Plusieurs heures ont passées depuis la réunion. Debout, légèrement appuyée contre le mur gelé de notre prison, j'observe Thomas et T'Shael dormir. Comme si rien ne s'était passé, les deux compères ont trouvés rapidement le sommeil, me laissant réfléchir seule. Je remue doucement mon épaule droite, grimaçant lorsque la balle logée dans mes ailes bouge avec elle. Quand mes ailes sont repliées, c'est comme si la balle se trouvait dans mon dos.
Une sensation des plus désagréables. J'ai refusé d'être emmenée dans leur infirmerie de fortune, préférant mille fois prendre une seconde balle que de leur faire confiance avec la première. Le regard à la fois surpris et inquiet de Sam quand elle m'a entendu rejeter leur proposition est resté gravé dans ma tête. Elle semblait vraiment distante envers nous.
Juste après ça, Gregory nous a ramené ici tandis que Sam est allée parler à Olga. Je n'ai pas vraiment eu le temps de lui parler, pas plus que Thomas ou T'Shael. Dans tous les cas, en moins de dix minutes nous étions de retour dans cette "cage", totalement libre de nos mouvements. Pas le moindre lien à mes mains, ni sur Thomas ou le Brownie. Il n'y a même plus de gardes dans le couloir, c'est dire... Je pense qu'ils ont compris que c'était inutile et superflus.
Je doute qu'ils nous fassent confiance, surtout après m'avoir blessé. Sans parler de la frayeur que j'ai causée auprès des quatre débiles de la salle ronde. Mais finalement, c'est une autre pensée qui m'empêche de dormir cette fois. Où sont les membres du Conseil ? J'étais persuadée qu'à chaque déplacement, ils étaient capables de me traquer et me retrouver... Aurais-je eu tort ?
Mon regard se pose à nouveau sur les deux amis assoupis. Thomas est allongé sur le sol, en position fœtale pour conserver la chaleur, tandis que T'Shael s'est glissé dans le creux entre les mains et les jambes de son maître. Ils doivent se tenir chaud, vu que la fraîcheur extérieure rentre par les petites ouvertures au plafond. Ils semblent si apaisés et calmes que j'ai du mal à croire que l'un des deux puisse se réveiller avec l'envie de m'assassiner.
On dirait vraiment un enfant, endormi comme ça. Un soupir quitte mes lèvres tandis que je passe mes mains dans la poche ventrale de mon haut. Je ne me plaindrais aucunement de l'odeur, je doute qu'ils aient des vêtements de rechange. Et même si c'était le cas, je n'ai aucunement envie de les porter.
Doucement, j'étends mes ailes et gémis en sentant mon aile droite résister. Ce gamin est une plaie ! Je retiens le nouveau gémissement qui manque de quitter mes lèvres. J'attrape le bout de l'aile et la force à se tendre complètement, ignorant la vive douleur que mon cerveau me signale. Une fois cela fait, j'observe la plaie. Je n'ai aucun moyen de récupérer la balle et tant qu'elle sera là, je ne peux pas non plus guérir.
L'autre blessure, à cause de la balle qui m'a effleurée le bras, a déjà disparu. Ce qui, en passant, à faire encore plus peur à Gregory qui n'a plus osé me parler de tout le trajet. Mais cette balle-là, je ne peux rien y faire, hormis maudire l'adolescent maladroit qui l'y a mise, ainsi que toute sa famille. Les Brownies sont peut-être rancuniers, mais je suis bien pire. Et si un beau jour, je pourrais lui rendre la monnaie, je le ferais sans hésiter.
— Je peux la retirer ?, demande Samantha à ma gauche.
Je tourne la tête vers elle lentement, sortant petit à petit de mes pensées. La jeune Banshee m'observe depuis le pas de la porte, sans aucun jugement. Elle semble même peinée de me voir debout. S'attendait-elle à ce que je dorme, nous laissant tous les trois à la merci de ces personnes inconnues ? Hors de question. Bien que les traits de son visage soient plus prononcés et plus durs, la lueur qui brille dans ses yeux est la même qu'avant.
Quel que soit la manière dont elle a atterrit ici, ça n'a pas été dans un bain de sang. Je suis rassurée, d'une certaine manière, de voir que les Harpyes ne sont pas avec elle; mais également surprise de la voir parmi un groupe de survivants. J'ai pensé que si elle parvenait à s'enfuir, elle retournerait aussitôt sur Idan, retrouver les dernières personnes qui la connaissent. Mais, sans doute à cause du poids de la culpabilité, elle n'a pas été capable d'affronter les conséquences de notre dernier combat ensemble. Comme moi, elle a essayé de fuir tout ça peut-être.
— Tu as les compétences médicales pour le faire ?, je réponds à voix basse.
Les yeux émeraude de la jeune fille s'attardent sur le duo endormis face à moi et elle avance de quelques pas, avant que ses iris ne reviennent sur moi. Ses cheveux sont toujours attachés, d'une natte si serrée qu'elle doit en avoir mal au crâne. La jeune Banshee qui découvre le surnaturel n'est plus là, je le sens à sa manière d'observer les alentours.
Elle a énormément changé, en l'espace de deux mois... C'est à n'y rien comprendre. Quelque part, voir ce changement m'empreint d'une certaine fierté. Mais je ne devrais pas. On ne peut pas se sentir fier de briser l'innocence de quelqu'un.
— Pas vraiment. J'ai dû feuilleter un bouquin ou deux, souffle-t-elle en retour.
Je hausse un sourcil et recule quand elle s'approche de moi. Un sifflement agacé quitte ses lèvres aussitôt, résultant en un silence gêné. Même si c'est Samantha, je ne suis pas vraiment disposée à me faire arracher une balle de mon aile. Déjà, ça me fera mal, que je le veuille ou non et je ne tiens pas à réveiller les deux dormeurs. Ensuite, quels que soit les romans qu'elle ait pu lire, je ne tiens pas être un cobaye.
Bien que je ne sache pas ce qu'elle ait pu faire de ces deux longs mois, je doute que ça soit des études accélérées en médecine. Samantha doit comprendre car elle lève les mains en signe de reddition et s'assoit à même le sol, sans me quitter des yeux. Je range mes ailes, réprimant la grimace qui vient recouvrir mes lèvres quelques secondes et l'imite. Assises l'une face à l'autre, avec Thomas et T'Shael à côté de nous, Sam et moi semblons en proie à un combat de regard. Elle finit par baisser les yeux, soupirer et jeter un œil gêné à Thomas.
— Le voir ici.... Vivant... Je revis tous les choix que j'ai fait ces derniers temps. Celui de le sauver, tous les autres... Le seul bon choix que j'ai fait, c'est choisir de rester ici et d'aider, commence-t-elle, hésitante.
Elle efface de sa joue une larme solitaire, glissant lentement vers le sol. Un voile de tristesse a recouvert ses yeux sans que je ne m'en rende compte. Le lien semble agir, m'enserrant le cœur avec une pression atroce. Ou est-ce...de l'empathie ?
La voir en proie à cette détresse soudaine me paralyse et je ne peux plus bouger. Mon cerveau semble être déconnecté et je ne sais plus comment réagir. Je me contente de regarder l'Oracle dormir, espérant trouver un moyen de reprendre le contrôle de mon propre corps. Mais le manque de sommeil et ma blessure n'aident pas.
— L'avoir ramené à la vie n'est pas un mauvais choix. Tu ne pouvais pas savoir les conséquences d'un tel acte, puisque personne ne t'en avait parlé, j'achève sans réelle conviction.
Samantha fronce les sourcils et lève de nouveau les yeux sur moi.
— Les conséquences ? Quelles conséquences ?, demande la jeune femme.
Mes yeux fixent Thomas, afin de trouver la meilleure manière de lui dire. Après tout, jusqu'ici, tout s'est parfaitement bien déroulé... Mais ce sont les secrets et les mensonges par omission qui nous ont fourrés dans ce pétrin. Je ne peux pas continuer à les entretenir.
— C'est compliqué à expliquer. Mais disons que depuis son réveil, il n'est...plus tout seul là-haut, expliqué-je en pointant ma tempe.
Samantha ouvre de grands yeux et enferme le bas de son visage dans ses mains. Un soupir étranglé se fait entendre et elle hoche la tête plusieurs fois, laissant ses poings retomber le long de son corps. Elle laisse échapper un petit rire, le genre de rire nerveux et forcé que les gens font pour masquer leur tristesse.
J'observe ce manège d'un œil distant, incapable de comprendre ce qui a pu déclencher une telle réaction. Est-ce quelque chose que j'ai pu dire ? Pendant de longues minutes, elle ne parle plus, se contentant d'observer l'Oracle. Comme si elle espérait le voir se réveiller et constater par elle-même les dégâts.
Pour s'auto-punir, finalement. Dans la lueur de ses yeux, je peux voir tous les remords qu'elle éprouve, tout le dégoût qu'elle s'inspire. Et ça me blesse. Elle n'a fait que survivre, seule, pendant deux mois. Il n'y a rien de mal là-dedans...
— Pas un mauvais choix hein ? Il aurait peut-être dû rester mort et bien dans sa tête ! Je n'aurai jamais dû accepter cette proposition des Harpyes. Mais j'étais en colère... Tellement en colère.., lâche-t-elle.
C'est à mon tour de soupirer et de rompre le silence que je gardais religieusement depuis quelques temps :
— A ta place, je nous aurais détestés aussi. Il n'y a rien de mal à être en colère.
Samantha m'observe, sourcils froncés. Puis elle secoue la tête.
— Dire que je ne t'en ai pas voulu, au départ, serait mentir. Bien sûr que j'aurai aimé que tu restes ! Toute personne normalement constituée l'aurait voulu. J'avais oublié que tu n'es pas une personne normalement constituée. Et puis tu avais perdu ton père... Non. J'étais en colère contre moi-même, pour n'avoir fait que renier ma nature et pleurer au lieu d'agir. Rien de tout ça ne serait arrivé si j'avais simplement accepté et essayé de trouver des solutions, souffle-t-elle.
Sa voix se brise, exprimant toute sa faiblesse et ses regrets. Une autre larme roule sur sa joue mais cette fois, elle ne l'arrête pas. Je la regarde couler et frapper le sol, rapidement suivie d'une autre. Mais bien vite, j'entends ses poings se serrer et les larmes cessent de couler. Comme si elle se l'interdisait mentalement. Je vois ses lèvres bouger, répétant une phrase en boucle, si bas que je ne peux pas l'entendre. Mais celle-ci semble lui donner l'énergie dont elle a besoin, car elle retrouver un sourire bancal et me fixe.
— Je me suis entraînée jours et nuits, pendant presque un mois et demi. Les Harpyes ne m'ont pas fait de cadeaux et je me suis évanouie plus d'une fois. Mais je crois que tu as dû sentir la dernière fois que c'est arrivé.... C'était un entraînement assez violent et je me suis évanouie à la fin. Et pendant que mon cerveau essayait de me ramener à moi, je t'ai senti t'évanouir aussi. Après ça, je suis partie et je suis revenue sur Paris. J'ai mis deux semaines à arriver, ils m'ont accueilli fin Février. Et trois semaines après ça, vous débarquez, souffle la Banshee.
Elle prend une pause. Le souvenir de ce moment où j'ai perdu connaissance, sur Idan... Je la pensais en danger... Elle était en fin d'entraînement. Quels genres d'exercices les Harpyes la forçaient à faire ? Avant que je n'ai la chance de répliquer, Samantha reprends :
— Alors oui, je me suis fait passée par une humaine et comme ici, il n'y a que ça, je n'ai pas crié. Les Harpyes m'ont au moins appris ça, que les Banshees ne crient que si une créature surnaturelle meurt dans la zone dans laquelle elles se trouvent. Autant te dire que sur Idan, j'aurai rapidement devenir folle.
Un léger rire la secoue à cette pensée, tandis que je fronce les sourcils. Bien que je sois au courant de cette règle, j'avais pensé qu'elle ne s'appliquait pas à Samantha, celle-ci étant la dernière de sa race. Sortant de ma léthargie, je me remets debout et m'approche de la jeune femme, qui se lève à son tour.
Pourtant, je ne fais pas le moindre pas vers elle. Je ne m'en sens pas encore capable. Je me mords la lèvre inférieure et soupire, les yeux fixant le sol. Thomas remue et T'Shael émet un petit cri, mais aucun des deux ne sortent de leurs mondes de rêve. Pourtant, le soleil commence à se lever.
— J'ai cru que tu étais en danger, avant de m'évanouir. Mais oui, je l'ai senti, vu que nous sommes liées. Et... Tu aurais eu raison de m'en vouloir. J'aurai dû rester et vous protéger, Thomas et toi. Si je suis venue jusqu'ici, c'est bien pour réparer mes erreurs Sam ! Crois-moi, j'aurai voulu venir plus tôt, mais le Conseil des démons ne m'auraient pas laissée partir. Ils ne me portent pas vraiment dans leur cœur et j'ai encore énormément de conflits à régler avec eux. Mais l'important, c'est que je suis revenue et que je compte bien renvoyer le Chaos là où il devrait être. Et je pense qu'aucune excuse ne pourra effacer ce que tu as subi par ma faute, ces deux derniers mois, j'énonce.
Samantha rit à voix basse et je relève la tête au moment où elle m'enferme dans ses bras. Un soupir quitte mes lèvres et je réponds à son étreinte, heureuse de la savoir en vie. Pendant plusieurs secondes, nous restons comme ça, sans rien dire, écoutant la respiration de l'autre. Puis, je l'entends rire dans mon coup, ce qui me procure des frissons peu agréable et je mets fin au câlin en l'entends tousser. Elle me fixe droit dans les yeux et un petit sourire en coin fait son apparition.
— Tu n'as besoin de me présenter des excuses. Tu devais gérer un enterrement et une accession au trône, lâche-t-elle.
En entendant ça, je ne peux m'empêcher de repenser à mon père, qui doit probablement toujours être en Normandie. Je tousse assez violement, faisant sursauter Thomas qui ouvre les yeux d'un seul coup. T'Shael piaille également, grimpant sur l'épaule de son maître qui s'est à moitié relevé. L'Oracle se frotte les yeux et dévisage Samantha. Ses yeux s'ouvrent en grand et il sourit.
Doucement, il se remet sur ses pieds. Cependant, c'est plutôt la jeune femme qui m'inquiète. Elle ne bouge pas, observe Thomas tout en étant ailleurs. Dans ses yeux, je vois qu'elle pense à autre chose, des choses qui l'ont profondément marquée. Alors que j'allais lui poser des questions à ce propos et que Thomas allait lui faire un câlin, elle recule d'un pas et sort de la pièce, presque en courant. Légèrement déçue mais surtout stupéfait, le garçon se tourne vers moi :
— J'ai fait quelque chose de mal ?, demande-t-il.
J'observe le couloir, dans lequel les échos du bruit de sa course se font encore entendre, sans savoir quoi répondre à sa question. J'entends Thomas se rasseoir, créant un nouvel écho. L'ancien s'efface et je baisse les yeux, l'esprit toujours troublé par cette fameuse réaction. Je peux sentir le Brownie grimper le long de ma jambe, essayant de me ramener à la réalité. D'un simple geste, je l'attrape et le glisse dans la poche de son survêtement, incapable de prononcer la moindre pensée cohérente pour lui.
« Aoile ? Est-ce que tout vas bien ? »
Je lâche un long soupir et hausse les épaules. T'Shael se tait, comprenant que je ne suis pas plus avancée qu'eux sur le comportement de la jeune Banshee. Après tout, ce qu'elle a vécu pendant deux mois... Elle en a brièvement parlé comme étant des « mauvais choix ». Contrairement à ce que je pensais, elle ne semble pas heureuse du retour de l'Oracle, mais plutôt triste. Ce qu'elle m'en a dit, c'est qu'elle aurait préféré ne pas prendre cette décision, qui la chagrine et la dégoute d'elle-même.
— Visiblement, tu n'es pas le seul à devoir composer avec ton retour parmi nous Thomas, je marmonne en m'asseyant près de lui.
Au-dessus de nous, le soleil commence à darder ses rayons sur le globe terrestre. Petit à petit, des bruits de pas et des échos de voix nous parviennent. Le groupe se réveille et avec eux, nous le devons également. Je ne sais pas ce qui nous attend au-delà de cette porte, mais je ne compte pas y rester plus longtemps.
Si Samantha peut prétendre rester humaine, Thomas et moi ne le pouvons pas. Sans parler de T'Shael. Le Chaos ne partira pas d'un coup de baguette magique. Je jette un coup d'œil à Thomas, qui m'observe déjà. Dans son regard, je lis sa fatigue et surtout sa fameuse dualité mentale qui semble refaire surface. M'abaissant près de lui, retrouvant le sol frais sous mon derrière, je lui prends la main, plongeant mon regard dans le sien.
— On va s'en aller. Je te le promets, murmuré-je.
Thomas hoche la tête et retire sa main de la mienne. J'appuie ma tête contre le mur, le regard au plafond.
— Mais pas sans Sam', terminé-je.
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Coucou tout le monde !
Voilà le grand retour des chapitres d'explications. Si Sam' est désormais familière avec quelques aspects du monde surnaturel, les résistants ne le sont pas. Du coup, voilà des explications xD ! Mais bon, Sam' a des choses à avouer aussi... 😇💙
Sinon, qu'avez-vous pensé du chapitre ?
Je suis super heureuse d'avoir pris de l'avance. J'ai écris ce chapitre pendant ma semaine de break et me voilà presque de retour pour mes vacances de Pâques 😂 Je vous jure, les calendriers anglais, c'est du grand délire 😂 !
Bref.
Qu'avez-vous pensé du chapitre ?
L'évolution des personnages ?
Vous aimez toujours être dans la tête d'Aoile ? :3
Vous voulez de l'action aussi ? Ou ça vous va ? xD
Sur ce, gros bisous et à mercredi prochain pour la suite, un peu d'action et d'émotions 🤗❤