Chapitre VII

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Debout face à l'océan calme, le regard vers l'horizon et les mains dans les poches, Thomas ne me voit pas. J'observe son visage de profil, détaillant sa barbe avec circonspection. C'est étrange, de le voir bouger ses lèvres, seul, face à l'immensité bleue, sachant qu'il n'a pas d'interlocuteur.

Comme s'il était pris d'une sorte de folie et qu'il parlait à une personne qu'il est le seul à voir. Il porte un simple haut de couleur beige, avec un jean noir et des baskets de même couleur. Encore une fois, plus de dauphins ou de traits enfantins. La vingtaine l'a rendu plus adulte. Ou est-ce la résurrection ? 

Sans que je ne fasse quoi que ce soit, deux iris bleues viennent se planter dans les miennes. Je n'y lis rien. Où est le jeune homme emplis d'humour et dingue de dauphin ? Pourquoi le temps nous fait-il changer à ce point ?

Le jeune homme, sans un mot, s'avance vers moi et m'enferme dans une étreinte gênante. Je l'entends soupirer, est-ce du soulagement que je ressens ? Quelque chose de mouillé me tombe sur l'épaule.

Il pleure ? Pourquoi ? Je m'attendais peut-être à ce qu'il me crie dessus. Qu'il me tienne responsable de sa mort, qu'il cherche à comprendre comment il est revenu. Qu'il essaye de me rendre la pareille, bien que je sois immortelle. Je ne pensais pas qu'il me ferait un câlin avant de pleurer sur mon épaule.

Qui plus est, je n'ai jamais été l'amie sur laquelle on peut compter, ou qui offre son épaule pour que l'on puisse pleurer. Je n'ai jamais été une amie. Pour Thomas notamment, j'étais plus l'ennuyante baby-sitter qui respectait les horaires à la seconde près, quitte à l'assommer à vingt-et-une heure pour qu'il s'endorme. 

— Si tu veux te faire assommer, continue, je grimace en le repoussant d'un coup sec.

Thomas me sourit et replace ses lunettes pour les coller à son nez. La seule chose restée bleue malgré le temps. Il semble être loin alors que je peux le toucher en tendant le bras. Un peu comme un drogué, Thomas semble être sur sa propre planète. Il rigole faiblement et essuie lentement la larme qui a coulé sur mon épaule. 

Mes yeux s'étrécissent et j'arrache sa main de mon épaule. Les sourcils froncés, je continue de l'observer dans son état de béatitude visible. Je sais que revenir des morts n'est pas une chose commune, voire même une chose interdite, mais est-ce que ça rend aussi stupide ?

Je pose mes deux mains sur les épaules de Thomas et soupire. Puis, sans qu'il ne puisse m'arrêter, je le secoue comme un prunier. Je peux voir dans ses yeux l'incompréhension et quand j'estime l'avoir balancé assez longtemps, j'arrête et recule de quelques pas. S'il doit vomir, prions qu'il ne le fasse pas sur moi. Mais il reste face à moi, simplement surpris et toujours aussi perché.

— Quelles genres de drogues peuvent rendre un Oracle aussi défoncé ?, je demande, stupéfaite.

C'est au tour de Thomas de froncer les sourcils. Il porte une main à sa tempe gauche et la masse avec de petits mouvements circulaires en poussant un grognement. Quelques minutes plus tard, il rouvre les yeux et je découvre avec soulagement qu'il n'est plus perché. Ou alors, il est tombé de sa branche. Il me fixe de haut en bas, arrête de frotter sa tempe et me pointe du doigt.

— Aoile ?

Un gémissement sort de ma gorge et je prends mon visage dans mes mains. S'il ne sait même plus qui je suis, c'est qu'il a clairement pris quelque chose. J'expire d'un coup et lève mon pouce droit en l'air. Je relève la tête et le fixe avec ennui. Thomas sourit et ses deux pouces en l'air me font désormais face.

— C'est chouette que tu sois revenue ! Je m'ennuyais un peu, pour être honnête. Arynn est bien sympa, mais vivre confiné avec elle comme baby-sitter....c'est dur, grimace le jeune homme.

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant