Chapitre VI

590 163 104
                                    

La végétation a repris ses droits. En l'absence de vie humaine, les plantes ont grandis, jusqu'à recouvrir entièrement la façade en pierre de la maison. Par-ci par-là, des fleurs rose pâles ont éclos, rendant le tout majestueux. Je n'ose m'approcher plus, de peur de gâcher le splendide spectacle qui s'offre à moi. Depuis deux mois, je rêve de revenir à la surface, voir de la vie, revivre.

Et désormais, je suis partagée entre cette vie qui s'offre à moi et la probable mort à l'intérieur de l'habitacle. Malgré moi, je fais un pas en avant et pose ma paume sur la porte. Celle-ci s'ouvre sans le moindre effort de ma part et je devine qu'il n'y a personne à l'intérieur. Pourtant, je suis incapable de faire demi-tour. J'ai besoin de voir, comme pour me punir. Me souvenir que ce que je vais voir, c'est de ma faute.

Avec une inspiration tremblante et mal assurée, je m'aventure dans le couloir central, qui dessert toutes les chambres. Je passe rapidement devant la mienne, qui ne présente aucun intérêt à mes yeux. Sous mes doigts, le mur de pierres rugueuses me blesse et irrite ma paume, mais je n'en ai cure. Mes yeux sont déjà posés sur la porte de la chambre de Sam et je suis attirée, comme un aimant.

Rien ne m'arrête lorsque je pousse la porte et qu'un mince filet de soleil percute mes iris. Doucement, je lève ma main droite vers la fenêtre pour bloquer l'astre rayonnant tandis que mes yeux se plissent. Je distingue à présent le lit impeccablement fait, le sol nettoyé et luisant de poussière, ainsi que le cadre photo des parents de Samantha. Comme si la jeune Banshee n'avait jamais existée, rien ici ne rappelle sa présence.

Les draps sont tirés à quatre épingles. La couverture bleue nuit borde les oreillers d'un blanc immaculé. Sur une table de nuit en bois poli et visiblement nettoyée, la photo de famille me fait face dans son cadre de verre. Au-dessus, la petite lampe blanche est le seul témoin du passage du temps. La poussière recouvre son pied devenu gris.

Face au lit, une armoire fermée a été nettoyée récemment. Je m'avance lentement vers ce meuble, que je sais vide. Mais j'ai besoin que mes doigts touchent la poignée, de sentir mes muscles l'ouvrir pour constater que j'avais raison. Et mon cœur entame un rythme violent et saccadé. Je referme la porte de l'armoire d'un seul coup et détourne le regard quelques secondes.

La fenêtre permet au soleil d'éclairer la pièce et je distingue sans mal la porte dissimulée qui mène vers Archibald. J'avance vers cette entrée et me ravise. Que lui dirais-je ? Que j'ai raté ma mission ? Que je me sens coupable ? Y croira-t-il, de toute manière ? Je n'ai pas été tendre avec lui. Mais le voir me rappelle constamment mon métissage maudit. Lui est Ange, je ne suis rien. Et oui, je l'ai longtemps haï pour cela. Mais devant cette chambre vide, je me surprends à vouloir du réconfort.

Mon cœur se serre tandis qu'une petite voix, dans ma tête, me hurle que c'est de ma faute. Mes muscles se tendent et, telle une automate, je sors de la chambre et claque fermement la porte dans mon dos. Le sang afflux trop vite vers ma tête, qui pulse à rythme trop irrégulier. La douleur, le chagrin, la culpabilité et la rage m'assaillent, me tiraillement, me rendent folle. J'ai envie de crier, de frapper quelque chose. Je ne me sens pas capable de porter autant d'émotions en moi.

Je quitte la maison d'un pas calme et posé, contrastant avec le volcan en éruption que je porte en moi. Une fois dehors, je m'appuie contre un arbre pour reprendre mon souffle et me vider la tête. Je souffle longuement, plusieurs fois, éloignant ce que je ressens, comme je l'ai toujours fait. J'enferme mes sentiments à l'écart, dans un coin reculé de mon cerveau. Et en relevant la tête, je me surprends même à sourire d'indifférence. Ressentir, s'abandonner à cela, ne m'aidera pas à sortir Sam du piège dans lequel elle s'est enfournée. Je dois garder la tête froide.

- Aoile ? Heu... Je veux dire, Madame ? Ou votre Majesté ? J'avoue que je suis un peu confuse sur le titre, lâche la voix d'Arynn dans mon dos.

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant