre ressort. Elle mérite une sentence à la hauteur des crimes commis. Je ne sais juste plus si je serais capable d'appliquer la sentence moi-même, j'explique. 

Il fronce les sourcils, visiblement surpris par ma réponse. 

— Tu as passé le plus clair de ta vie à t'entraîner dans ce but. C'était ta motivation pour te lever, t'entraîner... C'est cette même idée qui t'a aidé à tuer, les premiers temps. Si quelqu'un est capable d'appliquer cette sentence, c'est bien toi, réplique-t-il. 

Baissant les yeux quelques secondes, je hoche doucement la tête, appréciant le contact du vent sur mes bras nus. Etant donné que je rentre en Enfer, j'avais pris soin d'enfiler un jean fin noir, ainsi qu'un top de même couleur, sans manche. 

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant